LES CITOYENS N'ONT AUCUN POUVOIR, PAS MÊME CELUI DE PENSER

La « démocratie », la comprendre pour mieux la combattre

Après l'arrestation d'Alain Soral, Hervé Ryssen en taule

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Chronique de Rémi Hugues

          YouTube et Twitter ont supprimé pléthore de comptes classés à lʼextrême-droite, accusés dʼêtre des excroissances de la bête immonde dont le ventre serait toujours fécond. « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté », le sentence de Saint-Just reste dʼactualité.


Et les plateformes de ce censurer identitaires, Dieudonné, Soral, d'enfermer ce dernier pendant quelques jours, puis est arrivée la nouvelle que l'essayiste Hervé Ryssen a été emprisonné, le vendredi 18 septembre 2020.


On relèvera, suite à cette curée, le commentaire posté le 10 juillet sur Twitter dʼun autre transfuge du parti frontiste, Julien Rochedy : « La démocratie n’est décidément qu’un vain mot qui impose les siens et interdit les autres. »


Lʼancien dirigeant du FNJ note au fond quʼen régime démocratique la vox populi, qui du fait du progrès technique peut aujourdʼhui aisément sʼexprimer publiquement, nʼest en fait pas invitée à avoir voix au chapitre. On la bâillonne systématiquement. La République a su manœuvrer afin de lʼétouffer.


Par lʼexpression « Vox populi, vox Dei », les romantiques se sont évertués à concilier le mode de désignation moderne des gouvernants avec le principe de la monarchie de droit divin. Victor Hugo, par le truchement de la littérature, sʼefforça de donner le change à Jules Michelet, le grand historien du roman national de légitimation de la démocratie française, et de la république, fille de la révolution.


Le régime représentatif, fondé sur le suffrage universel, présuppose non seulement la compétence morale du peuple, mais aussi la faculté technique des masses, leur capacité de discernement, leur souci de lʼintérêt général, et leur propension à saisir en un clin dʼœil les enjeux les plus cruciaux de lʼheure.


Le système moderne des élections nʼa rien à voir avec lʼantique démocratie athénienne – modèle parmi les modèles pour un Benjamin Constant, pour qui Périclès était un héros –, qui sʼappuyait sur le mécanisme du tirage au sort – duquel devait sourdre la décision des dieux –, et sʼappliquait à une population homogène du point de vue socio-ethnique.


La philosophie de la foule porte un nom, la doxa, et en aucun cas elle ne saurait être la meilleure conseillère. Quand Caïphe voulut obtenir la tête de Jésus-Christ, il sʼadressa à la plèbe judéenne, pour son grand profit. Et cette dernière de sauver la peau du partisan de la révolution matérialiste, du mouvement de libération nationale, hic et nunc des corps, Barabas, au détriment de la Révolution spirituelle, la rédemption des âmes, proposée par le Logos rédempteur.


Cʼest lʼochlocratie qui a mis à mort ce dernier,* puissance barbare à laquelle Ponce Pilate en fut réduit à sʼaligner. Il dut en un sens abdiquer, sʼen laver les mains, faux-fort et vrai-faible quʼil était, aller à lʼencontre de son propre pressentiment, de lʼa priori favorable quʼil éprouvait vis-à-vis du Fils, face à un pouvoir qui le surpassait.


Du haut de son autorité, il nʼétait rien comparé au pouvoir de la plèbe, habilement orienté par les élites sacerdotales locales.


Cet épisode, le Sanhédrin éternel, héritier de lʼalliance de Barabas – le glaive – et de Caïphe – le fléau – qui sʼest cristallisé au mitan du XXème siècle en un État disposant de relais dans chacun des centres dʼimpulsion de la mondialisation, lʼa gardé en mémoire. Il a compris que lʼinstrumentalisation des masses est le meilleur moyen dʼobtenir la concrétisation de ses aspirations profondes. En atteste la campagne médiatique totalitaire que lʼon a vécue au moment du déconfinement, suite au décès de George Floyd, savamment orchestrée par un autre George, Soros.


De Pirké de Rabbi Éliézer au Discours de la servitude volontaire de La Boétie, est contenue implicitement lʼidée selon laquelle la « demande » subsume lʼ « offre ». Précisons bien : non en termes économiques mais en termes politiques. Le fond du raisonnement consiste à établir que, de façon ontologique, cʼest le gouverné qui choisit son gouvernant.


On trouve là le fil dʼAriane du paradigme démocratique. À rebours, quand la tradition nationaliste héritière de lʼAction Française pose que les rois ont fait la France et quʼelle se défait sans roi, elle se situe dans lʼautre camp, celui qui place lʼoffre au-dessus de la demande, le gouvernant subsumant le gouverné.


