Sans défendre toutes les décisions prises et annonces faites par le gouvernement du Québec dans le contexte de cette crise de pandémie, on peut se demander si les porte-parole du gouvernement canadien ne profitent pas de la méfiance naturelle du reste du Canada envers le Québec pour détourner le regard des lacunes dans la gestion de ses propres dossiers.
Montréal est un hub international au même titre que New York, même si c’est à une moindre échelle. Sa population a des liens étroits avec l’Italie et la France et New York. La ville héberge quatre universités de stature internationale, avec des clientèles internationales de la France et de la Chine, dont les semaines de relâche tombent à la fin février ou début mars, tout comme celles des commissions scolaires.
L’aéroport de Montréal reçoit des vols de partout dans le monde; il est la deuxième porte d’entrée à l’Amérique du Nord sur la côte est. Dans les dernières années, les vols directs de la Chine ont augmenté considérablement. Montréal a un port international et une longue frontière terrestre non protégée avec l’États-Unis. Tout le mois de mars, la ville a reçu des milliers de personnes arrivant de l’Europe, de New York, de Floride par avion ou par voies maritime et terrestre.
Les premières semaines, le Dr Arruda soulignait, jour après jour, que les cas détectés étaient liés aux personnes qui avaient voyagé de l’étranger.
Dans le cas de New York, alors que les médias publiaient des reportages sur des hôpitaux débordants, des camions réfrigérés remplis de cadavres, le manque d’équipements, de grands rassemblements de personnes qui contrevenaient aux consignes de distanciation sociale, les médias anglais du Canada étaient remplis de commentaires de sympathie, d’offres de kudos et d’éloges pour le travail du gouverneur Cuomo et sa gestion de la crise. Il y en a même qui le voyaient candidat démocrate pour la présidence, plutôt que Biden.
Mais en ce qui concerne Montréal et le Québec, on n’entendait et on n’entend toujours que des critiques et des insinuations d’incompétence.
Dans la presse anglophone, les commentaires insidieux comme « Ce n’est pas à l’armée de s’occuper des aînés du Canada » ou « Le Québec n’a pas soumis son plan de déconfinement » ou encore « C’est sûr que je suis inquiète pour Montréal » ne sont pas anodins.
Les médias du Canada anglais, avec leurs propres experts, sautent très rapidement sur de telles sorties pour contester les décisions du gouvernement du Québec, allant parfois jusqu’à la désinformation.
La gestion déficiente d’Ottawa
Mais si on examinait de plus près la gestion d’un domaine qui est très clairement de juridiction fédérale. Par exemple, celui des frontières internationales et la vérification de la santé des personnes se présentant sur le territoire canadien ?
Dès la semaine du 12 mars, le gouvernement du Québec a commencé à demander la fermeture des frontières aux visiteurs. Il a même envoyé des équipes de santé publique à l’aéroport de Montréal pour rencontrer les voyageurs afin de les alerter sur l’importance de s’isoler pendant 14 jours, ce qui est pourtant une responsabilité du fédéral.
Mais Trudeau a résisté, ouvertement et pendant longtemps, disant même que la Science n’en démontrait pas l’efficacité ! Ce n’est que le 16 mars qu’il fait sa première annonce, touchant les aéroports, suivie le 18 mars de l’annonce sur la frontière terrestre avec les États-Unis (pour 30 jours, renouvelable) et le 25 mars du décret sur la quarantaine obligatoire (en vigueur jusqu’au 30 juin). Pendant ce temps, des milliers de voyageurs sont entrés au Canada, notamment au Québec.
Les décisions enfin prises, qu’en est-il de leur application ? Après quelques formalités à l’entrée au pays, les voyageurs sont laissés à eux-mêmes. Ils reçoivent un courriel de vérification et, s’il y a des raisons de croire que des voyageurs pourraient violer la consigne d’isolement obligatoire, la GRC est appelée. En date du 12 mai, la GRC est intervenue 165 fois au Québec. Peut-on avoir confiance dans cette façon de faire ?
La Colombie-Britannique n’était pas convaincue de l’efficacité des mesures fédérales. Le 17 mars, elle a émis sa propre directive concernant les personnes arrivant en C.-B. de l’étranger et elle a décidé de s’occuper elle-même de l’application de la quarantaine obligatoire.
Des représentants du gouvernement provincial sont assignés à l’aéroport de Vancouver et aux ports d’entrée terrestres pour s’assurer que chaque personne qui arrive remplit un formulaire avec un plan d’auto-isolation.
