C’est la critique des religions qui a permis la naissance d’un concept, d’une liberté aussi précieuse que ce que l’on a l’habitude de nommer liberté de conscience et de religion(s). Les religions, je ne parle pas de l’intériorité des hommes et des femmes, de l’explication qui nous sied et que l’on s’approprie pour s’expliquer le monde qui nous environne, pour répondre à nos questions existentielles, ont été dogmatiquement fondées sur des systèmes théologiques d’exclusion réciproque. J’emprunte cette définition à Mohamed Arkoun, l’un des plus grands, sinon le plus grand- islamologues du vingt et unième siècle. Cela veut dire en termes simples que toutes les religions, chacune dans son coin, croient détenir la vérité, la seule, l’ultime. Ainsi en est-il par exemple pour les catholiques qui pensent que leur religion est fondée sur la raison, le logos grec, pour les judaïques qui pensent qu’ils sont le peuple de la seule religion vraie et juste et pour les musulmans qui, eux, disent que le prophète Mohamed est le préféré de tous les prophètes. Du reste, lorsque ce sont des hommes et des femmes d’une autre religion qui critiquent une religion quelconque, eh bien, généralement, la question est vite réglée, la religion du voisin étant toujours bien évidemment un fagot d’arguties. Mais c’est lorsque la critique vient d’un élément intérieur pour ainsi dire que le bât blesse.
En 1964, l’intellectuel algérien, Mostapha Lacheraf, alors répondant à une question d’un journaliste français, a dit que Kateb Yacine, Mouloud Mammeri (l’écrivain qu’il a traité de régionaliste quelques années auparavant à la publication de son roman La colline oubliée) et Mouloud Feraoun étaient selon lui les plus représentatifs de la littérature algérienne. Et pourquoi ? revenait le journaliste. Eh bien, répondit l’intellectuel, parce que leur connaissance du peuple algérien est plus affective qu’intellectuelle. Parce qu’en effet c’étaient des hommes qui trempaient leurs référents dans tout le capital symbolique du peuple, dans son terroir, dans ses profondeurs, dans des villes plus paysannes qu’urbaines…
Djemila Benhabib, l’écrivaine et journaliste québécoise, même si elle est plutôt essayiste que femme de lettres, même si elle est plutôt dans l’observation sociologique que dans une approche littéraire, partage avec ces hommes un point: celui d’être armée d’aurores pour détrôner la nuit. Elle partage avec eux l’envie vorace des lumières mais aussi et surtout la connaissance affective. Les premiers connaissaient jusqu’aux sables abyssaux leur peuple, la femme connaît l’islamisme jusqu’à ses derniers retranchements. Les premiers étaient les hommes de la rupture ontologique avec la condition coloniale, les hommes de la naissance à la liberté pleine et plénière, la seconde est celle de la rupture avec un islam politique qui substitue aux hommes et aux femmes une mémoire, la religion du dogme qui honnit le beau, bannit le corps, le Je, l’expression.
Et justement, parce que sa connaissance de l’islamisme est d’abord affective, elle en a expérimenté la négation, la définition nihiliste et eschatologique du monde, elle dérange ; son mot porte, ébranle les soupentes des certitudes et du fanatisme.
Et maintenant que l’on pave de plus en plus le chemin, la connivence des élites occidentales, l’indifférence, la lâcheté aidant, pour pénaliser le blasphème, eh bien, sous prétexte d’islamophobie et autres stratagèmes connus, il n’est plus permis de s’exprimer ni de critiquer une religion, encore moins d’interroger une école confessionnelle financée par l’argent du peuple sur la nature de l’enseignement qu’elle discerne et s’il répond ou non aux exigences de la modernité.
Djemila Benhabib est poursuivie actuellement par le MCQ Muslim community of Montréal pour des propos « anti-coraniques » et « diffamatoires » qu’elle a, dit-on, tenus lors d’une entrevue radiophonique au 98,5 FM dans une émission animée par le journaliste et animateur Benoît Dutrizac, le 8 février 2012 où elle avait dit que le programme de ces écoles ressemble à « un endoctrinement digne d’un camp militaire au Pakistan ou en Afghanistan». Elle avait dit aussi que « Les sourates imposées aux enfants, et ce, dès les premières années de l’école primaire, ont un caractère extrêmement violent, et ont un caractère misogyne et sexiste…parmi tous ces versets coraniques, il y en a qui sont extrêmement haineux à l’égard des non croyants et on en trouve un qui se trouve également sur le site et qui est enseigné aux enfants…cette école a pour modèle une autre société…où la séparation des sexes est de mise, où les femmes doivent baisser la tête, et marcher derrière les hommes, où les enfants sont obligés d’apprendre des versets coraniques et où probablement les hommes vont commettre des crimes d’honneur contre leur sœur»…
Ah bon ! À se fier à la poursuite, les religions sont maintenant féministes. Mais s’il y a un point commun aux religions c’est bien le sexisme et la misogynie, et s’il y a bien un point commun à la plupart des écoles religieuses musulmanes c’est celui de biffer l’altérité, d’effacer définitivement la possibilité de l’autre, de réduire les femmes à des réceptacles séminaux passifs, des objets ménagers, enfouis sous le tissu de l’effacement, de considérer la religion de l’autre ramassis de conneries.
