L'Escalier

Tribune libre

Beaucoup d’indépendantistes sont souvent aveuglés par leur idéal. Cependant, tout l’électorat ne se mobilise pas comme eux à chaque élection, en faveur ou en défaveur de l’Indépendance, derrière aussi bien l’idée d’un référendum que celle d’une élection référendaire. Depuis le 7 avril 2014, le référendum et l’élection référendaire sont devenus des voies différentes en apparence seulement. En réalité, elles sont devenus toutes deux les deux faces d’une même médaille.

L’indépendantisme est-il alors dans une impasse ? La réponse est non. Ce sont les ennemis de l’Indépendance qui s’imaginent commodément que l’indépendantisme québécois est dans l’impasse.

L’indépendantisme est-il en danger ? Très certainement oui. Ce sont les indépendantistes cette fois qui, reprenant eux-mêmes les arguments de leurs ennemis, s’imaginant qu’ils ont seulement des « adversaires », s’imaginent ensuite que ceux-ci se contenteront d’user du pouvoir reçu à l’élection pour seulement spolier un peu plus le Québec. Le West Island n’est pas d’abord spoliateur, il est d’abord dominateur. Ce n’est pas à notre argent qu’il en veut, il l’obtient déjà depuis longtemps. C’est à Nous qu’il en veut. C’est à Nous qu’il en a toujours voulu.

Disons les choses crûment : l’électorat le plus fidèle au PQ se sera clairsemé comme rapetissé… en 2018, l’année prévisible de la prochaine élection provinciale. Et cela pendant que les électorats du PLQ, en particulier celui du West Island, qui pèse si lourd même dans les comtés francophones, se seront tous les deux raffermis. Si rien n’est fait, et si la tendance observée en 2012 puis en 2014 à l’égard du PQ se poursuivait jusqu’en 2018, il est facile de prédire dès à présent ce qui arriverait à notre Cause en 2022. Wake up !

Pas davantage que l’élection référendaire, le référendum n’a plus aucune vertu particulière à l’égard d’une mobilisation en faveur du Grand Soir de l’Indépendance, une véritable chimère. Ce serait plutôt le contraire maintenant : l’idée du référendum est devenue une idée servant puissamment à la mobilisation des ennemis de l’Indépendance. Realpolitik oblige.

Lancer le PQ dans une prochaine campagne électorale en posant que l’élection est référendaire en faveur de l’Indépendance, pour supposément « enfin parler net » du Pays, cela équivaudrait à vouloir faire un référendum autrement. Depuis avril 2014, cela n’est plus une bonne idée. La probabilité que les députés péquistes sortis indemnes de l’élection d’avril veuillent se lancer eux-mêmes dans une campagne référendaire est quasiment nulle. D’ailleurs, si le PQ s’engageait dans une telle avenue électorale, il se marginaliserait lui-même à coup sûr, aussi sûrement qu’ON est un parti marginal destiné à le demeurer.

Au strict plan électoral, une prochaine campagne « référendaire » donnerait partout dès 2018 la victoire à tous les candidats de la CAQ et du PLQ. Une dévastation assurée pour le parti, ce qui ne serait pas si grave, mais une dévastation assurée pour notre Cause, ce qui serait particulièrement grave. L’indépendance passerait alors plus facilement encore sous le radar des médias, (ceux inféodés au West Island n’en demandent pas tant), à qui nous aurions fourni nous-mêmes gratuitement toutes nos munitions comme toutes les justifications. Mais avant une dévastation assurée, ce pourrait être une implosion du PQ lui-même. Pareil brasse-camarade serait tout à fait suicidaire, davantage pour la Cause que le parti, la patrie ayant été abandonnée au cours d’une bataille perdue d’avance.

