L’ultradroite démasquée

La Dépossession tranquille

Ce que même la CSN qualifie de « montée de la droite » n’en est pas réellement une. Ce n’est pas la droite comme telle qui monte, mais plutôt sa forme la plus extrémiste. La droite, elle, est au pouvoir depuis le début des années 80, nous imposant ses désassurances, son libre-échange, son déficit zéro se faisant sur le dos de la classe moyenne et des moins nantis, ses baisses d’impôts aux plus riches, ses hausses de tarifs pour les autres, son dogme de la productivité (qui profite aux patrons, évidemment), sa valorisation de l’enrichissement individuel, son à-plat-ventrisme devant les compagnies étrangères. Cette droite, on la connaît, on vit avec.

La nouveauté, en 2010, est plutôt la montée d’une ultradroite tellement radicale et qui s’auto-nourrit d’un discours à ce point extrême qu’il lui faut modifier jusqu’à la réalité pour pouvoir tenter de faire passer ses folles idées auprès de la population. Tentant de profiter du sempiternel sentiment d’identification des Québécois pour le concurrent négligé, elle se présente comme étant minoritaire au sein d’une société dominée par la gauche alors que n’importe quel individu ayant un minimum de conscience politique comprend que c’est plutôt son extrémisme de droite au sein d’une société déjà largement de droite – avec tous ses médias et partis politiques – qui l’isole.
Par exemple, considérons ce fait divers qu’était la présence du seul député d’une formation de gauche, Amir Khadir, à une manifestation de l’organisme Palestiniens et Juifs unis lors d’une campagne de boycottage des produits israéliens sur le Plateau. Cette histoire a été montée en épingle d’abord par Éric Duhaime – un agent à la solde d’organisations paravents de la CIA, selon certains -, pleurant le sort du « pauvre » commerçant vendant les produits de l’apartheid israélien et demandant aux gens d’aller acheter en masse ses produits. Bock-Côté, lui, à qui les médias n’accorderaient certainement pas la moindre attention s’il ne tenait pas un discours résolument de droite, parlait « d’hostilité viscérale à la civilisation occidentale ». On oublie systématiquement de parler des atrocités israéliennes, du lent génocide que ce pays impose aux Palestiniens. On ne parle pas non plus du fait que Khadir est présent à une foule de manifestations pour le sort des défavorisés, qu’ils soient du Québec ou d’ailleurs dans le monde. Non. Khadir dans le coin rouge, le pauvre commerçant et la civilisation occidentale dans le coin bleu.
En fait, l’ultradroite, face à un monde de plus en plus complexe, fait de la simplification à outrance sa véritable marque de commerce. On peut lire, par exemple, Ian Sénéchal, co-fondateur du Réseau Liberté-Québec (sic), affirmerla légitimité pour les baby-boomers de ne plus avoir à payer pour l’éducation de la génération suivante et lancer un véritable plaidoyer en faveur de l’utilisateur-payeur. Ce type de discours plaît à une certaine frange de la population – souvent moins éduquée – parce qu’il est simple: j’utilise, je paie. Mais ce type de raisonnement n’en est pas moins con pour autant. Ce n’est pas la liberté que de réclamer de ne rien payer pour son voisin; c’est de l’égoïsme qu’on désire ériger en système et une désintégration sociale. Jusqu’où cela pourrait-il aller? Je paie pour l’asphalte dans ma rue, mais pas pour la rue derrière. Je paie pour le feu de circulation au coin de ma rue, mais pas pour celui sur l’autre rue. Je n’ai pas de voiture alors je ne veux pas de rue devant chez moi. Je réclame la liberté de ne pas arrêter à un feu de circulation qu’on m’impose. Je n’utilise pas les services policiers alors je ne paie pas pour eux. Je n’ai pas d’enfants alors je ne veux pas payer pour les balançoires dans les parcs. Je, je, je.
La complexité et l’interdépendance des relations entre les citoyens au sein de notre société découlent d’une compréhension issue de décennies de luttes sociales: l’individu, isolé, est faible. C’est collectivement que nous sommes forts. Le capitalisme sauvage du 19e siècle, véritable machine à broyer les hommes, encourageait cet isolement. Le résultat était que Montréal était la ville avec le plus haut taux d’analphabétisme et de pauvreté infantile en Amérique du Nord. L’ultradroite salive juste à penser à cette merveilleuse époque où l’État était minimal et où l’argent pouvait tout payer et où on pouvait crever de froid et de maladie tout en sachant que son voisin, plus riche, avait la « liberté » de se payer bien mieux.
Si notre société a évolué, si le Québec jouit aujourd’hui d’un niveau de vie parmi les plus élevés au monde, c’est précisément à cause de politiques étatiques redistributrices de la richesse et luttant contre le principe de l’utilisateur-payeur. C’est parce que l’État a décidé de brimer la soi-disant liberté d’une minorité que la majorité s’est élevée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si tous les pays ayant un haut indice de développement humain ont un État relativement fort tandis que des pays sans État, comme la Somalie, croupissent dans les bas-fonds d’à peu près tous les classements du genre. On entend peu l’ultradroite vanter la Somalie, pourtant. Un si beau pays où personne ne paie pour personne. Autre preuve de sa malhonnêteté.
En rejetant ces compromis, en faisant passer leur désir infantile d’une toute-puissance égoïste que la plupart des individus sains d’esprit ont laissé tomber en même temps que le passage des couches au petit pot, cette ultradroite ne s’en prend pas seulement aux partis politiques traditionnels, mais également aux fondements de notre société.
Heureusement pour elle, nous sommes en démocratie. Elle a le droit, à l’image des marxistes-léninistes, son équivalent de l’opposé du spectre politique, de crier son mécontentement et d’appeler à des solutions radicales pour mettre fin à des problèmes qui sont davantage tributaires d’une forme d’autisme politique de ses membres que d’une compréhension sociétale avancée.
Et l’État – ce méchant appareil gauchiste – pourra même assurer leur protection la prochaine fois qu’ils tiendront des rencontres où ils vomiront leur haine de tout ce qui est le moindrement syndiqué et qu’ils élaboreront le merveilleux programme d’un Québec du futur avec ses citoyens isolés, brisés, non-syndiqués, vivant dans la pauvreté et ayant enfin la liberté de ne rien faire du tout sinon de quêter des trente sous.


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