L’auteure est une ancienne directrice de la planification et de la reddition de comptes, ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion
Le 6 juillet dernier, Robert Dutrisac note que « La superposition des administrations canadiennes et québécoises (en matière d’immigration) cause des lourdeurs inacceptables dont il faudra bien se débarrasser ».
Il a raison d’expliquer pourquoi cela prend plus de temps pour obtenir la résidence permanente au Québec. En effet, une personne sélectionnée au Québec reçoit un Certificat de sélection du Québec (CSQ) et ensuite fait une demande de résidence permanente au fédéral. Après avoir fait les vérifications de santé et de sécurité, le fédéral est tenu d’accorder la résidence permanente selon l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991. Quelqu’un qui se destine ailleurs au Canada n’a pas à passer par l’étape du CSQ.
Le Devoir a présenté ces derniers mois plusieurs exemples où le dossier de l’immigration au Québec va mal et le chevauchement gouvernemental s’ajoute souvent au problème.
Des personnes sélectionnées par le Québec en attente de leur résidence permanente ne réussissent pas à faire renouveler leur permis de séjour temporaire; des demandeurs d’asile qui contribuent à notre société, mais attendent pour savoir si leur demande de la résidence permanente sera approuvée; les étudiantes et étudiants étrangers réduits à s’inscrire à des collèges privés avec une promesse de résidence permanente au Canada; les travailleurs agricoles, qui vivent les conditions de travail inacceptables au Québec, sont liés à leur employeur par un permis de travail temporaire fermé.
Les solutions proposées vont dans tous les sens. Les employeurs réclament une hausse de seuils d’immigration pour pourvoir à la pénurie de main-d’œuvre. Un parti politique réclame une baisse des seuils d’immigration pour protéger notre langue et notre culture. Un autre semble vouloir offrir la résidence permanente essentiellement à tout le monde qui veut s’installer au Québec. Le gouvernement parle de négociations qui traînent avec le fédéral pour accélérer la régularisation des personnes sélectionnées et pour plus de contrôle sur le programme des travailleurs étrangers temporaires.
Pendant ce temps, plus de 80 millions de personnes ont été déplacées sur la planète en 2020 à cause des conflits. Combien de milliers d’autres pour des raisons de catastrophes naturelles? On ne connaît pas encore l’effet à long terme de la pandémie sur la migration économique ou les études.
L’Accord Canada-Québec signé il y a 30 ans ne répond plus aux besoins. Le gouvernement du Québec d’alors cherchait à déterminer les volumes d’arrivées et à appliquer une grille de sélection spécifique aux besoins démographiques, socio-économiques et linguistiques du Québec. Il voulait également le plein contrôle des services d’intégration socio-économiques et linguistiques. Presque tout dans l’Accord concerne l’immigration permanente. Même la compensation du fédéral prévue pour les services d’intégration ne touche que les personnes avec un statut de résidence permanente.
Aujourd’hui, c’est l’immigration temporaire qui a pris le dessus, sans planification des volumes. En 2019, l’année où le gouvernement du Québec a baissé le nombre d’admissions de 20 % à 40 000, il y avait près de 160 000 personnes avec un permis temporaire au Québec au 31 décembre, excluant les personnes ayant fait une demande d’asile.
L’immigration temporaire inclut les personnes de l’étranger qui étudient ou travaillent ici, avec des permis fermés ou ouverts, incluant leurs conjointes et conjoints et les travailleuses et travailleurs agricoles. Un grand nombre veulent rester et ils y sont même encouragés.
Elles sont souvent au Québec pendant quelques années avant de faire leur demande de résidence permanente. Pendant ce temps, les seules exigences linguistiques qui s’appliquent sont celles des établissements d’enseignement supérieur ou des employeurs. Ils peuvent envoyer leurs enfants à des écoles publiques anglaises. En dépit de leur grand nombre, la pénurie de main-d’œuvre perdure.
C’est le gouvernement fédéral qui décide les conditions des permis de séjour temporaire et qui traite les dossiers de demande d’asile. Dans le budget fédéral de février dernier, un financement de 49,5 millions de dollars sur trois ans a été annoncé pour appuyer les organismes communautaires qui offrent des programmes et des services d’orientation aux travailleurs migrants. Puisque ces services ne visent pas les résidantes ou résidants permanents, ils ne seront pas couverts par l’Accord Canada-Québec. Le Québec n’aura donc plus le plein contrôle sur le message aux personnes arrivant sur le territoire ni sur la langue de ce message.
Monsieur Dutrisac affirme avec raison que « le Québec doit, pour des raisons évidentes, garder le contrôle de son immigration ». Malheureusement, il est presque trop tard. Ce ne sont pas les diachylons ici et là dans les processus qui suffiront à remédier à la situation.
Est-ce que le Québec saurait faire bon usage d'un réel contrôle de son système d’immigration et d’intégration? Est-ce possible qu’un accord modernisé voie le jour? Il est plus que temps de trouver les réponses à ces questions.