Il est minuit moins cinq

La question de la légitimité du PQ est posée

Gare au syndrome de la bulle

Chronique de Richard Le Hir


Ceux qui ont connu les belles années du PQ, celles de la ferveur et de l’espoir, ne peuvent s’empêcher de ressentir une infinie tristesse devant le marasme qui semble l’avoir gagné.
Au fil des années, le PQ a connu plus que sa part de déconvenues et de crises. Il est aujourd’hui confronté à la plus grave de son histoire, non pas que les autres ne l’aient pas été, mais aujourd’hui, c’est sa légitimité même qui est en jeu.
Or d’où vient qu’il soit en train de perdre sa légitimité ? Ce parti-là n’est pas à l’origine un parti ordinaire qui n’aspire qu’à en remplacer un autre à la tête du gouvernement. Il n’a pas été créé pour simplement proposer « une autre façon de gouverner » à l’intérieur du même système, même si c’est justement sur ce thème qu’il s’est fait élire la première fois.
Le PQ été créé pour changer le système, en s’appuyant sur deux pôles, l’indépendance et la social-démocratie. Ce parti a donc une vocation révolutionnaire (au sens tranquille du terme), même si le mot et l’idée peuvent faire peur. Or, soit qu’ils doutent désormais de la volonté des Québécois de faire cette révolution et/ou qu’ils ont désormais d’autres buts qu’ils ne sont pas prêts à avouer, le PQ et son chef actuel entretiennent « un flou artistique » sur leurs intentions, comme on a coutume de qualifier ce genre d’attitude pour ironiser sur son caractère manipulateur.
Si certains membres du PQ et les députés qui restent semblent s’y retrouver et font confiance à Pauline Marois, un bon nombre de ses sympathisants, quatre de ses députés et la population en général ne semblent pas pour leur part prêts à lui accorder un blanc-seing, selon les derniers événements et les nombreux sondages depuis l’automne dernier.
Et les sondages actuels ne tiennent pas compte du réalignement qui va se produire inévitablement lorsque de nombreux indépendantistes vont prendre conscience que le PQ et son chef ont décidé qu’ils n’ont plus besoin d’eux et qu’ils peuvent parfaitement prendre le pouvoir sans eux. Sans vouloir me faire prophète, j’ai l’impression qu’ils se préparent des lendemains qui déchantent.
Dans une situation aussi volatile, où les enjeux sont considérables, il faut savoir éviter les paroles et les gestes de nature à cristalliser les oppositions, à les rendre définitivement irréconciliables. Il est encore temps de récupérer la situation, même si les premières indications ne semblent guère encourageantes.
Ce n’est certainement pas en minimisant la portée de la démission de quatre députés influents que Pauline Marois fait preuve de leadership. Ne lui en déplaise, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, et l’optimisme qu’elle affiche ne trompe personne sauf peut-être elle-même et ceux de ses députés qui sont incapables de la moindre analyse critique et qui voit dans celle-ci une menace plutôt que l’occasion d’une salutaire remise en question.
Il ne faut pas oublier non plus les effets du syndrome de la bulle. La vie de député s’apparente étrangement à celle des pensionnaires des collèges classiques d’autrefois, avec ses chapelles (le salon bleu et le salon rouge), ses salles de classe, ses rituels (la période de question, les votes, le discours inaugural, le discours du budget), ses figures de pouvoir (le premier ministre, le chef de l’opposition), ses préfets de discipline (les whips) et surtout un climat général de déresponsabilisation individuelle au profit des exigences de la fonction et de la discipline de parti. Il s’ensuit une déconnection progressive avec le reste du monde jusqu’à la défaite ou la retraite, et l’isolement dans une bulle complaisante, ronronnante et rassurante dont certains s’accommodent si bien qu’ils y développent une dépendance.
Tout ce contexte institutionnel pousse dans le sens de la conformité, et une manifestation de résistance comme une démission est automatiquement perçue comme une incongruité et le comble du manque de savoir-vivre et de respect envers le groupe auquel on appartient. Certaines réactions de députés péquistes entendues ces derniers jours illustrent à merveille mon propos.
Comme on a pu le constater sur Vigile, le syndrome de la bulle s’est propagé à certains membres du parti pour qui toute critique est vécue comme un impardonnable manque de loyauté et de solidarité, alors qu’elle en constitue peut-être justement le summum. Ne doit-on pas le fond de sa pensée aux gens que l’on respecte ? Alors on dira que tout est dans la façon, en faisant semblant d’ignorer que la critique dérange toujours ceux à qui elle s’adresse et qu’ils auraient de beaucoup préféré ne pas la recevoir.
Pour le PQ et son chef, les événements de la semaine, tout désagréables soient-ils, ne démontrent pas qu’il est trop tard. Ils démontrent qu’il est minuit moins cinq. Soit ils choisissent d’en tenir compte et de revenir aux racines du parti qui font sa légitimité, soit ils le détournent de sa mission pour en faire un parti comme les autres.
S’ils choisissent la première avenue, tous les espoirs sont permis. S’ils choisissent la deuxième, ils s’en vont droit dans le mur et ne peuvent surtout pas compter sur la loyauté et la solidarité de ceux qu’ils se trouveront ainsi à trahir.