Ce qui nʼest pas sans rappeler Thomas Hobbes et son notable Léviathan. Monstre des mers assimilable à la patrie de son auteur, lui qui était originaire des Îles britanniques, de cette grande puissance thalassocratique, il devient à lʼorée des temps modernes lʼallégorie inspirée de la Bible – du livre de Job plus précisément – du concept dʼÉtat, ce monstre froid atteint par cette pathologie que lʼon appelle la mythomanie.


Preuve en est, lʼÉtat démocratique se prétend lʼincarnation de la généralité du peuple, alors quʼil est un instrument monopolistique de coercition physique et psychologique détenu par une minorité très organisée qui sʼefforce de rendre légitime son entreprise de domination matérielle et symbolique. Sa force destructrice, il lʼappelle Loi. Ses administrateurs, essentiellement par le moyen de la cooptation, se fait passer – avec succès dʼailleurs – pour la patrie dans son ensemble.


Dʼoù lʼexpression formidable chère à Charles Maurras : lʼinfâme coterie, dont lʼÉtat est lʼémanation, et qui gouverne de façon tyrannique sous les apparences de la Démocratie est le Pays légal. Avant lui, dans Les luttes des classes en France (1848-1850), au tout début du texte, évoquant les capacités, cʼest-à-dire les professions libérales, Karl Marx se servit du syntagme « pays légal ».


Sans conteste, il nʼy a rien de plus démocratique que la théorie hobbesienne de lʼÉtat.


Elle dit que le pouvoir, au lieu de sa source transcendantale usuellement admise – Dieu –, tire son origine de la décision unanime de la multitude. Parce quʼils en eurent assez de lʼétat de licence consubstantiel à lʼétat de nature – dʼaprès le pessimisme anthropologique radical de Hobbes – les hommes se seraient soudainement mis à désirer lʼordre plutôt que la liberté sans frein, la sécurité à la place de lʼanxiété.


Rupture dans lʼétat de nature. Élan démocratique en faveur de lʼOrdre. Sous lʼimpulsion dʼune sorte de volonté générale, de désir unanime, du Démos lʼÉtat serait advenu ; à lʼÉden paradisiaque, Hobbes a substitué des temps primitifs caractérisés par une violence sans limite ; à lʼHomme-Dieu appelé Adam il a substitué lʼhomme-loup que lʼon pourrait baptiser Nemrod, ou Goliath, ou bien Héliogabale, ou encore Nabuchodonosor.


Ainsi lʼÉglise décida de mettre à lʼindex ce livre, qui indéniablement se trouve à lʼavant-garde du modèle démocratique, de la représentation moderne de la politique. En Angleterre, son influence concrète ne se réalisait pas tant dans lʼhomme-un, le souverain absolu, contrairement à une légende tenace, mais dans une collection dʼhommes, réunis au sein du Parlement.


Or cʼest à lʼancienne colonie, perdue en grande partie des suites du mouvement de libération nationale mené par Jeanne dʼArc la Sainte, que fut dévolu le rôle dʼexporter en direction du monde entier le système parlementaire, vite appelé système démocratique. Dʼune certaine manière la perfide Albion sous-traita à la France, qui pour Henri V, lʼami de Falstaff, était pour lʼAngleterre ce quʼétait lʼAlgérie aux yeux des partisans de lʼO.A.S., la tâche de diffuser urbi et orbi la pensée démocratique, en vantant les mérites dʼun régime – la République – que lʼAnglois ne fut pas assez sot dʼadopter sur le long terme ; le Commonwealth dʼOliver Cromwell ne fut quʼune brève parenthèse.


Voltaire ne loua-t-il pas, sous lʼinfluence de Bolingbroke et consorts, les vertus du régime politique qui existait outre-manche durant son époque, à travers ses Lettres anglaises ? En 1789, à la fin du ténébreux siècle des Lumières, les états généraux réunis autour du roi, lieutenant du Christ, furent transformés en Assemblée nationale, inaugurant un nouveau cycle de lʼHistoire.


Lʼeffort conjugué des esprits de Sion et Albion eut des effets patents sur le réel social et politique. Dʼune façon redoutablement efficace, il permit à ce nouvel esprit, produit de cette hybridation citée plus haut et étudiée en profondeur par un historien méconnu (Lionel Ifrah), de sʼinstiller sournoisement à lʼintérieur du monde occidental, duquel accoucha la « reine du monde », la dictature de lʼopinion publique, devenue aujourdʼhui tyrannie des réseaux sociaux, via le vote de toute une nation – enfin presque – pour ses représentants.