C’est le gouvernement provincial qui assume le suivi de ces personnes avec des appels et, au besoin, une visite de policiers. Pourtant, ce n’est que la GRC qui peut appliquer officiellement le décret avec des amendes ou des arrestations.
On a vu qu’au Québec aussi, c’était les autorités provinciales qui devaient rappeler à l’ordre quelques « snowbirds » récalcitrants. Le Québec a son propre protocole détaillé pour les employeurs qui font venir les travailleurs temporaires pour le secteur bioalimentaire.
La responsabilité d’Ottawa
C’est à Ottawa de s’assurer que les conditions de santé des personnes qui arrivent au pays soient bien connues d’avance pour pouvoir prendre des décisions éclairées sur la santé publique.
Quand il s’agit des personnes qui demandent la résidence permanente, ou un permis de séjour temporaire, le gouvernement fédéral exige, avant l’arrivée, un certificat médical détaillé récent; la santé des personnes réfugiées est également vérifiée avant qu’elles quittent le pays de provenance. Il y a un protocole pour les personnes qui sont VIH positif.
Le préambule du décret du fédéral précise les quatre raisons pour la quarantaine obligatoire :
a) la majorité des pays étrangers est aux prises avec la COVID-19;
b) l’introduction de cette maladie présenterait un danger grave et imminent pour la santé publique au Canada;
c) l’entrée au Canada de personnes qui ont récemment séjourné dans un pays étranger favoriserait l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada;
d) il n’existe aucune autre solution raisonnable permettant de prévenir l’introduction ou la propagation de la maladie au Canada.
Ce sont de très bonnes raisons qui ne disparaîtront pas pour plusieurs mois au moins.
Aujourd’hui, avec les mesures de déconfinement, qui commencent à être annoncées au Canada et dans plusieurs pays, qu’en est-il d’un véritable plan de réouverture des frontières ?
Est-il vraiment logique de penser qu’on peut rouvrir les frontières en mettant tout le monde en quarantaine ? L’industrie aérienne a fortement réagi à l’annonce de quarantaines obligatoires (sauf pour les entrées de la France et de l’Irlande!) faite par Boris Johnson le 10 mai. Elle insiste sur une politique plus précise avec des clientèles ciblées et les échéances. Il y a déjà de témoignages indiquant que la quarantaine obligatoire est appliquée de manière hautement variable par les autorités de diverses municipalités et pays.
Le dossier de la frontière avec les États-Unis est de toute évidence très épineux. Il est presque inconcevable que le Canada s’ouvre à d’autres pays avant de s’ouvrir aux États-Unis, tant pour des raisons économiques que géopolitiques. De plus, ouvrir la frontière terrestre avec notre voisin du Sud veut dire en même temps éliminer l’entente des pays tiers, si on veut résoudre le problème du chemin Roxham.
Certaines clientèles sont plus importantes que les touristes. Le gouvernement fédéral va-t-il augmenter les transferts aux provinces pour l’enseignement postsecondaire pour compenser la baisse importante prévue d’étudiantes et étudiants internationaux ? En août 2018, les transferts fédéraux pour l’éducation postsecondaire étaient déjà près de 40 % moins élevés par étudiant qu’il y a vingt-cinq ans. Est-ce là une des raisons qui expliquent que les universités et les cégeps soient devenus si dépendants de l’éducation internationale pour survivre?
Quant à l’immigration, on entend que le fédéral prévoit baisser les niveaux d’immigration permanente au Canada en 2020. Normal et inévitable. Mais il faut souligner que c’est uniquement sur la sélection de la catégorie économique de l’immigration permanente que le Québec a un certain pouvoir. L’immigration temporaire, dont on ne connaît pas le sort dans le cadre de cette crise, relève du gouvernement fédéral.
Les questions sont donc très nombreuses : sur quels critères sera prise la décision de rouvrir les frontières ? À quelles conditions ? Comment seront-elles appliquées ? Par qui ? Avec quelle échéance ? Va-t-on ouvrir à certaines clientèles et pas à d’autres ? Par exemple, les touristes, les travailleurs temporaires, les demandeurs d’asile ? Quelle solution pour le chemin Roxham ?
La réponse à chaque question aura d’importantes répercussions sociales, sanitaires et financières pour Montréal et pour le Québec. Le fédéral ferait mieux de s’occuper de ses propres responsabilités, en collaboration étroite avec les provinces, plutôt que de susciter et de se cacher derrière le Québec-bashing que les médias anglais aiment tant.
Crédit photo : cc wikipedia - Jeangagnon