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10 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juin 2011

    On aura beau discuter mais dans l'immédiat,
    le loup sent le faible:
    Stephen Harper croit pouvoir conquérir le Québec:
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2011/06/10/002-congres-conservateurs-reid.shtml
    Une dessin de Frazetta qui pour moi illustre bien la situation actuelle:
    [IMG]http://img806.imageshack.us/img806/5274/frankfrazettacarsonofve.jpg[/IMG][/URL]
    C'est quand même incroyable ce qui se passe actuellement.
    Ne pouvoir prendre avantage de la situation actuelle dépasse l'entendement.
    C'est à se demander si...
    ha pi non,tout l'monde y a déjà pensé j'en suis certain.

  • Yves Rancourt Répondre

    10 juin 2011

    Monsieur Le Hir,
    Dans mon livre à moi et je le dis bien humblement, c'est l'électorat seul qui détermine si un parti politique a la légitimité voulue pour poursuivre sa route. Quand il compte sur des dizaines de milliers de membres et une députation d'une cinquantaine de députés, un parti n'a pas à justifier son existence devant qui que ce soit, surtout devant des gens qui n'en sont pas membres.
    Je me permettrais aussi de rappeler ce que vous savez déjà, à savoir que le PQ s'est fait élire en 1976 sur l'idée de réaliser la souveraineté-association. Or, si je comprends bien votre raisonnement, il faudrait qu'il revienne à cette option pour être légitime?
    Enfin, je voudrais mentionner ici que je n'ai jamais été membre du PQ, pas plus d'ailleurs que d'un autre parti politique. Je n'ai donc personne à défendre ici. J'ai toutefois à coeur tout autant que vous l'avenir du Québec et, si j'interviens sur ce site, c'est parce que je considère que le Québec est à un moment charnière de son histoire et que, si on continue de s'entredéchirer comme nous le faisons présentement, c'est certain qu'on devra enterrer à tout jamais notre rêve de faire du Québec un pays. Sans vouloir jeter la pierre à qui que ce soit, je me désole de constater ici chaque jour à quel point le mouvement souverainiste apparaît désorganisé: critiques faciles, surtout de l'intérieur, jugements de valeur à la tonne, absence évidente de plan de match et surtout d'alternative valable à ce que propose le PQ. Bref, je cherche ici chaque jour une lueur d'espoir et, c'est triste de le dire, j'en vois rarement surgir.
    Si vous avez des idées à ce sujet, il me fera plaisir de vous lire, croyez-moi. Mes meilleures salutations à vous.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2011

    M. Lehir, Je partage en bonne partie votre réflexion, selon moi, oui il est minuit moins cinq, et étant un éternel optimiste, j'espère et je souhaite que le PQ, à cette croisée de chemin, prendra sincèrement la bonne direction. Je ne vois aucune autre façon, à court terme, d'atteindre notre objectif ultime: le projet de pays..! Je suis conscient de ce qui se passe à l'interne, et pour être honnête, oui je fut déçu maintes fois. Mais je préfère passer l'éponge et tenter de panser la plaie, et de regarder droit devant, et de voir se rapprocher ce projet que porte encore le PQ: soit celui d'un Québec indépendant...
    Je vous le dis humblement, dans mon cas, c'est une ultime chance que je laisse à mon parti... Possible que je déchante comme vous le dites, mais n'est-il pas mieux de garder espoir, de mettre nos énergies positivement dans ce véhicule encore bien positionné, et offrant une chance réelle d'atteindre notre but..?
    Selon moi, la bisbille et la critique interne, gangrène le moteur même de ce potentiel véhicule, pour ne pas dire le seul en liste, qui aspire sérieusement à nous donner la chance, dans un proche avenir, d'être maître chez nous..!
    Michel Dion (iiibooo sur twitter)

