À quoi sert l’extrême droite ? À faire de la gauche le seul critère de vérité et à instaurer une figure du mal absolu à éradiquer.
Heureusement que l’extrême droite existe. Sans elle, la gauche serait orpheline. C’est son capital immatériel. Dit autrement, l’actif intangible de la gauche, c’est le passif de la droite et son extrémisme présumé. Le magistère moral de la gauche vient de là. Il ne faut pas le chercher ailleurs. Elle a besoin de l’extrême droite pour conforter son emprise idéologique sur les esprits. Sans figure du Mal, il n’y a pas de camp du Bien qui tienne. La gauche fonctionne comme un processus d’homologation des idées légitimes. Or, c’est elle qui délivre les homologations. Cela la place en position non pas seulement de juge et d’arbitre, mais de législateur.
Qu’est-ce que le pouvoir, en dernière analyse ? C’est la production de la parole autorisée et des comportements licites. Qui en a la maîtrise contrôle la société. Or, c’est la gauche qui détient ce pouvoir. Elle qui dicte ce qui est normatif et ce qui ne l’est pas. Ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Ce qui est politiquement admis et ce qui ne l’est pas. Le totem et le tabou, l’ami et l’ennemi. Dès lors que vous maîtrisez le champ de l’interdit, vous contrôlez les esprits, soit par l’hypnose, soit par la peur, la peur de l’extrême droite n’étant pas la moindre. C’est le mal protéiforme, pareil à l’Hydre de Lerne. Vous lui coupez une tête, deux autres repoussent. Il faut donc lui livrer une guerre totale, jusqu’à extermination complète.
À partir de là, le monde se divise entre « extrémisés » et « extrémiseurs », pour reprendre les termes de Pierre-André Taguieff, incollable sur le sujet. Toujours les mêmes. Partout l’asymétrie dans le traitement. Il y a un bon extrémisme, de gauche, et un mauvais, de droite ; une bonne violence et une mauvaise, etc. « Du couple formé par la vigilance magique et la résistance imaginaire ne cesse de naître le goût de l’intolérance et l’esprit d’inquisition », poursuit Taguieff.
Les poubelles de l’Histoire
Le magistère de la gauche est une rente de situation et une rente de monopole qui remontent à 1945, année zéro, quand Hitler, dans Berlin en ruines, a ironiquement inventé notre monde. C’est un Phénix que la gauche réanime à la demande. En le mettant à mort rituellement, en l’exorcisant sans cesse, elle n’en finit pas de ressusciter son fantôme. C’est « la seconde carrière » du chancelier, dont Renaud Camus a jeté les contours dans un texte magistral. Hitler est le fétiche de prédilection de la gauche ; et l’extrême droite, un cabinet de curiosités, une sorte de musée Grévin des horreurs, où la gauche fait son marché. Elle en est le taxidermiste et le ventriloque attitré. Ainsi les fétiches et les démons du passé reprennent-ils vie, comme dans certains cultes animistes.
À l’instar des chiffonniers, la gauche fait les poubelles de l’Histoire. Elle revient toujours de ses expéditions dans le passé avec des lambeaux des années 1940, dont sa paranoïa mémorielle est le reliquaire. Un cheveu d’Hitler, un bout d’ongle de Mussolini, la dent creuse de Franco, un poil de nez de Pétain. Ça sent le formol, les uniformes vert-de-gris mités, l’humidité et la poussière. Mais à partir de cet ADN fossile, elle redonne vie à un Jurassic Park pavoisé aux couleurs du Troisième Reich. Les principales attractions en sont Marine Le Pen en tyrannosaure et Éric Zemmour en vélociraptor. Le diable, en somme, avec ses cornes de bouc et sa queue fourchue. La marque de la Bête, immonde, cela va de soi, entre le vampire et le loup-garou. À la suite de quoi, la gauche peut proclamer que les années trente sont de retour comme dans une prophétie autoréalisatrice.
Tout le monde il est d’extrême droite
Voilà pourquoi l’extrême droite est aussi cruciale pour elle. Tout le monde est susceptible de l’intégrer dès lors que l’on manifeste la plus petite entorse à ce que l’irremplaçable Mathieu Bock-Côté appelle le « régime diversitaire ». Récemment, Hugo Clément, pour avoir participé au Grand Débat de Valeurs actuelles, ou Marguerite Stern, ex-Femen, qui ne veut pas appeler un chat trans une chatte biologique.
L’extrême droite est une prison ouverte, même si vous y êtes enfermé à vie. Tous les jours, elle accueille de nouveaux arrivants. D’ores et déjà, 60 % des Français, considérant qu’il y a trop d’étrangers en France, sont officiellement d’extrême droite. Au fond, l’extrême droite, c’est la façon d’être normal dans un monde de fous. C’est sûrement la raison pour laquelle Gérald Darmanin veut l’interdire. Le cordon sanitaire contre le RN ayant implosé lors des dernières législatives, quand de nombreux électeurs LR ont fait barrage à la NUPES, le cordon ne sera plus sanitaire mais judiciaire. Il serait temps que le RN en prenne conscience. Éric Zemmour ne sera pas toujours là pour lui servir de paratonnerre.