Le gouvernement indépendantiste de l’Écosse a publié, le 27 janvier dernier, un document de politique en matière d’immigration, qui a été brusquement rejeté le lendemain par le gouvernement conservateur de Boris Johnson.
Actuellement, l’immigration est un pouvoir « réservé » au Parlement britannique, en vertu de la loi qui a donné naissance au Parlement écossais en 1998. Avec le Brexit, la question de la migration est devenue un sujet pressant pour l’Écosse, notamment parce que l’approche écossaise envers l’immigration est aux antipodes de celle des Conservateurs de Londres.
Une proposition bien préparée, faisant consensus
Cette politique pour une Écosse faisant toujours partie du Royaume-Uni propose une dévolution de pouvoirs permettant la mise en place d’un visa écossais administré par l’Écosse. Au-delà de cette priorité, le document est impressionnant par le sérieux de ses propositions.
Il fixe les principes de base de la politique et démontre, preuves à l’appui, que les besoins écossais en matière d’immigration diffèrent de ceux du Royaume-Uni, justifiant ainsi une dévolution de pouvoirs dans ce domaine. Il couvre l’ensemble des possibilités – immigration temporaire (travail ou études), permanente, familiale, humanitaire – en matière de séjour ou d’établissement en Écosse. Il décrit en détail les changements de processus nécessaires pour atteindre ces objectifs et inclut des comparaisons internationales, notamment les arrangements « régionaux » au Canada et en Australie. Il recommande également des modifications au système britannique pour en améliorer l’efficacité.
Le processus pour arriver à cette politique était réfléchi et délibéré. Un document de consultation a été publié en février 2018 et un comité restreint d’experts externes, surtout universitaires, a été créé. Ce comité a recueilli des statistiques pertinentes et a consulté des employeurs, des élus, des municipalités, des organisations et, plus largement, les parties prenantes partout en Écosse. Le gouvernement s’est engagé à poursuivre les consultations sur les meilleurs mécanismes de prestation de service, s’il parvient à une entente sur le projet de visa écossais avec le Parlement de Westminster.
De plus, l’ensemble des partis politiques écossais, à l’exception du Parti Conservateur écossais, appuient les conclusions et recommandations issues de cette consultation. Bref, le gouvernement écossais a fait ses devoirs dans ce dossier complexe en vue de présenter une position globale et solide qui fait consensus. On est très loin de l’improvisation qu’on vit actuellement au Québec dans ce domaine.
Un cul-de-sac prévisible
Malheureusement, tout ce beau travail n’ira nulle part. Pourquoi ? Parce que la position de l’Écosse, favorable à une hausse de l’immigration pour répondre à des enjeux démographiques et économiques particulièrement criants qui lui sont propres, assortie d’un discours politique d’accueil, d’ouverture et d’inclusion se confronte à un Parti conservateur à Westminster élu grâce, en bonne partie, à une campagne de peur ciblant les personnes immigrantes et à des promesses de baisse des niveaux d’immigration et de hausse des restrictions d’entrée. Déjà, le gouvernement Johnson brandit la menace de milliers de personnes immigrantes entrant au Royaume-Uni par la frontière écossaise.
Un discours indépendantiste accueillant
Les comparaisons internationales doivent toujours être nuancées puisque les contextes sont souvent très différents sur les plans historique, culturel, géopolitique, linguistique, constitutionnel, législatif, économique, administratif, etc. Mais nous vivons dans un monde où le discours identitaire prend de plus en plus de place, dont au Québec. Il s’agit d’un discours tourné essentiellement vers le passé, une époque où on aime croire que la population était homogène sur les plans culturel et ethnique, et qui prône la fermeture des frontières à l’immigration.
Il est donc fascinant – et rafraîchissant – de lire la première phrase de cette nouvelle politique signée par la première ministre indépendantiste de l’Écosse, Nicola Sturgeon : « L’Écosse est une nation accueillante et inclusive et nous valorisons tout le monde, peu importe son pays de naissance, qui a choisi de faire de l’Écosse son ‘‘chez soi’’, pour vivre, étudier, élever sa famille et bâtir sa vie ici. » (notre traduction)
Cela ressemble beaucoup au discours inclusif d’un autre gouvernement indépendantiste, celui du Parti Québécois. Dans les années 70 et 80, le gouvernement Lévesque a même adopté une nouvelle expression – communautés culturelles – pour combattre les préjugés associés à d’autres expressions courantes. De retour au pouvoir dans les années 90, un pas de plus a été franchi quand le gouvernement du PQ a adopté l’approche citoyenne en créant le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration. Le parti a alors retiré l’expression « communautés culturelles » de son programme puisqu’il a été convenu qu’elle avait tendance à caser toutes les personnes d’une même religion ou origine dans des groupes faussement perçus comme homogènes. Les politiques d’immigration des gouvernements péquistes ont toujours misé, tant sur l’expérience positive de la personne qui arrive que sur sa contribution à la société d’accueil.
Tout comme son homologue écossais, le Parti Québécois a lutté pour davantage de pouvoirs en immigration et en a obtenus. L’Accord Québec-Canada actuellement en vigueur s’est édifié, notamment sur l’entente signée avec le fédéral par Jacques Couture en 1979. Mais ces demandes n’étaient jamais basées sur une approche de repli, de fermeture ou de peur de l’Autre, comme c’était le cas pour la campagne pro-Brexit. Il est possible de concilier la défense de toutes les caractéristiques qui définissent la nation avec l’ouverture à des personnes qui viennent d’ailleurs.
On peut tirer deux messages de l’expérience écossaise.
Le premier est pour tous les partis politiques au Québec : Une politique d’immigration est complexe et mérite une attention sérieuse qui cherche le plus grand consensus possible. Elle ne devrait pas être politisée à des fins électorales. Tous les partis, à l’exception peut-être du Parti libéral du Québec, sont d’accord sur l’importance que le Québec contrôle l’ensemble des leviers en matière d’immigration. Il est temps de mettre en place un processus délibératif le plus multipartite possible pour documenter les enjeux, consulter avec tous les joueurs (municipalités, syndicats, employeurs, organismes communautaires, etc.), dans les régions urbaines et rurales, et s’entendre sur ce qu’on ferait avec ces pouvoirs, sur quelle forme prendrait une politique globale d’immigration spécifiquement québécoise.
Le deuxième est pour les candidats à la chefferie du PQ : pour mobiliser le maximum d’appui de l’ensemble des électrices et électeurs, le projet d’indépendance doit présenter une vision positive et inclusive du nouveau pays. Comme l’a dit le prédécesseur de Nicola Sturgeon, Alex Salmond en 2009, « l’important n’est pas d’où tu viens, l’important c’est où on va ensemble ».