L’électorat sait très bien depuis 40 ans ce qui est au cœur du projet péquiste, cependant qu’il n’est pas prêt et ne le sera sans doute jamais avant très-très longtemps, bien trop longtemps, à donner un tel mandat spécifique au PQ (faire le Pays) si celui-ci est encore dans l’opposition. D’une situation d’opposition en effet, même d’Opposition Officielle à l’AN, le PQ aurait alors trop d’incertitudes politiques à assumer en même temps en prévision d’un Grand Soir, incertitudes qui seraient trop facilement exploitables au plan électoral par les ennemis de l’Indépendance.

Une élection référendaire marginaliserait enfin le PQ pour cette raison précise que l’élection provinciale ne vise qu’à pourvoir l’état (le nôtre) d’un pouvoir provincial. C’est très « provinchial », je sais tout cela abondamment, mais c’est la plus cruelle réalité depuis le 7 avril 2014.

Pour paraphraser le poète, l’Indépendance, c’est ni plus ni moins qu’un « escalier »… L’élection elle-même n’est pas la dernière marche « avant de… ». C’est au contraire la première marche « avant toute chose », la première marche parmi toutes celles qui pourraient et devront être gravies à la suite de l’élection d’un gouvernement indépendantiste. C’est sur la première marche, en effet, qu’est « stallé » le West Island depuis toujours et, selon toute prévision, il y restera pour très longtemps encore. C’est lui d’abord, le West Island, qui Nous bloque sur la première marche. Et c’est lui encore qui milite fort pour nous faire croire à nous, les indépendantistes, qu’une simple marche serait un Mur infranchissable. Cela dure depuis bien plus longtemps que les 45 ans du PQ ou les quelques mois éphémères d’ON.

Que peut bien valoir alors cette assertion, devenue une pure prétention depuis le 7 avril 2014, qu’il faut faire une élection « sur » le régime plutôt que « dans » le régime si, pour des « décennies et des décennies », (selon encore les inimitables bravades qui proviennent d’ON), c’est « dedans » le régime seulement que proviendront tous les gouvernements du Québec ?

Si le PQ voulait mettre le Pays « sur la table » à chaque élection, c’est l’idée même de l’Indépendance qui subirait assurément moqueries et rebuffades, l’une après l’autre, pour être marginalisée assurément, peut-être définitivement. Il est requis désormais des stratèges indépendantistes qu’ils traitent enfin la Réalité plutôt que le Rêve, sans pour autant cesser de rêver… Il y a une partie bien réelle de l’électorat qui se sert des partis politiques depuis longtemps, et qui n’entend pas se faire embrigader par la question nationale, à moins que l’on s’adresse à lui de façon intelligente.

MAIS EN PARTICULIER, TOUT CET ÉLECTORAT PARMI NOUS QUI A FUIT (1) LE PQ RÉCEMMENT, NE REFUSE NI LE PQ NI L’INDÉPENDANCE. Il refuse d’abord, mais radicalement en 2014 - n’en doutons surtout pas, une « prochaine fois », sous quelque forme que ce soit, pourrait valoir au PQ un refus autrement plus radical encore - cet électorat refuse systématiquement la Chicane qu’un référendum ne manquerait pas d’apporter, parce que cet électorat devine avec raison, eh oui, avec raison, que cette avenue ne mène pas au Rêve, mais bel et bien au Cauchemar : celui d’une division durable parmi nous. Et parmi Nous seulement… (Comment les indépendantistes ont-ils pu ne pas le voir depuis 1980, surtout, ensuite, depuis 1995, et comment peuvent-ils ne pas le voir maintenant ?) Il y a ici pour le PQ et même tous les indépendantistes, depuis le 7 avril, une très-très douloureuse admission à faire. Et une admission pas moins redoutable non plus…

Évidemment, si le PQ ne se préoccupe pas davantage de Nous qu’il ne l’a fait depuis 30 ans, la question de la pertinence du référendum ou de l’élection référendaire ne se pose même pas. Aucune question ne se pose d’ailleurs. Tout va très bien. Aussi bien avril 2014 que mai 2011 n’auront été que des accidents de parcours, que tous les rêveurs et les carriéristes ensemble pourront habilement repousser sous le tapis avec l’élection d’un nouveau chef.