Charles Maurras fit remarquer que cette dictature de la majorité forgeait une loi nouvelle, toute capitaliste, une loi de lʼor, qui s’épanouissait sur le monceau de la décapitée, toute traditionnelle, toute aristocratique, loi du sang.


À la loi traditionnelle succède la loi moderne : la période moderne est le théâtre des grandes épopées capitalistes, où tous les coups sont permis, même les plus terribles, pour se constituer les fortunes les plus immenses possibles.


John Davison Rockefeller, fils dʼun marchand ambulant qui vendait des produits miracles – un charlatan, quoi – fit de sa Standard Oil un géant du monde des affaires et ainsi put devenir « roi du pétrole » par le truchement de manigances et coups de pression en tout genre.


Avant lui une esbroufe sans pareille permit à Nathan Bauer dit Rothschild de réaliser à la bourse de Londres, pendant la bataille de Waterloo, un coup de génie hors du commun qui depuis a fait frémir dʼenvie toutes les générations de coulissiers et autres agents vivant de lʼagiotage.


Or ces maîtres de lʼor, les Reinach ou Rothschild mentionnés par Maurras dans le premier numéro des Cahiers du Cercle Proudhon, qui tenaient, selon lui, la République dans leurs mains galbées de thésauriseurs, de Shylock du Marchand de Venise de Shakespeare ou dʼArpagon de lʼAvare de Molière, nʼomettent pas dʼappliquer pour eux ces lois du sang, stipendiant des prescripteurs dʼopinion à qui charge est donnée, au nom des sacro-saintes valeurs démocratiques, de vouer aux gémonies les idées de transmission familiale, dʼhéritage et de filiation.


Un examen rigoureux et honnête des faits ne peut que déboucher sur la conviction que la République nʼa pas aboli le principe dynastique en France. Au règne dʼune famille régnant de façon exotérique sʼest substituée une famille gouvernant d’une manière ésotérique.


Notre président de la République nʼest pas le véritable chef.


Dans sa jeunesse Macron a vite compris quel est le nom de cette famille. Son nom prestigieux lʼattira, il y commença sa carrière professionnelle dans la banque de la branche française de cette famille ; il put y rencontrer les Attali, Minc, Chertok etc., ces hommes dʼinfluence grâce à qui il lui a été permis dʼaccéder à la magistrature suprême en brûlant les étapes dʼun cursus honorum ordinaire.


Le parcours du président actuel illustre formidablement cette thèse de la continuation du principe dynastique en dépit du développement de la démocratisation des sociétés et des États. On la retrouve, cette approche, chez un historien qui sʼappelle Arno Mayer, dans une étude qui va de la IIème Révolution industrielle à la Première Guerre mondiale intitulée La persistance de lʼAncien régime.      


« Pendant tout le XIXème siècle et les premières années du XXème siècle, les grands bourgeois se sont constamment reniés en imitant et en sʼappropriant les comportements de la noblesse dans lʼespoir dʼy accéder. Les grands du monde des affaires et de la finance ont acheté des domaines, construit des châteaux, envoyé leurs fils dans les écoles et les universités dʼélite et adopté des poses et des styles de vie aristocratiques.


ls se sont aussi acharnés à pénétrer dans le haut monde de lʼaristocratie et de la cour, et à sʼunir par mariage à la noblesse titrée. Enfin, ils ont sollicité des dérogations et surtout des lettres patentes de noblesse. » Telle est, en condensé, la thèse que soutient lʼhistorien Mayer.


Pour ce qui concerne le cas français, il y montre que « la France est devenue une république à contrecœur en état de crise perpétuelle ». Et au sujet de ses nouveaux maîtres il écrit : « parmi ces détenteurs de fortune colossales on comptait […] Émile Péreire et Adolphe Fould, le roi de la sidérurgie Eugène Schneider et le banquier anobli, le baron Alphonse de Rothschild. »


Et Mayer dʼinsister sur la famille de ce dernier : « La clan Rothschild disposait de six domaines avec château dans la seule région parisienne. Si peu dʼautres dynasties de fortune récente pouvaient sʼenorgueillir dʼautant de domaines, les nouveaux notables étaient néanmoins en grande partie responsables du foisonnement de châteaux après 1848. »


Mais depuis que cette oligarchie financière a pris le pouvoir, il y a des voix libres – parmi lesquelles Pierre-Joseph Proudhon, Karl Marx, Maurice Barrès, Charles Maurras, Émile Zola ou Léon Bloy – qui avertissent leurs contemporains et la postérité que la démocratie est en dernière instance le pouvoir non du peuple mais de ceux qui, enrichis par le Crédit et la Bourse, le manipulent.




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