Il y a quelque chose de tristement surréaliste dans l'impasse constitutionnelle qui perdure au Québec. En additionnant, en effet, les appuis à la souveraineté et ceux à un important renouvellement du fédéralisme, on obtient un résultat situé autour de 65 %. Malgré cela, c'est l'autre option, c'est-à-dire le statu quo, qui prévaut. Cela, évidemment, ne peut qu'engendrer une forme de lassitude quant à cet enjeu pourtant fondamental aux yeux d'une majorité.
Militant péquiste de longue date, ex-ministre de la Science et de la Technologie dans le gouvernement Lévesque et actuel vice-président des Intellectuels pour la souveraineté, Gilbert Paquette veut en finir avec cette inertie qui affaiblit le Québec. Pour ce faire, il propose, dans La Nécessaire Alliance, une démarche qui rallierait les souverainistes et les autonomistes, c'est-à-dire une forte majorité d'électeurs. Audacieuse, sa stratégie fait appel, dans une certaine mesure, au sens du compromis des souverainistes, mais elle interpelle surtout, au fond, ceux qui se réclament de l'autonomisme.
Pour l'heure, donc, c'est l'impasse. Souverainistes (Parti québécois et Québec solidaire) et autonomistes (ADQ et certains péquistes) s'entendent au moins sur une chose fondamentale: la nécessité d'un rapatriement de pouvoirs au Québec. Dans le cas des premiers, il s'agit de tous les pouvoirs. Quant aux seconds, si on se fie au programme de l'ADQ, ils parlent de «relations d'égal à égal avec Ottawa», de définir le Québec comme «État autonome du Québec» et proposent l'adoption d'une constitution et d'une citoyenneté québécoises, tout en appelant à l'établissement d'un véritable équilibre fiscal et à un important transfert de pouvoirs. Sur ces bases, Paquette suggère de «favoriser une convergence sur le plan national».
Le PQ, dans cette démarche, continuerait à défendre l'option souverainiste et l'ADQ, son programme autonomiste. Tous deux, cela étant, s'engageraient à participer à une consultation populaire, au moment d'élections ou plus tard, dans laquelle trois options seraient proposées à la population: l'accession du Québec à la souveraineté, le rapatriement au Québec d'une liste de pouvoirs et le statu quo constitutionnel. «Selon l'option qui recueillerait la majorité des suffrages, ajoute Paquette, le gouvernement du Québec, quel qu'il soit, s'engagerait, fort de l'appui populaire et de certains partis d'opposition, dans une négociation avec le gouvernement fédéral sur une base de rapatriement ou de souveraineté.»
L'avantage d'une telle démarche, selon son concepteur, serait de permettre d'additionner les votes souverainistes et autonomistes au lieu de les diviser. Ce que Paquette omet de prendre en compte, toutefois, c'est que cette conclusion n'aurait de légitimité que dans la mesure où l'option autonomiste remporterait la mise et serait suivie de l'option souverainiste, dégageant ainsi une majorité en faveur d'un changement constitutionnel.
On peut présumer, en effet, qu'aucune des trois options n'obtiendrait une majorité absolue. Si la souveraineté obtient plus de 50 % des votes exprimés, le problème est réglé. Même chose pour l'option du statu quo. Ces résultats, toutefois, dans l'état actuel des choses, sont peu probables. Aussi, il convient d'examiner les autres possibilités. Les deux plus plausibles sont les suivantes. La souveraineté récolte 40 %, l'autonomie, 30 % et le statu quo, 30 %. Dans ces conditions, il est peu probable que les autonomistes mous rejoignent les rangs souverainistes, et l'option Paquette tombe à l'eau. Imaginons un autre résultat: 30 % pour la souveraineté, 30 % pour l'autonomie et 40 % pour le statu quo. Les deux premières options ont beau, en s'additionnant, récolter une majorité, c'est tout de même la dernière qui obtient, en elle-même, le plus de suffrages, et l'option Paquette n'est plus légitime.
Victoire de l'autonomie
Pour fonctionner, donc, la stratégie de Paquette doit reposer sur une victoire de l'autonomie, accompagnée d'une bonne performance de la souveraineté. Ce résultat, d'ailleurs, et c'est ce qui rend la proposition intéressante, est le plus probable. Une fois celui-ci confirmé, il s'agirait, pour un gouvernement péquiste ou adéquiste, de négocier un rapatriement des pouvoirs avec Ottawa, avec obligation de résultat à la clé (un rapatriement réussi ou la souveraineté). En cas de succès, on se retrouve avec «l'État autonome du Québec», fort d'un statut particulier dans la fédération. Paquette, qui reste souverainiste, commente cette possibilité en deux temps: premièrement, il doute fortement qu'elle puisse aboutir et, deuxièmement, il affirme que, même si elle aboutit, le Québec, tôt ou tard, ira plus loin.
En recevant cette conclusion, plusieurs crieront à l'astuce souverainiste. Je ne partage pas ce jugement. Si, par hypothèse prudente, 35 % des Québécois sont autonomistes et 30 %, souverainistes, cela signifie que les deux tiers d'entre eux souhaitent plus de pouvoirs pour le Québec. Il est donc logique et légitime qu'ils s'allient pour les obtenir. En cas d'échec (fort probable), la clé de la solution appartient aux autonomistes. Le sont-ils vraiment ou usent-ils de ce terme uniquement par stratégie? Pour eux, le rapatriement de pouvoirs au Québec est-il nécessaire ou simplement préférable? En toute cohérence, d'authentiques autonomistes, devant un refus d'Ottawa, devraient se résoudre, une fois pour toutes, à la souveraineté. Mais les adéquistes appartiennent-ils à cette catégorie? Pour certains d'entre eux, c'est sûrement le cas, mais au sujet des insaisissables leaders de ce parti, la question se pose. À eux, donc, d'y répondre, sans détour. Si la concrétisation de leur option s'avère impossible, auront-ils le courage d'aller de l'avant avec la souveraineté ou abdiqueront-ils en se rabattant sur l'espoir d'accéder à la gouverne du déclin provincial?
Si elle peut paraître fastidieuse et un peu compliquée, l'alliance proposée par Gilbert Paquette a le mérite de relancer un débat nécessaire, sur des bases originales, qui permettent aux acteurs concernés de ne pas trahir leurs convictions respectives et de respecter la démocratie. Dernière chance au fédéralisme? Couteau sur la gorge? Sortie de secours? Pédagogie active de la souveraineté? Elle est un peu tout ça, mais de manière actuelle et volontaire.
Gilbert Paquette, on le sait depuis sa candidature à la course à la direction du Parti québécois en 2005, n'est pas un homme charismatique et flamboyant. À son image, son essai ne brille pas par son charme, mais par un contenu qui invite à la réflexion et, peut-être, à l'action.
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louisco@sympatico.ca
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La nécessaire alliance
Gilbert Paquette, Les Intouchables,, Montréal, 2008, 152 pages
Essais québécois
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