L'Oligarchie wallonne installée pour longtemps

Chronique de José Fontaine

Les «Belges» (Jules Destrée dit depuis août 1912 qu'ils n'existent pas, non sans être entendu), sont très fiers d'être un petit pays, estimant notamment qu'ils sont plus démocrates que les pays par exemple du système britannique où se dégage à chaque élection une majorité politique claire. Il est parfois dit que la Belgique est au contraire une démocratie «consociative» dont le principe nous rappelle Charles Bricman est « la neutralisation des tendances centrifuges à l'œuvre dans une société pluraliste par la coopération entre les élites dirigeantes des différents segments de la population ».
Collaboration entre élites ou Oligarchie?
Ce sont aussi des sociétés qui fonctionnent sur la base du consensus, où, dit-on, les minorités sont respectées. Plusieurs politologues mettent cela en cause estimant que les majorités claires qui se dégagent dans les systèmes britanniques ne sont pas nécessairement oppressives des minorités ni irrespectueuses des diversités, auquel cas, elles ne seraient plus démocrates.

Par ailleurs, comme on le voit en Wallonie et à Bruxelles, l'entente entre élites des divers groupes d'intérêt ou de partis politiques, finit par se prolonger en quelque sorte indépendamment des élections. Les gouvernements et même les parlements finissent par être désignés par un petit groupe de personnes à la tête des partis politiques. Comme ces partis côté wallon et bruxellois se maintiennent quasiment sans modifications fondamentales d'élections en élections, on peut se demander à quoi servent encore celles-ci. L'Oligarchie désigne non seulement les membres des gouvernements des entités fédérées (surtout en Wallonie), mais aussi les membres des Parlements eux-mêmes. Un groupe d'anciens mandataires politiques et d'intellectuels a décrit brièvement les tares d'un pareil système, bien sûr «consociatif», mais qui n'est plus démocratique.
L'Oligarchie wallonne et la monarchie belge
Sous la conduite du Premier ministre fédéral, le socialiste wallon Elio Di Rupo, les différents partis de l'actuelle coalition gouvernementale ont mis en scène du 4 au 21 juillet l'abdication d'Albert II puis la montée sur le trône de son fils Philippe en faisant couvrir par les médias publics et privés (forcés de suivre étant donné la nature glamour en même temps que politiquement importante de l'opération), l'ensemble de ce qui est apparu à tous les gens intelligents et un tant soit peu critiques comme une vaste farce. Il est toujours possible de réunir pour de tels spectacles assez de monde pour parler de foule «incroyable» et d'enthousiasme «inattendu» (qualificatifs entendus à la RTBF le 21 juillet). La ministre de l'intérieur a même pu lâcher un chiffre le 21 juillet au soir de 700.000 personnes qui concernaient les personnes rencontrées dans la rue toute cette journée à Bruxelles. Il a étonné tout le monde car personne n'a jamais vu ce jour-là une telle foule rassemblée en quelque lieu que ce soit. Et lors de l'apparition du nouveau couple royal au balcon du Palais de Laeken, sur l'heure de midi, la RTBF parlait d'un très modeste 8.000 personnes.

Au demeurant, la salle qui abrite la Chambre belge était bourrée à craquer lors de la prestation de serment (les sénateurs y siégaient aussi et toutes sortes de personnalités). Le lien entre les députés fédéraux et tout le pays est ce qu'il est mais donne fatalement l'impression que nous y sommes... représentés, même chez les plus sceptiques. Sur la base de la lecture par le futur roi Philippe des formules brèves de serment en néerlandais, français et allemand, suivie de la lecture d'un court discours, pratiquement tous les politiques ont jugé celui-ci capable de régner. D'autant plus que l'institution monarchique belge a perdu son autonomie comme le montrait Bart Sturtewagen dans De Standaard du 19 juillet.
Si au temps de Baudouin I (1950-1993), le roi avait la faculté de prendre (ou faire prendre) nombre d'initiatives (inspirer l'assassinat de Lumumba en janvier 61, l'envoi de troupe au Rwanda à l'automne 1990), d'exercer une vraie autorité, cela n'a déjà été que moins le cas pour son frère (1993-2013), et cela ne sera plus du tout le cas de son neveu. La question de savoir pourquoi l'Oligarchie politique wallonne et francophone tient encore à ce symbole mérite d'être posée. Peut-être est-ce pour ne rien changer.

