L’Irlande en faillite : des leçons pour le Québec

Crise de l'euro



Aux prises avec une situation financière catastrophique, l’Irlande a finalement cédé aux pressions de la communauté internationale et a confié son destin aux banquiers étrangers.
Le 18 novembre, l’Irish Times a résumé ainsi la situation dans son éditorial : « Après avoir obtenu notre indépendance politique de la Grande-Bretagne pour gérer nos propres affaires, nous avons maintenant capitulé et abandonné notre indépendance à la Commission européenne, à la Banque centrale européenne et au Fonds monétaire international. »
La veille, une équipe de 12 membres du FMI s’était enregistrée au luxueux Merrion Hotel de Dublin, bientôt rejointe par des fonctionnaires de l’Union européenne et de la Banque centrale européenne.
Les banquiers vont présenter un plan de secours de 80 milliards de dollars – ce qui ajoutera une dette de 81 000$ à chaque ménage irlandais – assorti de compressions budgétaires drastiques.
Un fonctionnaire de Bruxelles l’a qualifié de « Oliver Cromwell Package » du nom de celui qui a envahi et colonisé l’Irlande en 1649 avec une guerre d’une cruauté telle qu’elle est toujours vivace dans la mémoire de chaque Irlandais.
À la tête du Fianna Fail, un parti politique créé en 1926 pour consolider une indépendance acquise au terme d’un long et sanglant combat contre la Grande-Bretagne, le premier ministre Brian Cowen avait jusque là réussi à imposer d’importantes compressions budgétaires aux Irlandais en disant que c’était le prix à payer pour garder à distance les banquiers étrangers.
Il est contraint aujourd’hui de remettre le volant de l’appareil d’État entre les mains des financiers étrangers.
Comment en est-on arrivé là? C’est d’autant plus important pour les souverainistes québécois d’y voir clair que François Legault – qui s’apprête à créer un nouveau parti – et d’autres ténors de la « gauche efficace » avaient fait de l’Irlande le modèle économique à suivre.
La « Révolution tranquille » irlandaise
Longtemps considéré comme un pays arriéré, l’Irlande a connu sa « Révolution tranquille » au cours de la période 1988-1997. Un partenariat entre le patronat et les organisations syndicales avait permis, entre autres, des investissements majeurs dans l’éducation supérieure, si bien que plus de 40% de la population âgée entre 25 et 34 ans a complété l’université, le deuxième taux le plus élevé d’Europe.
Le pays a connu, au cours de cette période, un développement industriel important. Il s’est aussi signalé dans les nouvelles technologies et il exportait plus de logiciels d’ordinateurs que tout autre pays.
Comme au Québec, la « Révolution tranquille » irlandaise a reposé en bonne partie sur l’émancipation des femmes. En 1992, la légalisation des contraceptifs a conduit à une forte réduction du taux de fertilité. Les Irlandaises entrent alors massivement sur le marché du travail, renforçant les capacités productives du pays, jusqu’alors les plus faibles d’Europe.
La financiarisation de l’économie
Mais lorsque l’économie s’essouffle en 2000, le pays opère un virage majeur. Tout est mis en œuvre pour attirer les sociétés étrangères. L’impôt sur les sociétés est ramené à 12,5%, le niveau le plus bas d’Europe. La république autorise les multinationales à déclarer leurs profits dans le pays proposant le meilleur régime fiscal.
Les multinationales accourent. L’île attire un quart des investissements américains liés à l’ouverture de nouveaux sites. L’Irlande se hisse au rang de premier paradis fiscal mondial, devant les Bermudes, en termes de rapatriement de profits.
L’État favorise, comme aux États-Unis, le développement du crédit et de produits bancaires « novateurs » et, surtout, la spéculation immobilière. Bientôt, 17% des recettes de l’État proviennent d’impôts liés au secteur de la construction.
En 2006, au sommet du boom immobilier, la construction comptait pour le quart du Produit national brut et occupait un cinquième de la main-d’œuvre. En six ans, les prêts bancaires pour la construction et l’immobilier sont passés de 5,5 à 96,2 milliards d’euros, soit une croissance de 1,730%.
La bulle immobilière
Mais la bulle crève. En 2008, le chômage bondit de 85% et les recettes de l’État reculent de 13%. L’Irlande est le premier pays à entrer en récession. L’investissement chute de 15% en 2008, de 30% en 2009. Le PNB plonge de 3% en 2008, de 11% en 2009.
Le gouvernement prend des mesures drastiques. Baisse de 20% des salaires des fonctionnaires, réduction de 10% des allocations familiales et compressions dans les autres programmes sociaux. Le taux de chômage grimpe à 14%.
L’effondrement des banques coûte 30 millards d’euros, soit l’équivalent de l’ensemble des revenus fiscaux d’une année. Le déficit passe de 12% à 32% du PNB.
Aujourd’hui, environ 200 000 propriétaires de maisons ne peuvent rencontrer leurs paiements.
Des leçons pour le Québec
Pendant des années, François Legault et ses amis de la « gauche efficace » ont justifié leurs propositions de réduction d’impôts pour les entreprises en invoquant l’expérience irlandaise. L’Irlande était présentée comme le phare de la « nouvelle social-démocratie ». Nous voyons à quel désastre aurait conduit l’application d’un tel modèle au Québec.
Mais l’expérience irlandaise est riche d’autres enseignements pour la gauche québécoise. Ainsi, il n’est pas sans intérêt de méditer ces propos du journaliste Renaud Lambert parus dans Le Monde Diplomatique d’octobre 2010.

Il écrit : « Bien réelle, la colère des Irlandais peine à s’exprimer. L’identité des deux principaux partis politiques (le Fiana Fail et le Fine Gael) s’est construite autour de la question de l’indépendance – qui les a opposés; le consensus libéral les unit. Les syndicats, on l’a vu, ont appris les vertus du ‘‘ dialogue social’’. Et la population demeure à ce point préoccupée par le clivage catholiques-protestants qu’elle en néglige parfois les antagonismes sociaux. »

À lire
Les quatre vies du modèle irlandais dans Le Monde Diplomatique, octobre, 2010.
Ireland : The Rise & the Crash, New York Review of Books, 11 novembre 2010.


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