L’indépendantiste en colère

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Pourtant, St-Germain a raison sur le fond : la stratégie péquiste du référendum est un échec


Je ne sais plus trop quoi penser de Christian Saint-Germain. Ça commence à ressembler à de l’acharnement, son affaire. Québec Circus (Liber, 2019, 200 pages) est, en effet, son quatrième essai sur le même sujet, avec le même propos et sur le même ton. En proie au désespoir devant une société québécoise qui s’abîme, selon lui, dans la déliquescence, le philosophe, pour conjurer le sort, a choisi de frapper sur presque tout ce qui grouille, grenouille et scribouille, comme dirait l’autre, dans le but, peut-on présumer, de provoquer une réanimation.


Indépendantiste sans concession, Saint-Germain, sur le plan socio-économique, est un homme de gauche à l’ancienne, scandalisé par les écarts de richesse et l’évasion fiscale, doublé d’un penseur conservateur quant aux enjeux dits sociétaux — il s’oppose notamment à l’aide médicale à mourir. Sur le plan stylistique, le pamphlétaire brille de mille feux, grâce à une prose nerveuse et chic, qui mélange allègrement références intellectuelles et culture populaire. Le lire est à la fois un délice et une épreuve. Le défoulement auquel se livre Saint-Germain est souvent drôle et pétillant, mais il se révèle aussi redondant et souvent injuste.


Le péché péquiste


Le Parti québécois (PQ), « pur produit du système politique canadien, verrue plantaire du fédéralisme », est celui qui reçoit les plus virulents assauts, mais les autres se font aussi bousculer. Saint-Germain vilipende le « marxisme d’opérette en sauce » et « l’écologisme en salade » de Québec solidaire (QS). Il brocarde ce « parti qui mettait la collecte sélective des déchets sur le même pied que l’indépendance nationale d’un peuple ».


Le Parti libéral (PLQ), pour sa part, est accusé de s’être « épuisé en asphaltage et en collecte de sang en faveur des médecins ». La Coalition avenir Québec (CAQ), enfin, s’attire le mépris du pamphlétaire puisque, « sur le plan constitutionnel, les caqueteurs avaient opté pour le nanisme harmonieux ».


Aux yeux de Saint-Germain, toutefois, le grand coupable de ce cirque politique reste le PQ et son « action perfide ». C’est l’amertume, évidemment, qui explique cette sévérité. Des partis fédéralistes (PLQ, CAQ) ou conditionnellement indépendantistes (QS), le partisan de la décolonisation n’attend rien qui vaille. Il se contente donc de les bafouer au passage. Du PQ, le parti fondé pour faire la souveraineté — le terme importe ici —, Saint-Germain espérait plus et mieux, d’où l’intensité de sa rancœur devant le ratage qu’il constate.



Qui saura instruire le procès des intellectuels et des “élites” pour s’être laissé endormir pendant quarante ans par le PQ ? Dès le 17 janvier 2018, les commentateurs de tout horizon se donnaient la main pour réveiller Blanche-Neige Lisée, sauver le harfang de l’empaillement au milieu des autres oiseaux de malheur du parti. Ce procès n’aurait évidemment jamais lieu. Les clowns tristes qui avaient mené le Québec au bord du précipice identitaire et présidé à sa faiblesse constitutionnelle au Canada étaient à l’étape des funérailles nationales. 




Le PQ, affirme le pamphlétaire, a « [corrompu] l’idée même d’indépendance » par son « inaction brouillonne ». Saint-Germain évoque « la fable péquiste » pour désigner le « souverainisme », qui, dit-il, « n’avait pourtant jamais été dans l’impasse, il en était une depuis le début des fanfaronnades de René Lévesque avec ses “amis d’en face”, d’Ottawa ou d’hier ».


L’indépendance, selon Saint-Germain, qui parle ici comme Pierre Falardeau, ne se négocie pas avec l’adversaire ; elle se gagne de haute lutte. Or, « incapable d’insuffler quelque esprit de rébellion ou de se poser comme contradicteur véritable de l’ordre canadien », le PQ a mené à l’épuisement de la cause et, à la longue, au « dérèglement de la société québécoise », devenue « prisonnière de ses revendications névrotiques traditionnelles et des signes précurseurs de la démence sénile ». Tous les péquistes, d’hier et d’aujourd’hui, passent dans le tordeur du pamphlétaire, qui ne sauve personne, sauf Martine Ouellet, « un défi permanent pour le reste des ti-gars qui bégayaient depuis deux cents ans ».


L’impasse du radicalisme


On voit un peu le problème, il me semble. Martine Ouellet, vraiment, comme si on pouvait faire de la politique efficace avec des principes mais sans souci du réel ? Saint-Germain croit-il sérieusement que c’est enfonçant dans le tas, au mépris dusentiment majoritaire, qu’on peutgagner une lutte aussi exigeante que celle de la libération nationale ? Croit-il vraiment que le radicalisme, en cette matière, soit la clé du succès ?


L’essayiste Pierre Vadeboncœur, peu suspect de mollesse indépendantiste, rejetait, en 1985, dans une lettre à Hélène Pelletier-Baillargeon, cette hypothèse. « Notre 40 % est un miracle, écrivait-il au sujet du référendum de 1980. C’est à cause de Lévesque, et de toutes les assurances données. Des imbéciles prétendent que l’autre méthode aurait mieux réussi. Ils ont tort. Le peuple, devant le moindre obstacle un peu sérieux, l’ombre d’un régiment par exemple, se serait dégonflé. Lévesque a tâté d’un chemin à équidistance de toutes les difficultés insurmontables. »


Il a échoué, reconnaît Vadeboncœur, mais sa méthode était « l’unique voie à suivre », étant donné la situation du peuple québécois. Le souverainisme mérite certes des critiques, mais pas un procès sauvage.









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