Robert Bourassa avait coutume de dire, le sourire en coin, que les intérêts du Québec coïncidaient avec ceux du PLQ. Nathalie Normandeau, qui a fait ses premiers pas en politique au bureau de l’ancien premier ministre, en avait sans doute pris bonne note.
Depuis le témoignage de l’entrepreneur Lino Zambito, au tout début des travaux de la commission Charbonneau, sa comparution était attendue avec grande impatience et il faut reconnaître qu’elle s’est remarquablement bien défendue, avec tout l’aplomb qu’elle manifestait durant sa meilleure période à l’Assemblée nationale.
Si Mme Normandeau s’est cassé les dents sur le dossier du gaz de schiste, son précédent passage au ministère des Affaires municipales avait été célébré, au point que plusieurs voyaient en elle une sérieuse prétendante à la succession de Jean Charest. À entendre son témoignage de jeudi, il était facile de comprendre pourquoi elle était si populaire en région.
L’ancienne ministre a expliqué qu’elle utilisait son « pouvoir discrétionnaire » pour faire contrepoids à celui des fonctionnaires qui, avec leurs normes mur à mur, ne tenaient pas compte des réalités particulières du monde rural, de la capacité de payer et de la qualité de vie des contribuables des petites municipalités, où c’était parfois le « tiers-monde » en ce qui concerne les infrastructures.
Qui plus est, la région dont elle était personnellement responsable, la Gaspésie, avait un taux de chômage de 22 % quand elle est entrée en fonction, ce qui justifiait bien un petit coup de pouce. Bref, elle se voulait une véritable Robin des Bois des régions.
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À première vue, 32 interventions pour imposer l’octroi ou la majoration d’une subvention sur un total de 708 dossiers semblent constituer un pourcentage très raisonnable, voire modeste. Le problème est que les bénéficiaires de ces subventions étaient presque toujours les mêmes firmes de génie-conseil, notamment le groupe Roche, dont les représentants fréquentaient assidûment les cocktails de financement de Mme Normandeau.
Un ancien ingénieur de Roche et de BPR, qui a témoigné de façon anonyme devant la commission, a expliqué que son expertise était précisément d’aider les municipalités de l’est du Québec à mener à bon port les demandes de subvention dont sa firme allait éventuellement profiter. Ces mêmes municipalités dont les élus étaient traités aux petits oignons par les firmes de génie-conseil.
Mme Normandeau a dit être « révoltée » par la « magouille » à laquelle ces dernières se seraient livrées à l’insu du ministère et d’elle-même. En sa qualité d’ancienne mairesse de Maria, il est cependant difficile de croire qu’elle était à ce point ignorante de ce qui se passait dans les petites municipalités gaspésiennes.
Elle n’est tout de même pas née de la dernière pluie. À l’en croire, son ancien chef de cabinet, Bruno Lortie, en qui elle avait une « confiance absolue », aurait tout manigancé derrière son dos avec l’ancien ministre Marc-Yvan Côté, alors vice-président au développement des affaires chez Roche et grand collecteur de fonds du PLQ.
Si elle ignorait que les deux hommes se considéraient comme père et fils, elle savait néanmoins qu’ils étaient bons amis, et la réputation de M. Côté, expulsé à vie du Parti libéral du Canada à la suite des révélations de la commission Gomery sur les commandites fédérales, n’était plus à faire. Dans les circonstances, un minimum de vigilance aurait dû s’imposer, mais Mme Normandeau n’a pas eu de « discussion spécifique » à ce sujet avec son chef de cabinet.
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De son propre aveu, elle était « très en demande » dans les activités de financement du PLQ. Personne ne conteste le charme personnel et les qualités humaines de l’ancienne vice-première ministre, mais elle aurait certainement été moins sollicitée si elle avait été responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes.
Elle a dit ignorer que les contributions des firmes de génie-conseil dans sa circonscription de Bonaventure, le groupe Roche au premier chef, avaient grimpé en flèche quand elle est devenue ministre des Affaires municipales et que les avantages obtenus par ces firmes avaient augmenté en proportion. Qui plus est, M. Côté participait activement à l’organisation de ses activités de financement.
Tout en reconnaissant qu’« au plan des perceptions, cela peut sembler étrange », elle assure qu’un « mur infranchissable » séparait ses activités de ministre de ses activités de militante libérale. Bien sûr, elle n’était pas naïve au point de croire que des gens aussi généreux n’espéraient pas un retour d’ascenseur, mais si un heureux hasard voulait que les intérêts des régions coïncident avec ceux du PLQ et de ses contributeurs, tout le monde était content, non ?
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