Wallonie

L’indépendance à reculons

Belle leçon sur l’importance de maîtriser son destin.

Chronique de Richard Le Hir

Ce que l’exemple Wallon nous montre, c’est qu’il vaut mieux s’en aller avant de se faire montrer la porte.
Les Québécois seraient bien avisés de suivre attentivement ce qui se passe en Belgique ces jours-ci. Ce pays est en effet plus proche que jamais de l’implosion. À couteaux tirés depuis toujours, Flamands et Wallons sont au bord du divorce et le « pire » semble désormais inéluctable, comme nous l’annonce déjà depuis un certain temps José Fontaine, le correspondant de Vigile dans ce pays, et le confirme désormais Le Monde.
A priori, on serait tenté de croire que cette issue convient aux deux parties, et que les Wallons francophones seraient heureux d’échapper à l’oppression grandissante des Flamands néerlandophones. L’affaire est hélas beaucoup plus compliquée que cela, notamment parce que l’engagement des Wallons envers la Belgique est plus grand que celui des Flamands, pour toutes sortes de raisons qui trouvent leur fondement dans l’histoire.
Il fut un temps où c’étaient les Wallons qui tenaient le haut du pavé en Belgique. C’était l’époque où la Belgique avait encore de grands intérêts miniers dans sa colonie du Congo et une industrie lourde très forte pour un aussi petit pays. Le grand mouvement de décolonisation qui secoua l’Afrique dans les années 1960 fut particulièrement dur pour les intérêts belgo-wallons, et les problèmes structurels de l’industrie, notamment au chapitre de la compétitivité, leur portèrent un coup dont la Wallonie n’est jamais parvenue à se relever.
De leur côté, les Flamands sont parvenus à reconvertir leur base économique avec succès et la Flandre est désormais la locomotive économique de la Belgique. Leur reste maintenant à traduire ce pouvoir économique en pouvoir politique, et c’est ce à quoi ils s’appliquent systématiquement en resserrant l’étau chaque jour davantage sur la Wallonie.
Jusqu’ici, la Wallonie s’est appuyée sur le fédéralisme pour tenter de résister à la montée en puissance de la Flandre. Mais les Flamands, majoritaires, coupent dans les programmes de transfert et contestent de plus en plus l’existence même de la Belgique, dont l’existence les oblige à un certain partage de leur richesse collective.
Rajoutez à cela les rancoeurs linguistiques et vous avez, réunis, tous les ingrédients d’un coquetel explosif.
Pour nous Québécois, cette situation a quelque chose de profondément déconcertant. A priori, langue oblige, nous serions tentés de prendre partie pour les Wallons francophones.
J’eus l’occasion de me rendre compte que les choses n’étaient pas si simples lors d’une mission d’affaires en Belgique dans les années 1980. En visite dans une grande entreprise de Louvain (donc en pays flamand), j’étais reçu par le propriétaire avec qui je parlais fort naturellement en français, lui-même le parlant très bien.
Ayant exprimé le désir de visiter l’usine, je fus confié à la charge du directeur de celle-ci. Même si je connaissais l’existence des tensions linguistiques en Belgique et que je me trouvais en Flandre, je m’adressai en français à mon guide qui me toisa aussitôt d’un regard très froid et me répondit sèchement en anglais.
Je compris tout de suite que j’avais commis un impair et je poursuivis dans cette langue en lui précisant que je n’étais pas Belge (il paraît que j’ai le type), mais Québécois. La froideur de mon guide laissa aussitôt place à la chaleur, et il entreprit de lui-même de poursuivre la conversation en français qu’il maîtrisait parfaitement, avec cet accent traînant, si facile et amusant à caricaturer, « savez-vous ».
Attablés devant une bière à l’issue de la visite (je visitais Stella Artois), mon guide me pressait de questions sur le Québec dont il se disait un grand admirateur, m’entretenant avec conviction des mérites de la Loi 101 ! À l’écouter, le Québec était un modèle pour la Flandre. Je vis ce jour-là s’écrouler quelques pans de mes belles certitudes sur le fonctionnement du monde…
La Belgique s’achemine maintenant vers son éclatement. Ce sera le premier pas vers la désintégration de l’Europe. Car il ne faut pas s’y tromper. Le même réflexe qui amène la Flandre à couper les vivres à la Wallonie amènera bientôt l’Allemagne à les couper à la Grèce, à l’Espagne, à la Hongrie, et à toutes les autres économies chancelantes d’Europe.
Quant aux Wallons, ils se retrouveront sans Belgique, et faute de s’être défini une identité forte en tant que Wallons (mais c’était peut-être impossible), ils seront condamnés à se rallier à la France qui n’en demandait pas tant.
Belle leçon sur l’importance de maîtriser son destin.
Le Québec n’est pas dans le cas de la Wallonie, accotée à la France. Le Québec est très isolé par sa langue et sa culture dans un océan anglophone. L’identité est là, même si elle est de plus en plus menacée, trop souvent hélas par nous-mêmes. de plus, le Québec est riche et dispose des ressources pour être capable de voler de ses propres ailes. Il pourrait même s'en sortir mieux tout seul.
Comme le montre le cas de la Belgique, les arrangements politiques ne sont pas éternels. Si la Belgique peut disparaître, après l’URSS, la RDA, la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et bien d’autres, le Canada peut disparaître lui aussi.
Ce que l’exemple Wallon nous montre, c’est qu’il vaut mieux s’en aller avant de se faire montrer la porte, ou de se faire avaler tout rond.


