La France partie, nous, Québécois, avons pris la relève

Tribune libre



Dans De bello gallico , premier chapitre, Jules César mentionne la Belgique comme la première des Gaules: Omnis Gallia est in partes tres divisa. In prima incolunt Belgiae.

La Belgique existait il y a deux mille ans. En France, il y avait les Gaules, non LA Gaule. Le Royaume des Francs est venu plus tard, suivi du Royaume de France et finalement la République française.

Pendant la majeure partie de cette histoire, nos propres ancêtres ont fait partie de la France maritime: des Normands qui sont entrés dans le Royaume des Francs avec le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911; des Bretons qui ont fui l'Angleterre; des Aquitains qui ont connu la domination romaine; des Wisigoths qui ont dominé l'Aquitaine et l'Espagne; des Basques et des Béarnais et des Français des côtes de la Manche, de la baie de Biscaye et de l'intérieur, y compris l'Ile de France. Je pense entre autres aux Ménard, Chevalier, Caron et Léger qui viennent de Paris. Tous se sont peu à peu intégrés au Royaume de France, auquel ils ont apporté leurs contributions de marins, de pêcheurs, de penseurs, d'écrivains, d'industriels et bien d'autres choses.

Avant notre arrivée dans le Saint Laurent, les vastes régions des deux Amériques vivaient dans la préhistoire. Nous avons alors créé pour la France un immense empire colonial, qui a été perdu, avec ou sans la faute du calcul stratégique de Vergennes, qui prévoyait qu'avec l'aide accordée aux Yankees, les Anglais seraient chassés d'Amérique du nord et la France retrouverait ses possessions le long du Saint Laurent, dans les Grands Lacs et le long du Mississipi.

La France partie, nous, Québécois, avons pris la relève.
Nous avions déjà investi plus de 150 années de durs travaux dans la mise en valeur du Saint Laurent. Sous les Anglais, qui dépendirent de nous pour leur survivance matérielle et pour gagner leurs guerres contre les Yankees et les États Unis, nous avons fait notre part pour défendre l'Amérique Britannique du Nord et mettre le Canada en valeur.
En même temps, nous avons fait du Québec notre foyer national et l'assise de notre État naturel, maintenant apte et capable de fonctionner comme tel. Et ce qui est tout aussi important, à quelques exceptions près, nous avons fusionné en un seul peuple toutes les populations, ou presque, vivant dans la vallée du Saint Laurent et ses régions adjacentes: Amérindiens, soldats anglais, écossais, irlandais, gallois et juifs de l'armée de Wolfe; soldats allemands venus au Québec au service du roi d'Angleterre, immigrants venus de partout. Nous les avons intégrés au Québec: nous ne les avons pas rejetés et obligés à vivre en ghettos. Tous ces gens font partie de notre sang. Un Québécois "pur laine" est un normand, un breton, un basque, un wisigoth, un franc, un amérindien, un anglais, un écossais, un irlandais, un gallois, un allemand, un juif et maintenant un arabe et un hindou. Voilà le secret de notre force. Dans notre langue farcie d'expressions maritimes, nous les avons tous invités de monter à bord.

Voilà ce que De Gaulle a reconnu et il l'a déclaré à la face du monde entier. Nous-mêmes ne l'avions pas reconnu. Sous les Anglais, nous avons pris l'habitude de l'inféodation et de la soumission servile et tout notre langage en témoigne. De Gaulle est venu nous servir un autre langage, celui d'un homme d'État tel que nous n'en avions jamais connu: "Vous avez accompli; vous avez construit, vous avez réalisé...".

De Gaulle n'a pas reconnu Ottawa, par la faute d'Ottawa. Nous, au Québec, comprenons enfin que nous devons saborder cet État post-impérial, unitaire, arbitraire et inutile.

C'est ce qu'il fallait dire au monde et c'est ce que nous n'aurions pu dire tant est puissante la force de l'habitude de notre langue de dominés qui se soumettent et obéissent sans poser de questions. Nous étions libres comme les pensionnaires d'un zoo, libres et sans pouvoirs. Nous le sommes encore. De Gaulle est venu nous parler en homme d'État qui s'adresse aux citoyens d'un autre État. Et nous ne l'avons pas encore apprécié, par ignorance, paresse et servilité.

C 'est à partir du langage transmis par De Gaulle que j'ai repris tous mes travaux géopolitiques au sujet du Québec et prouvé par les faits que nous sommes un peuple, une nation et un État. Combien de Québécois(es) ne comprennent toujours pas, incapables de se soustraire à des mots et des phrases qui signifient leur soumission et leur démission devant l'avenir. Agir n'est pas leur fort et pourtant, nous avons réellement agi, nous agissons et nous agirons, comme un peuple, une nation et un État.

Voilà en résumé l'immense service que De Gaulle nous a rendus. Notre histoire n'est pas celle de la Belgique mais celle d'un État neuf dans un continent neuf devenu rapidement sclérosé et plus vieux que l'Europe.

(Ces) termes de comparaison entre la Belgique et le Québec tombent justes et doivent être notés et retenus.

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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