La série télé connaît un nouvel âge d’or, dit-on jusque dans les revues savantes, mais le plus grand feuilleton du moment est diffusé quotidiennement de l’Assemblée nationale. Une tragicomédie en direct de la scène politique et de ses coulisses, surtout celles du PQ, grand générateur d’histoires grotesques, impayables, vaudevillesques. Tout le ridicule de notre époque maganée, de cette société fatiguée, se retrouve là, en concentré.
Les bulletins de nouvelles suivent scène à scène. L’autre soir, le journal télévisé de fin de soirée de TVA, média de Québecor, discutait à chaud de la « motion Péladeau » en compagnie de François Legault, chef de la CAQ. La proposition adoptée par les élus veut empêcher un député de posséder une entreprise de presse. Bonne idée.
Pierre Karl Péladeau, député de Saint- Jérôme et candidat pressenti à la chefferie du PQ, en possède beaucoup. Comme actionnaire principal de Québecor, il contrôle un gros tiers des sources traditionnelles d’informations sociopolitiques au Québec. Le ministre Gaétan Barrette a osé un rapprochement avec l’Italie de Silvio Berlusconi.
« Est-ce que Monsieur Péladeau vous fait peur ? », a demandé l’animatrice Sophie Thibault à M. Legault, après un reportage tout dans les normes objectives exposant froidement la situation.
« Pas du tout, a répondu le chef caquiste. Ce qu’on veut, c’est protéger les journalistes face au pouvoir politique, les journalistes dans leur quotidien, les journalistes qui sont appelés à critiquer les élus. »
Justement, à ses côtés il y avait Michel Girard, chroniqueur émérite en économie. « Monsieur Legault, a-t-il dit. J’ai travaillé pendant trente ans pour La Presse, dont le propriétaire est M. Desmarais, fédéraliste. Je n’ai jamais subi la moindre influence dans mes chroniques. Pourquoi maintenant parce que je travaille pour un propriétaire nationaliste, je serais influencé ? Je ne comprends pas. C’est comme si vous laissiez entendre que M. Péladeau pourrait faire de l’ingérence dans mon travail. Voyons donc ! »
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Le scénario tourne et se retourne encore une fois pour surprendre tout le monde, y compris les esprits les plus doués pour le surréalisme. Avec cette nouvelle bascule, on se retrouve donc avec du politique soudainement préoccupé par la liberté de presse après avoir encouragé la concentration des médias. On fait aussi face à du médiatique étonné qu’on accuse les puissants patrons de presse de s’ingérer dans le travail journalistique après que la profession eut décrié pendant des années cet effet collatéral de la concentration de presse.
Pourtant tout fait sens, comme dans un épisode de House of Cards. La nouvelle conversion des deux tiers des élus de l’Assemblée nationale à la séparation des pouvoirs découle du changement de position de M. Péladeau. Tant qu’il menait ses affaires, les députés pouvaient s’inquiéter de sa capacité à contrôler l’information sans oser l’affronter. Maintenant qu’il aspire à diriger le PQ, il devient un adversaire à abattre en visant ses points faibles et cet impérial talon d’Achille en particulier.
Le péquiste Jean-François Lisée gratte les mêmes bobos, avec le même objectif de nuire, cette fois, à un adversaire dans la course des vizirs au califat. La tactique de cet ancien journaliste obsédé de stratégie — M. Lisée, c’est un peu Claude Morin, la GRC en moins — semble s’être retournée contre lui. Adieu magistère, plus rien ne va.
Cela dit, les questions d’un bord comme de l’autre demeurent on ne peut plus pertinentes. Les péquistes ne seraient-ils pas aux abois si André Desmarais de Power Corporation, propriétaire de Gesca, devenait chef du Parti libéral ? Ou s’il était lobbyiste pour ses entreprises comme l’a fait et reconnu le député de Saint- Jérôme ?
Il devrait quand même y avoir des maudites limites à l’indécence partisane qui fait voir dans M. Péladeau le nouveau guide vers l’eldorado. Souveraineté über alles…
Mais pourquoi la propriété de Québecor fait-elle débat maintenant ? Le leader parlementaire libéral a évoqué une loi qui « protège la démocratie, qui protège l’information ».
Franchement, il y a belle lurette que le renard est entré dans le poulailler. C’est le gouvernement qui lui a ouvert la porte, comme il a laissé le goupil de Gesca avaler une à une les grosses poules régionales, dont Le Soleil, au début du siècle.
Le Québec est ainsi devenu une des sociétés les plus concentrées médiatiquement en Occident. Ce qui se produit actuellement, cette bouffonne saga, n’en forme que la conséquence logique.
La famille Péladeau a fait l’empire Québecor et vice versa. Pierre Karl, héritier de Pierre, le fondateur, ne serait pas où il est maintenant, à quelques foulées des commandes d’une puissante machine politique, si ses médias ne l’avaient pas aidé à établir sa notoriété digne d’une star de série du nouvel âge d’or de la télévision…
MÉDIAS
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