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • @ Richard Le Hir Répondre

    11 septembre 2010

    Réponse à M. José Fontaine.
    Je vous remercie de vos précisions. J’ignorais cette subtilité de l’existence d’une bourgeoisie flamande francophone qui s’est re-flamandisée de même que le penchant historique des Wallons pour le socialisme, qui ont tous deux pour effet de brouiller les cartes, surtout pour des étrangers. Mieux instruit, je saurai me montrer plus prudent une prochaine fois.
    Cela dit, pour les Québécois, la leçon sur l’importance de maîtriser son destin demeure la même. C’est une leçon que les Flamands avaient comprise, et ils sont devenus les plus forts. Les Wallons, plus faibles, ont mis leurs espoirs dans le fédéralisme, et ils se rendent compte que, loin de les protéger et de leur assurer l’égalité, il est au service des plus forts.
    C’est une réalité que nous, Québécois, connaissons bien, et de laquelle un certain nombre d’entre nous cherche à s’affranchir. Si les Wallons commencent à comprendre à leur tour, tant mieux pour eux.
    Quant aux effets du néo-libéralisme sur l’unité européenne, vous verrez bien que le jour où les pays les plus riches (lire d’abord et avant tout l’Allemagne) réaliseront qu’ils doivent payer pour les plus pauvres, ils se rebelleront et refuseront de le faire. Nous avons déjà assisté au cours des derniers mois aux manifestations de ce phénomène qui menace d’ailleurs le leadership d’Angela Merckel. On lui reproche en effet dans son pays d’avoir déjà trop donné.
    Quand plusieurs pays se cotisent pour aider un pays plus pauvre, ça passe encore. Mais quand un seul pays se retrouve à devoir payer la note pour tous les autres, ça ne marche plus. Et c’est exactement le portrait qui se dessine à l’horizon. L’ennui, c’est que l’Allemagne risque alors de se retrouver seule face à ses vieux démons. Sur la base des expériences historiques, ce n’est pas nécessairement la meilleure des perspectives.
    Richard Le Hir

  • José Fontaine Répondre

    11 septembre 2010

    Cher Richard Le Hir,
    Je viens seulement de lire votre article: dans ma chronique du samedi j'y rectifie un peu cette idée que les Wallons auraient dominé la Belgique.
    C'est parce qu'on les assimile aux Francophones belges en général (dont une majorité de Flamands au départ de l'histoire du pays, pas seulement dans les conseils d'administration des entreprises et les gouvernements mais même aussi dans la littérature belge de langue française).
    Le déclin de la Wallonie n'est pas non plus lié à la perte du Congo, mais a des causes endogènes (l'épuisement des mines de charbon) et extérieures, la prise de pouvoir par une bourgeoisie flamande francophone déjà prépondérante dans la bourgeoisie belge en général et qui s'est flamandisée en étant ensuite rejointe par une bourgeoisie flamande plus neuve.
    Cette bourgeoisie a investi une grande partie des ressources étatiques belges en Flandre puisqu'elle dominait l'Etat, allant même jusqu'à créer en Flandre des industries directement rivales d'industries wallonnes (le complexe sidérurgique de Sidmar dans la région de Gand: cet investissement a failli tuer la principale industrie wallonne jusqu'à tout récemment et qui est toujours florissante malgré ce coup de poignard). La seule arme des Wallons a été la grève générale et effectivement le fédéralisme (ce qui ne correspond pas à l'image que l'on se donne d'un peuple dominant). Ce sont les Wallons qui ont avantage à rompre avec la Belgique. Ils recommencent à en être conscients.
    Ceci dit, je ne sais pas si cela présage de la destruction de l'Union européenne
    devenue antipathique à cause de son néolibéralisme mais qui a été au départ une volonté populaire pour dépasser les nationalismes hostiles et guerriers en Europe.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 septembre 2010


    Monsieur Le Hir,
    Vous répondez vous-même aux observations que vous me faisiez hier sur mon texte au sujet de l'État optimal du Québec.
    En 1998, à l'Université de Montréal où j'étais retourné pour des séminaires, un géographe belge de l'Université Libre de Bruxelles nous a fait un exposé sur les passations de pouvoirs entre Bruxelles, les Flandres et la Wallonie. Sa conclusion: La Belgique n'existe plus. Ces réalités ne deviennent de notoriété publique que des années plus tard comme vous voyez.
    Comme vous dites, la force d'inertie des institutions en place rend difficile l'acception de changements majeurs de structures politiques et économiques. De tels changements se produisent en fonction de nécessités qui n'ont pas de loi mais qui doivent se plier aux principes qui gouvernent toute stratégie d'État, les fameux treize principes que certains prennent pour de l'utopie.
    JRMS