La guerre d’Iran aura-t-elle lieu ?

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« L’Amérique est vraiment malade de son bellicisme structurel. »

La destruction par l’Iran, après deux avertissements, d’un drone de renseignement RQ-4 Global Hawk américain qui survolait ses eaux territoriales marque une nouvelle étape extrêmement inquiétante dans l’actuelle escalade des provocations et déclarations martiales dans le Golfe persique. L’appareil, selon Téhéran, était accompagné d’un avion de patrouille maritime avec 35 personnes à bord que la République islamique s’est abstenue de détruire. Les chasseurs américains étaient déjà en vol de représailles et les batteries des navires de guerre américains étaient en position de tir. Donald Trump a interrompu l’ordre d’attaque in extremis. « Arrêtez-moi ou je fais un malheur ! » Mais l’homme le plus puissant du monde sur le papier est magnanime ! L’Iran est aimablement considéré comme ayant peut-être tiré par erreur et on l’appelle au dialogue … Sinon « pan pan cul-cul » ! La Russie annonce « une catastrophe » si l’Amérique attaque. Cet épisode est, il faut le craindre, une « sonde » annonçant des frappes éclair de manière imminente ou un peu plus lointaine.


L’Amérique est vraiment malade de son bellicisme structurel. Le cynisme absolu qui consiste à vivre par, pour et de la guerre, en se disant en permanence épris de paix commence à écœurer. Quel est l’objectif poursuivi par le Pentagone et la CIA avec, comme grand orchestrateur, le furibard et déterminé John Bolton que Donald Trump semble suivre à reculons. Entrer en guerre contre l’Iran ? Mais pourquoi diable ? Qui menace qui ? A qui profitera ce crime, sinon à Israël qui veut terrasser l’influence iranienne dans la région, à son nouveau proxy-chouchou saoudien, et à tous ceux qui veulent un dérivatif à leur déroute en Syrie, à l’infamie de leur soutien au massacre du peuple yéménite et à la consolidation quotidienne de l’axe Moscou-Ankara-Téhéran-Pékin ?


Il est tragique de voir l’acharnement occidental mis à détruire depuis plus de quinze ans déjà, les Etats du Moyen-Orient riches, multiconfessionnels et politiquement stables, pour les transformer, via la déstabilisation économique et l’importation d’un djihadisme sunnite féroce, en « Etats faillis » justifiant un régime change qui permette enfin leur vassalisation. Le candidat Trump en 2016 avait pourtant admis l’échec flagrant de cette politique dangereuse pour la planète entière. Mais, progressivement mis lui-même sous pression et sous contrôle par le « deep state » et tous les va-t’en guerre du système militaro-industriel américain, il peine désormais à retenir les ardeurs belliqueuses des néoconservateurs revenus en force dans les rouages et allées du pouvoir. Cela s’appelle « créer l’ennemi » de toutes pièces pour justifier un interventionnisme éruptif, relégitimer un rôle de gendarme planétaire, et faire rentrer dans le rang des alliés européens pris de doute, mais encore bien incapables de s’affranchir d’une tutelle qu’ils chérissent quand elle les condamne à l’humiliation permanente et à l’insignifiance stratégique éternelle.


La France a malheureusement, en Libye, en Syrie et au Yémen, pris plus que sa part à cette délirante curée au nom des droits de l’homme dont le bilan humain et sécuritaire sera à jamais indéfendable : des centaines de milliers de morts dans des opérations de regime change utopiques et sanglantes et une boîte de Pandore islamiste béante qui cible nos vieilles et molles nations repentantes. La déstabilisation que nous portons nous revient en boomerang et nous terrifie tant que nous lui « opposons » une complaisance mortifère pour notre nation.


L’Iran diabolisé, étranglé méthodiquement depuis des décennies par des salves permanentes de sanctions, confronté à la sortie unilatérale des Etats-Unis d’un accord nucléaire qu’il a pour sa part jusqu’à aujourd’hui scrupuleusement respecté, commence à perdre patience et à tomber dans le piège. Car pour préserver leur crédibilité politique interne, les dirigeants iraniens doivent réagir, répondre à l’humiliation d’avoir été grossièrement floués et donc donner des gages aux plus conservateurs faisant ainsi le jeu de ceux qui les provoquent.


Dans cet imbroglio apparent, la France, au lieu de pointer l’inconscience de Washington qui a ruiné le long effort commun pour enrayer la montée du programme nucléaire militaire iranien, demande à l’Iran de ne pas se mettre en faute et de respecter le JCPOA (l’Accord nucléaire du 15 juillet 2015)… Tout en courant derrière Washington pour juger légitime et souhaitable une extension du spectre de l’Accord aux enjeux balistiques. Un comble. Cet « en même temps » est injustifiable et catastrophique. C’est une trahison de notre signature au bas du JCPOA en 2015, mais aussi celle de notre parole donnée à l’Iran et au président Rohani - promoteur de l’accord désormais très affaibli -, de nous accrocher à la stricte « lettre » de celui-ci en dépit de la dénonciation unilatérale américaine.


Heureusement pour la paix du monde, les Japonais, les Allemands (en l’occurrence bien moins suivistes que nous) et même les Emiratis appellent à raison garder. Ils expriment clairement leurs doutes quant à la véracité des accusations portées par Washington contre Téhéran dans les attaques du 13 juin contre deux tankers japonais et norvégien - après une première série contre quatre pétroliers (saoudiens, émirati et déjà norvégien) le 12 mai dernier.


Il faut dire que la ficelle est si grosse que la fiole de farine brandie en 2002 à la tribune de l’ONU par le général Colin Powell pour accréditer la possession d’armes de destruction massive par l’Irak, cible du moment, paraît en comparaison une ruse subtile… Pourquoi l’Iran aurait-il attaqué un bateau japonais le jour de la visite amicale du Premier ministre Shinzo Abe à Téhéran ? Même l’interprétation agitée d’une prise d’ascendant politique des Gardiens de la Révolution sur les franges plus modérées du pouvoir paraît folle. En revanche, il est difficile de nier que Washington depuis quelque temps déjà, s’inquiète des positions tempérées de son allié nippon qui cherche à contrebalancer sa dépendance traditionnelle par une relation plus développée avec Moscou et Téhéran…


Quant aux puissances européennes membres de l’OTAN, l’on peut comprendre l’inquiétude de leurs états-majors qui s’inquiètent d’être entraînés dans une guerre montée de toutes pièces comme le fut celle d’Irak en 2003. L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord prévoit la réponse militaire solidaire collective des Etats de l’Alliance face à l’un de leurs membres « attaqué ». La réaction en chaîne, n’attend plus qu’une étincelle. Il existe bien des précédents de ces « false flags » opportuns.


Pour l’heure, Washington souffle le chaud et le froid, se disant « prêt à discuter avec Téhéran, si Téhéran le demande », ce qui est encore une façon de laisser accroire que l’Iran serait évidemment coupable mais l’Amérique magnanime. Pour le Guide suprême Ali Khamenei, c’est un affront supplémentaire et une invitation à perdre la face ou à déclencher l’affrontement. Un lose-lose game particulièrement vicieux.


Dans cet engrenage délétère, en s’alignant au lieu de sortir du rang pour appeler au calme les véritables fauteurs de trouble qui ne sont pas ceux que l’on pointe du doigt, au lieu surtout d’affirmer que nous ne nous associerons pas à une agression profondément illégitime, Paris une fois encore manque son destin. Celui d’une nation à la voix courageuse, intelligente et singulière. Quand allons-nous enfin oser désobéir ?