Et alors, eh oui, eh oui, tous ces pathétiques « on lâche pas » reprendront de plus belle. De même que cet incroyable « on y va pour l’indépendance ». De même aussi ces fameux « on ne rêve pas, on y travaille ». On le veut « notre Pays ». « On a plus le choix de toute façon, ça passe ou ça casse »… pour donner raison à tous les caribous qui trépignent et qui veulent sauter dans la rivière. Et tous ces « on se crache dans les mains et puis ou recommence » pour se faire croire qu’on est brave vont revenir, s’ils ont seulement déjà quittés. (Évidemment, si on manque de salive, c’est seulement pour s’adresser à Nous…) Et encore, comme étendard, cette accusation la plus insidieuse : « on en parle nous autres de l’Indépendance », on n’a pas peur d’en parler, ni « peur d’avoir peur ». Et ces autres paroles, à l’effet que si le PQ « bouge pas plus bientôt », c’en sera fait de lui. On jure enfin fidélité à la Marche indépendantiste pour des « décennies et des décennies » à venir, comme le prévoient encore en mai 2014 ceux et celles parmi les indépendantistes qui rêvent le plus profondément.

Tout cela sans Nous ? Sans Nous qui, supposément, ne comprenons jamais rien à rien, aussi bien dire le plus nul des peuples, et nous tous, les indépendantistes pris et empêtrés avec lui, tous pris avec Nous dans cet interminable escalier ?

Évidemment, sans Nous, peuple ticoune, il est indéniable que les choses se passeraient tellement, mais tellement plus facilement en faveur de l’Indépendance. Sans lui, en effet, ce peuple nul, cela serait tellement facile d’écrire dans le même temps une charte ou deux, peut-être même trois, une nouvelle constitution et une déclaration d’indépendance. Non mais, c’est-y pas malheureux qu’un peuple aussi nul que Nous ait le droit de vote !

Mais si le PQ ne s’occupe pas des nuls que Nous sommes, pas davantage que ne le fait le Canada lui-même d’ailleurs, pourquoi alors l’Indépendance ? Pour satisfaire à une quelconque vanité « citoyenne » québécoise ? Cela en vaudrait-il tellement la peine si le Canada est capable de répondre à toutes les questions « citoyennes »? S’il est de fait, ce Canada illégitime, si la démocratie canadienne est de fait aussi capable que n’importe laquelle démocratie de répondre aussi bien et mal à tous les besoins de tous ses citoyens, mais nulle, cette démocratie canadienne, particulièrement nulle en effet, quant aux problèmes qui Nous concernent, précisément parce que Nous sommes le peuple du Québec ?

L’amour des référendistes pour le référendum n’étant pas un amour partagé par l’ensemble de l’électorat - c’est le moins qu’on puisse dire depuis avril 2014 - le référendum devrait être très clairement et très explicitement remisé, soit dit en même temps que ses supporteurs les plus irréductibles… et l’article #1 du programme péquiste pourrait même être rétrogradé, sans qu’aucun indépendantiste ne s’imagine que le pays n’est plus à faire ou que le PQ n’est plus indépendantiste. Peu importe le libellé de l’article #1, peu importe même son numéro si enfin le discours et le ton du PQ s’accorde enfin à Nous, le seul électorat qui lui reste accessible, le seul en fait qui lui est resté fidèle depuis ses débuts. Aux quelques-uns qui seraient incapables de concevoir une pareille possibilité ni de s’y rallier, de se rallier à Nous finalement… les bras d’Option Nationale seraient grands ouverts pour aller y faire toute la pédagogie nécessaire en faveur l’Indépendance bien assis au bas de l’escalier.