  • Michel Laurence Répondre

    10 juin 2011

    M Le Hir, vous écrivez que le PQ « …n’a pas été créé pour simplement proposer « une autre façon de gouverner » à l’intérieur du même système, même si c’est justement sur ce thème qu’il s’est fait élire la première fois. » On peut dire que ça commençait mal et que cette tactique s’est rapidement inscrite dans l’ADN du PQ. Il ne pourra d’ailleurs jamais s’en défaire. La meilleure preuve, c’est le Plan Marois, ce même Plan qu’elle et les apparatchiks du parti ont enfoncé dans la gorge des militants lors du dernier Congrès. Ce Plan n’est rien d’autre que la réédition, à la sauce 2011, de l’étapisme théorie suicidaire élaborée par le non regretté Claude Morin.
    Mais là où je ne vous suis plus, c’est quand vous écrivez que « Le PQ été créé pour changer le système, en s’appuyant sur deux pôles, l’indépendance et la social-démocratie. » L’indépendance, c’était le R.I.N. Le PQ a trahi le R.I.N. pour ensuite mettre de l’avant la souveraineté et pire, la souveraineté-association. René Lévesque n’était pas indépendantiste; il était souverainiste-associationniste et n’a jamais cessé de l’être. À preuve, quelques années plus tard, c’est dans le « beau risque » qu’il nous a entrainés. Malgré tout ce qu’il a fait et réalisé de bien pour les Québécois, je persiste à dire qu’il n’a jamais été indépendantiste, parce qu’il manquait de confiance dans les Québécois et qu’il avait peur (je sens que je viens d’agrandir ma banque d’amis).
    Il est minuit moins cinq dites-vous ?
    Il n’est pas plus minuit moins cinq que 11 heures 15 ou que 06 heures 22. La date de péremption du PQ est passée depuis longtemps et il y a belle lurette que la montre souverainiste n’avance plus, ses aiguilles sont figées.
    « Pour le PQ et son chef, les événements de la semaine, tout désagréables soient-ils, ne démontrent pas qu’il est trop tard. Ils démontrent qu’il est minuit moins cinq. Soit ils choisissent d’en tenir compte et de revenir aux racines du parti qui font sa légitimité, soit ils le détournent de sa mission pour en faire un parti comme les autres. » Il y a longtemps que le PQ est un parti comme les autres. La meilleure preuve en est qu’il ne fait rien depuis 1996 pour faire avancer l’appui à au pays, à l’indépendance. Je l’ai écrit en commentaire à un autre texte, l’appui des Québécois envers l’indépendance stagne, ou diminue même, depuis 1996 (1996 = 46,5 %, 2011 au mieux 44 %). Voilà l’effet PQ sur l’appui au pays. http://bit.ly/kY4o3G
    En toute amitié, dites-le-moi quand ce sera votre anniversaire de naissance, je vous achèterai une autre montre, la vôtre s’est arrêtée à minuit moins cinq depuis longtemps.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2011

    @M. Rancourt
    J'ai beaucoup de difficulté à vous suivre...
    «J’apprécierais que vous vous expliquiez davantage à ce sujet, sans quoi certains pourraient penser que vous avez d’autres motifs que vous ne voulez pas révéler...»
    Vous parlez de Pauline Marois ou du corps dirigeant du PQ tout entier ?
    GV

  • Marcel Haché Répondre

    10 juin 2011

    Votre texte ne va pas plus loin que le titre. Tout est là.
    Vous nous affirmez, vous prédisez, qu’il y aurait un mur en face du P.Q.-Marois si ce parti ne revenait pas bientôt à ses sources. Fort bien.
    Dites-moi, M. Le Hir, s’il y avait des élections anticipées cet automne, expliquez-nous qui, entre Pauline Marois et les glorieux démissionnaires, lesquels frapperaient le mur les premiers ?
    Je me permets de vous faire remarquer que la démission en bloc des glorieux démissionnaires n’a pas atteint ses buts, et que ce sont ces quatre ex-péquistes qui l’ont déjà frappé, le mur. Mme Marois est bien en selle, pour le plus grand dépit de Jean Charest, qui n’en finit plus d’attaquer l’opposition péquiste, pourtant d’accord avec son gouvernement sur la nécessité d’un amphithéâtre à Québec.
    Jean Charest ne serait pas assez brave pour déclencher des élections, pour se donner un peu de légitimité, en affrontant Pauline Marois. Mais il serait assez lâche pour déclencher des élections à mi-mandat si la chefferie du P.Q. était déstabilisée.
    Qui donc, chez les souverainistes, est dans une bulle ?