Ou comme l'avouait un des notables politiques (pourtant socialiste), lors de la visite du roi Albert II à Liège (cette ville qui chassa pourtant Léopold III), «parce que ce pays a besoin de stabilité». «Tout conservateur, toute personne au pouvoir avant tout et surtout» ajouterais-je. Et chez nous certaines personnalités politiques peuvent être au pouvoir (ministres ou plus encore présidents de partis, bourgmestres), parfois vingt ans, trente ans. Avec des sondages à la noix qui mesurent leur présence dans les médias à la suite d'une question équivoque supposée mesurer leur popularité. C'est ainsi que le Premier ministre, la ministre de l'intérieur, le ministre des affaires étrangères et la ministre des affaires sociales étaient déjà jugées populaires il y a 13 ans. L'ayant dit devant ma belle-fille qui est africaine, je me suis vu répondre par ma jolie bru que c'était la même chose en Afrique, pays du consociationisme triomphant, comme l'on sait.
Les élections de mai 2014
En mai 2014 et dorénavant il en sera toujours ainsi, les citoyens seront invités à voter dans les trois Régions et la Communauté germanophone, au fédéral et à l'Europe. En Wallonie, l'Oligarchie en place a réussi à neutraliser d'avance les résultats de ces élections qui sont donc sans enjeux, sauf surprise peu probable d'une percée d'un parti jusqu'ici marginal, le Mouvement de gauche de Bernard Wesphael ou du PTB, parti unitariste de gauche. En Flandre, il est d'ores et déjà acquis selon Bart Sturtewagen [[Journal De Standaard du 2 août]] que la NVA fera un gros score. Il semblerait selon lui qu'elle hésiterait alors entre deux options, soit la formation d'un gouvernement avec les libéraux wallons en vue de mettre en oeuvre dans toute la Belgique une politique de droite encore plus dure que celle menée actuellement dans le cadre de l'inutile austérité européenne (qui est même dangereuse car elle ne relance pas les économies). Soit la révision immédiate de l'article de la Constitution belge qui doit en principe lister les compétences exclusives du fédéral qu'elle souhaiterait réduire au minimum.

Les Wallons auront donc un gouvernement dont ils ne peuvent même pas désigner la couleur. Le précédent a-t-il même besoin de s'expliquer sur son action? Dans cette élection de 2014, les Wallons vont désigner quatre Parlements différents : le Parlement wallon, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles [certes issu du Parlement bruxellois et wallon], le Parlement fédéral et le Parlement européen. Ce qui ressortira de ces élections dépendra aussi pour ces Wallons des résultats de Bruxelles (Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles), ainsi que des résultats en Flandre. On imagine la difficulté qu'auront les médias et la presse pour faire comprendre les résultats électoraux dans autant d'espaces publics, somme toute liés, même s'ils le sont de moins en moins : la Wallonie, Bruxelles, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Flandre, la Belgique, l'Europe, soit six. Sept si l'on y ajoute la Communauté germanophone. Cette complexité, le citoyen s'y perd. Il est heureux qu'on laissera choir l'Europe comme lors des élections récentes à ce niveau.

Même les élites le comprennent mal, assure-t-on. C'est tout profit pour l'Oligarchie qui table sur la confusion politique que vient clarifier un symbole comme la monarchie, certes émotionnellement fort, mais qui devient aussi mort qu'un drapeau qui ne serait brandi ni placé par personne, aussi irrationnel qu'un fétiche. Par-dessus le marché, les Etats fédérés seront contraints d'appliquer une politique d'austérité et leurs Parlements auront sans doute ratifié l'an prochain le traité européen d'austérité qui limite dans tout espace public le déficit public à 0,5 % des budgets. Personne n'est jamais mort de ses dettes mais il n'y a que les morts qui n'ont pas de dettes.
Pour la première fois de ma vie, je me pose la question de savoir si j'irai voter (le vote est obligatoire chez nous et celui qui n'accomplit pas son «devoir civique de voter» est passible d'une amende). Il me semble que le devoir civique le plus important dans le cadre de la démocratie dite «représentative» actuelle est justement aujourd'hui de ne pas l'accomplir étant donné l'inanité du système wallon, belge et européen d'où fuit chaque jour un peu plus ce que l'on n'osera un jour plus appeler la Cité [ Comme j'ai placé dans les images ci-dessus un paysage du Pays de Herve, il fallait que je donne la référence à cet article du journal Le Monde qui salua la sortie du film d'[Andrien. L'Oligarchie nous a pris cette Wallonie que nous aimons.]].

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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