Au PQ de s’adresser désormais à l’électorat comme à des adultes et non plus comme à des enfants. Même annexé et dominé, l’électorat québécois - Nous - n’est pas un électorat tout neuf, à ses premiers pas avec les élections. Le Québec est une vieille démocratie amplement capable d’exiger un rite de passage différent à ses différents partis politiques, un rite plus exigeant à certains qu’à d’autres.

C’est précisément parce que Nous sommes capables d’endurance, capables d’endurer ce misérable PLQ du West Island au gouvernement, malgré pourtant qu’il est bel et bien au banc des accusés, c’est précisément cette immense « endurance » que devraient bien mesurer les indépendantistes en général et les péquistes en particulier : le « pouvoir » ne nous sera jamais consenti avec la même insouciance qu’il peut l’être en faveur de nos ennemis. Contrairement à ce que véhiculent certains parmi nous, dont Gilles Duceppe depuis longtemps, ce ne sont pas les fédéralistes qui ont un « fardeau de la preuve » à l’égard de leur option, c’est uniquement nous, les indépendantistes, qui en avons un à l’égard de notre idéal, et c’est la raison principale pour laquelle le rite de passage qui nous est fait est autrement plus exigent que celui demandé aux fédéralistes les plus corrompus. Aussi bien savoir alors jaser politique provinciale ou provinchiale en plussssse, sans quoi nous ne serrons jamais présents à l’examen parce que jamais conviés.

Il y a le cœur. Les indépendantistes ont du cœur. Il ne faut pas faire taire ce cœur-là qui, de toute façon, ne se tairait pas même si on s’y appliquait. Mais il y a aussi ce qui existe, et qui s’appelle la vérité des chiffres. Fait longtemps que les indépendantistes ont entrepris leur Marche. Celle-ci n’a plus besoin maintenant d’être une constante ligne droite en direction de l’Indépendance. Prétendre le contraire est un pieux mensonge qui ne relève pas de la Foi mais au contraire du Déni.

Aussi sûrement que le référendum, l’idée de l’élection référendaire, celle du « pays sur la table », mène au même Cauchemar, qui consiste à Nous diviser dans la réalité. La résistance du peuple québécois - Nous essentiellement - serait donc énorme, mais opposée aux indépendantistes. Car prétendre à l’élection référendaire, s’y appliquer surtout, ce serait fournir nous-mêmes au West Island, et gratuitement depuis le 7 avril, lui fournir trop tôt nos armes ultimes, en particulier la plus précieuse.

C’est impossible au navire amiral de garder le Cap en même temps que de maintenir maintienne une trajectoire droite tout le temps. Il faut savoir composer avec tous les vents, aussi bien ceux de l’Histoire, dans laquelle le West Island sera absent, que ceux de toutes les histoires dans lesquelles il est omniprésent. Tout cela précisément si on ne veut pas perdre le Cap. Car ce n’est pas le même effort, en effet, que de descendre ou de remonter le vent. Ce n’est pas la même science non plus. Le bon capitaine, ce n’est pas celui qui maintient le cap malgré les tempêtes, c’est d’abord celui qui sait se faire aimer, celui capable d’arriver à bon port par son seul ascendant. Et qui d’autre que Nous pourrait bien lui consentir un tel ascendant ?

¹ le recul de 320,000 votes par le P.Q. au soir du 7 Avril 2014.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    22 mai 2014

    M. Haché,
    Si jamais des Québécois des générations futures s'avisaient de leur état de porteur de valise dans ce "beau pays mondialisé", ils devraient trouver dans la documentation de leurs ancêtres (Nous), en guise de première marche de l'escalier de la souveraineté, les 92 blocages du système canadien au développement du Québec.
    Ce sont les conclusions de la première phase des États Généraux sur la Souveraineté, publiés par le Conseil de la Souveraineté, mais ignorés par la Première Ministre en campagne électorale le 7 avril 2014.
    http://souverainete.info/wp-content/uploads/2013/07/Etats_generaux_souverainete_Document_blocages.pdf