La SQ visera aussi les firmes de génie-conseil

L'Ordre des ingénieurs lance une enquête interne

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Alec Castonguay - Les firmes de génie-conseil sont dans la mire de la Sûreté du Québec et de son escouade spéciale. Le mandat a été élargi pour que ces entreprises, aux liens étroits avec les entrepreneurs en construction et les gouvernements, ne soient pas épargnées. De plus, l'Ordre des ingénieurs du Québec réclame une enquête publique et affirme qu'il lance une investigation interne sur ses propres membres.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, le rôle de plus en plus important joué par les firmes de génie-conseil dans l'attribution des contrats publics fera l'objet d'une attention particulière au sein de l'escouade mixte qui a été annoncée jeudi dernier par la Sûreté du Québec (SQ) et le gouvernement du Québec.
«On n'a pas échappé les firmes de génie-conseil. Pas du tout», affirme le sergent Gilles Mitchell, porte-parole de la SQ. «C'est très clair, notre enquête va toucher toutes les professions.»
Jeudi dernier, pendant toute la conférence de presse du gouvernement et de la SQ -- qui a duré plus de 60 minutes -- il a été uniquement question du milieu de la construction. Jamais un autre secteur n'a été mentionné par les ministres ou par les enquêteurs. Le communiqué de presse est également muet sur les autres professions. Le nom de l'opération, «Marteau», fait également référence uniquement au secteur de la construction.
Or, enquêter sur le milieu de la construction ne sera probablement pas suffisant, reconnaît la SQ. «L'accent, depuis quelque temps, est sur l'industrie de la construction, mais à la base, il est question de corruption et de malversation. Le mandat de l'escouade sera plus large que ça», dit le sergent Mitchell.
Si l'enquête mène vers des élus ou des fonctionnaires, la SQ entend aussi y mettre le nez. «On enquête avant tout sur des crimes et des infractions. [...] Si ça touche le monde municipal, ben ça touchera le monde municipal, point à la ligne. Nul ne sera épargné. Il n'y aura pas de distinction», dit M. Mitchell.
Le rôle accru des firmes de génie-conseil
À la SQ, une source souligne que le Bureau de la concurrence du Canada, qui a été intégré à l'escouade spéciale, est là pour enquêter sur les allégations de collusion et que c'est dans ce domaine que les firmes de génie-conseil pourraient être plus vulnérables.
Les services spécialisés offerts par les entreprises de génie-conseil sont de plus en plus utilisés par les municipalités en amont des contrats. Comme l'a révélé Le Devoir dans les derniers jours, ces firmes préparent les appels d'offres, décident des travaux à effectuer et vont même jusqu'à préparer les plans d'immobilisation de certaines municipalités. Ces firmes sont également partenaires des compagnies de construction sur plusieurs chantiers.
Au ministère des Transports du Québec, un comité spécial, créé en 2004, permet d'ailleurs aux firmes de génie-conseil de brasser des affaires avec le gouvernement du Québec dans une vision partenariale.
Cette zone d'influence prend la forme d'un comité de concertation où sont attablés, d'un côté, des dirigeants du ministère et, de l'autre, les représentants des firmes Dessau, BPR, SNC-Lavalin, Roche et autres Génivar et Tecsult. Au moins deux réunions se tiennent par année.
Souvent, l'impartition des contrats est totale. C'est alors la firme de génie-conseil qui prend le contrôle du projet au nom du ministère des Transports. Dans ce contexte, les appels d'offres lancés par le ministère sont rédigés par les firmes de génie-conseil, qui déterminent les besoins du gouvernement et participent activement à la sélection des entrepreneurs.
L'Ordre des ingénieurs réclame une enquête publique
La présidente de l'Ordre des ingénieurs, Maud Cohen, a réclamé hier une enquête publique pour «restaurer la confiance du public». «Il est essentiel de procéder à une enquête publique sur l'attribution des mandats et la gestion des contrats publics d'infrastructures. L'objectif est de s'assurer que nous payons le juste prix, que le travail est bien fait et que la confiance du public est rétablie, parce qu'elle est sérieusement ébranlée», a dit Mme Cohen hier, qui réagissait pour la première fois aux allégations de corruption et de collusion qui flottent depuis quelques semaines.
Dans une lettre envoyée hier au Devoir, l'Ordre des ingénieurs souligne que le gouvernement va investir près de 40 milliards de dollars dans ses infrastructures d'ici 2013. Cette somme, nécessaire pour corriger un «grave déficit d'entretien», est un effort justifié, dit l'organisme. Mais, «à cause de malversations, cet effort est perverti», dit Mme Cohen.
Selon Mme Cohen, les enquêtes policières ne suffisent pas. «Il semble que nous payions beaucoup trop cher pour ces travaux. Devant l'étalement d'allégations de toutes sortes, on a le désagréable sentiment d'être floués», dit la présidente de l'Ordre des ingénieurs. «Sommes-nous en face d'un système établi, solidement implanté dans plusieurs municipalités? Je l'ignore. Dans quelle mesure des ingénieurs seraient-ils impliqués? Je l'ignore, mais la lumière serait faite» avec une enquête publique.
Maud Cohen affirme même que son organisme vient de lancer une investigation interne pour savoir si des membres ont contrevenu au code d'éthique. «L'Ordre a entrepris d'enquêter sur cette situation. [...] On a des témoignages et il faut réagir», dit-elle. «Les enquêtes policières, tout comme celle de l'Ordre, permettront d'identifier d'éventuels responsables. Mais le système, si tant est qu'il existe, doit être connu, mis au jour pour être mieux éliminé et faire place à des règles de gouvernance et de gestion claires et transparentes.»
Selon elle, il faut préserver la réputation des ingénieurs, un maillon important de l'économie québécoise. «Je suis choquée et navrée par les soupçons qui pèsent sur notre profession, d'autant plus que les ingénieurs se positionnent parmi les professionnels jugés les plus dignes de confiance par le public. Au-delà de nos propres enquêtes, nous avons l'intention de suivre et de participer à toute enquête publique que le gouvernement entreprendrait», a dit Mme Cohen.
Il n'a pas été possible de parler à l'Association des ingénieurs-conseils du Québec hier.


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