Mais comme l’islamisme n’a pas d’arguments à faire valoir, il recourt à la peur, à la menace, au terrorisme par tous les moyens, au domaine où il excelle le mieux. Il en a les moyens, de l’argent à flot, y a-t-il une chaîne télévisée plus nantie qu’Al Djazira, un pays plus riche que le Qatar, un pays qui a dépensé pour une idéologie autant que l’Arabie Saoudite? (On dit que l’Arabie saoudite à dépensé pour l’islamisme ce que l’URSS n’a pas dépensé durant toute son histoire).
Les islamistes ont l’argent et ont, comme dit un ami, la pesanteur avec eux pour empêcher les cimes et dissuader les rêveurs des pays de l’altitude et de la lumière.
La preuve en est qu’ils se prennent à la femme d’origine musulmane seulement, à la femme tout court puisqu’ils la pensent indigne de parole autonome, de parole simplement. Ils se prennent à l’intellectuelle qui tarabuste leur sommeil, réveille les hommes et femmes assoupis dans les bras limbiques d’une Morphée enfarinée elle aussi par un islamisme enjôleur et spécieux, enfourchant le cheval de Troie du postmodernisme et de la laïcité ouverte pour une propagation douce et sûre en direction de la Oumma mondialisée. Non, ils ne se prennent pas à la radio qui a diffusé, ils ne se prennent pas aux medias qui avaient critiqué l’enseignement de ces écoles, ils ne se prennent pas aux puissants. Ils se prennent à la dévoileuse, hardie et savante, qui dévoile le voile qu’ils veulent mettre sur la raison.
Mais comment expliquer aux écoles musulmanes, à toutes les écoles confessionnelles souvent soutenues par des lobbys très puissants d’ailleurs, qu’ils ne seraient pas là à prêcher leur vérité indiscutable et indiscutée si des hommes et des femmes modernes comme madame Benhabib n’avaient pas milité à leurs risques et périls pour arracher leur droit de liberté de religion et de conscience. L’attaque pour diffamation à chaque critique n’aurait même pas existé et pour cause, il n’y aurait jamais eu d’école musulmane à côté d’une école catholique.
Je ne connais pas l’école en question, mais je connais les écoles coraniques qui ont ravagé la raison humaine, qui ont semé le ressentiment et la haine aux quatre coins de la terre, qui ont curé et curent encore les cerveaux des mioches pour la programmation apocalyptique. Je me demande d’ailleurs comment des écoles confessionnelles, musulmanes, catholiques comme judaïques, existent-elles encore dans des espaces qui se définissent citoyens, à plus forte raison dans des pays d’immigration où l’inter-culturalité doit normalement jeter des ponts pour la rencontre et l’inter-enrichissement. Comme si l’on se foutait royalement, peuples comme gouvernements, des îlots disparates qui ne cessent d’émietter le continent, comme si ça n’interpelle plus personne que les gens vivent dans le même espace sans se parler, sans se regarder, sans faire attention aux œufs des fragiles douceurs qui unissent les hommes et les femmes dans leurs différences.
La vérité est que lorsqu’on n’a pas d’arguments à faire valoir, encore moins de programme qui soit axé sur l’échange, l’humanisme, l’altérité, on s’empresse, tel le menuisier, de voir partout des clous pour les violenter. Ce n’est pas à nous de nous raconter ce qu’ils y enseignent. Y voir les filles qui sont voilées à cinq six ans se passe de tout commentaire. C’est la preuve irréfragable même que ce sont des gens sortis de l’espace temps, plombés par la pesanteur à cent lieues de la première station de la raison d’où démarrera un jour, peut-être et enfin, le train de l’histoire pour rattraper ne serait-ce que la queue du temps.
Le jour où l’on cessera de critiquer les religions, ce sera la fin des lumières, la nuit totale et totalitaire. Il faudrait que les hommes et les femmes partout sachent enfin, avant qu’il ne soit trop tard, que l’islamisme est aux portes, le bonhomme sept heures ou le Hannibal de la Rome antique dont les mamans utilisaient la rumeur pour endormir les mioches. La censure a été éteinte par les Lumières, elle est en train d’être ravivée par les ténèbres pour des autodafés futurs qui finiront d’expurger de la tête des hommes l’ultime raison.
Pour atteindre le ciel, il faut durer debout. C’était comme ça que parlait le poète algérien Jean Sénac. Et pour rester dans les étoiles, les gens, hommes et femmes, musulmans ou non, Québécois, Canadiens, Africains du nord ou non, doivent comprendre que s'ils ne se mobilisent pas maintenant l’islamisme ne fait pas dans la dentelle. Après les défaites qui lui sont infligées en pays musulmans par les hommes et les femmes assoiffés de modernité, il se victimise en occident pour se régénérer et vermouler tel le ver teigneux l’arbre de sa raison.
La poursuite pour diffamation de Mme Djemila Benhabib
Louenas Assani
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