L’inconscient de la représentation canadienne du monde

Chronique de Marc Labelle

Un jugement d’apparence étonnante, aux conséquences potentiellement bouleversantes pour l’ordre établi, a été prononcé par la Cour suprême du Canada, le 2 novembre 2017 (2017 CSC 54 (CanLII)).  Elle a débouté la nation amérindienne Ktunaxa qui s’opposait à l’approbation par le gouvernement de la Colombie-Britannique d’un projet de station de ski puisqu’il perturberait l’Esprit de l’Ours Grizzly.  Ce dernier n’a pas à être protégé, juge le plus haut tribunal, à titre d’objet de croyance ou de point de mire spirituel du culte, même reconnus comme sincères.


 


La Cour suprême, tout en affirmant respecter le principe de la liberté de religion (cf. l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés) ainsi que le droit de manifester une croyance, ne veut pas reconnaître cette dernière au point de conférer à la nation Ktunaxa un droit de veto sur l’utilisation des terres publiques, une responsabilité du gouvernement provincial.  D’autant que la Cour suprême estime que ce dernier s’est acquitté de l’obligation constitutionnelle de consultation et d’accommodement (cf. l’article 35 sur les droits des peuples aborigènes dans la charte) envers les Ktunaxa, pendant deux décennies.  Ce droit de veto collectif — selon leur déclaration jugée « unilatérale » concernant le secteur Qat’muk de la vallée Jumbo — équivaudrait à imposer une croyance à des personnes qui ne la partagent pas.


 


Deux des juges ont soutenu que le projet de développement portait bel et bien atteinte à la liberté de religion des Ktunaxa, mais ils ont aussi rejeté l’appel parce qu’ils estimaient que l’intérêt public et la liberté de culte avaient été bien équilibrés.  Un doute s’installe pourtant quant au compromis « raisonnable » : le projet de 900 millions de dollars protégé par la Cour suprême, n’honore-t-il pas prioritairement la divinité du Grand Capital, voire celle de Mammon ?  Ou plutôt, le Dieu d’inspiration protestante, protagoniste de la richesse comme signe indéniable du salut éternel prédestiné ?


 


Ultime contradiction inconsciente de la représentation canadienne du monde : tout cela remet en cause le bien-fondé du cerbère Dieu placé dans le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés.  Dieu et sa suprématie sont des croyances qui ne sont pas embrassées par tous les citoyens.  L’appartenance divine de la Constitution canadienne, ne rend-elle pas celle-ci illégitime puisqu’elle ne peut être appliquée logiquement à la totalité des citoyens, notamment les athées ou les agnostiques ?  En s’opposant ainsi à la liberté de conscience, l’autorité constitutionnelle opérative de Dieu n’est-elle pas usurpatrice du droit naturel des gens ?


 


Le peuple québécois, qui a recherché l’accommodement avec le Canada anglais pendant deux siècles, n’est-il pas en droit de mettre fin à la consultation verrouillée par l’autre partie, inflexible dans son importation unilatérale de la Constitution canadienne en 1982 ?  Dans sa prétention absolutiste, Pierre Elliott Trudeau était convaincu que la constitution augmentée de sa chère Charte canadienne des droits et libertés était si parfaite qu’elle devait durer au moins 1 000 ans.  La croyance au régime fédéral adopté il y a 150 ans n’a pas à être protégée, dont les pratiques idéologiques ou financières qui en découlent, spécialement son culte du multiculturalisme postnational.  L’existence du peuple québécois, qui est intrinsèquement souverain, n’est pas soumise à Dieu ubiquitaire par l’intermédiaire de la charte fétichiste.  On ne peut reconnaître un droit de veto aux ventriloques politico-judiciaires de l’entité « surnaturelle » canadienne.


 


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  Se voulant agent de transformation, Marc Labelle présente sur les valeurs et les enjeux fondamentaux du Québec des réflexions stratégiques, car une démarche critique efficace incite à l’action salutaire. Ses études supérieures en sciences des religions soutiennent son optique de penseur libre.





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1 commentaire

  • Le Gaïagénaire Répondre

    13 novembre 2017

    Excellent:

     "Ou plutôt, le Dieu d’inspiration protestante, protagoniste de la richesse comme signe indéniable du salut éternel prédestiné ?"