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juin 2011

    @ M. Le Hir
    J'apprécie le sens de la mesure avec lequel vous écrivez. La situation devient volatile, pour jouer un rôle éventuel il ne faut pas brûler ses vaisseaux. L'ouverture que vous faites à la réconciliation pourrait vous préserver des anathèmes. Mais suis d'avis et serais heureux d'avoir tort, que votre ouverture est inutile dans le présent tant l'illégitimité que vous évoquez exhale de cette trahison tranquille dont notre histoire est parsemée. Les mous qui soutiennent aujourd'hui Marois sont loin d'avoir la trempe des pionniers, ceux qui furent les piliers de l'indépendance, tous ceux qui luttèrent pour émanciper ce coin d'Amérique doivent se retourner dans leur tombe.
    La petite politique, la petitesse des ambitions, le simple manque d'envergure face au destin qui nous est si défavorable, l'abandon voire le refus du discours fièrement indépendantiste est historiquement inscrit dans la génétique du PQ.
    Le geste de Bourgault de dissoudre le RIN est malheureux. Il prenait le contrepied de l'histoire et scellait pour 45 ans (et on compte encore...) le piétinement du Québec. Je n'ai pas de mots pour exprimer l'usurpation d'une lutte de libération qui serait aujourd'hui victorieuse si des leaders bien intentionnées avaient eu assez de soutiens pour ne pas flancher : Bourgault et Parizeau. Devinez ce que je ressens envers ceux qui n'ont pour tout horizon que l'horizon électoral dans les formes toutes conformes en nous parlant de souveraineté de salon, du bout des lèvres.

    Cordialement,
    GV

  • @ Richard Le Hir Répondre

    10 juin 2011

    Réponse à Yves Rancourt,
    M. Rancourt,
    Si vous vous donnez la peine de pousser votre recherche plus loin, vous découvrirez que la légitimité a un sens beaucoup plus large que celui qu'en donne le Larousse.
    Dans ce cas-ci, la légitimité dont je parle s'apparente à la notion de filiation illégitime en droit. En reniant ses racines, le PQ perd sa légitimité.
    En 1997, j'ai publié chez Stanke un ouvrage qui porte justement sur la notion de légitimité en politique sous le titre suivant: "La prochaine étape: Le défi de la légitimité".
    Richard le Hir

  • Yves Rancourt Répondre

    10 juin 2011

    Bonjour monsieur Le Hir,
    J'ai beaucoup de difficultés à vous suivre dans votre raisonnement. Suivant la définition du Larousse, légitimité signifie «qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, en équité». Je ne trouve vraiment pas dans votre texte d'arguments pouvant amener à remettre en question la légitimité du PQ, suivant la définition que l'on y donne habituellement.
    Que l'on soit déçu du leadership exercé par madame Marois ou d'orientations prises par le Parti dans certains dossiers, je veux bien, mais ça ne le rend pas "illégitime" pour autant. J'apprécierais que vous vous expliquiez davantage à ce sujet, sans quoi certains pourraient penser que vous avez d'autres motifs que vous ne voulez pas révéler pour jeter le discrédit sur ce parti.
    Mes salutations respectueuses.

  • Michel Dionne Répondre

    10 juin 2011

    En plus de l'indépendance et de la social-démocratie, le PQ s'était fait le promoteur de la langue française notamment avec la loi 101. Or, on apprend aujourd'hui, et cela reste à confirmer, que l'actuelle chef du Parti québécois ferait volte-face sur l'application de la loi 101 au CEGEP malgré la décision du récent congrès en ce sens. Curieusement, dans la saga des démissions de 4 députés, celle-ci reprochait à madame Lapointe de ne pas accepter les décisions du dernier congrès. Si madame Marois devait donner du laisse sur l'application de la loi 101 au CEGEP, elle signerait son arrêt-mort politique. Il est minuit moins une.