La superpuissance états-unienne est en état de délabrement interne

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Comme l'URSS en 1990


Les événements catastrophiques de ces dernières semaines autour du barrage d’Oroville en Californie soulignent un problème beaucoup plus urgent. L’American Society of Civil Engineers vient de publier son évaluation quadriennale des infrastructures essentielles des États-Unis, routes, approvisionnement en eau potable, digues, ports, barrages, ponts, réseau électrique. Le rapport donne à la nation une note de quasi-défaillance, la note D +. L’infrastructure états-unienne est en train de ressembler à celle de l’Union soviétique au moment de l’effondrement du communisme, à la fin des années 1980. La proposition récente de Donald Trump d’investir 1 000 milliards de dollars sur dix ans pour résoudre le problème, principalement par la construction de trains à grande vitesse (à ce jour, les États-Unis n’en ont pas un), se rapproche à peine des besoins en la matière.



Le programme de Wall Street, axé sur la mondialisation de la production américaine et son externalisation, a transformé l’Amérique en une superpuissance creuse, en état de délabrement. Depuis les années 1980, les États-Unis ont considérablement sous-investi dans les nouvelles infrastructures et dans le renouvellement des anciennes. Alors que les multinationales américaines déplacent leurs usines à l’étranger, là où elle disposent de main-d’œuvre bon marché, au Mexique, puis en Asie, en particulier en Chine, et ailleurs, elles ont trouvé des échappatoires fiscales qui leur ont permis d’arrêter de soutenir le pays qui, pas plus tard que dans les années 1960, était la puissance industrielle mondiale. De nos jours, les sociétés états-uniennes détiennent 2 400 milliards de dollars de bénéfices à l’étranger, qu’elles maintiennent à l’étranger pour éviter de payer des impôts aux États-Unis.


Le résultat de toute cette négligence est qu’au cours des trois dernières décennies, depuis la fin des années 1980, le financement fédéral de grands projets d’infrastructure tels que les barrages a diminué de moitié, passant de 1% à 0,5% du PIB.


Le bulletin de note des infrastructures


Le 9 mars, la Société américaine des ingénieurs civils (ASCE) a publié son Rapport sur les infrastructures de 2017. Elle examine l’état des infrastructures nationales tous les quatre ans. Depuis son rapport de 2013, en dépit de quatre ans d’une prétendue reprise économique sous Obama, la note donnée est resté inchangée à D +, F indiquant une défaillance totale des infrastructures.


Le président américain vient de rencontrer des représentants de l’industrie pour discuter de sa proposition de dépenser 1 000 milliards de dollars sur 10 ans, financés par une combinaison de fonds publics et privés, la plupart apparemment destinés aux routes et au train à grande vitesse. L’ASCE estime que près de cinq fois cette somme, soit 4 590 mille milliards de dollars, est nécessaire de toute urgence au cours des huit prochaines années seulement, pour ramener la situation à un niveau « adéquat », la note B, d’ici 2025. Le coût économique pour l’économie nationale de cette infrastructure en ruine est estimé à des centaines de milliards de dollars par an, qui sont gaspillés à cause de l’inefficacité économique.


Pourtant, même cette modeste proposition Trump de dépenser 1.000 milliards de dollars en infrastructures est susceptible d’être « mort-née », selon l’analyste de Wall Street Randall Forsyth, dans un rapport pour Barrons. Un des effets des plus de huit ans de taux d’intérêt anormalement bas de la Réserve fédérale est que les fonds de pension de l’État sont sérieusement sous-financés, ce qui les oblige à tirer davantage de fonds du budget général de l’État. Les États ne disposeront pas de l’argent nécessaire pour adhérer au plan national de Trump, même si celui-ci devait être adopté par le Congrès, ce qui n’est pas encore sûr. Forsyth remarque : « Aux États-Unis, les gouvernements des États et des comtés comptabilisent les projets d’infrastructure comme des dépenses courantes, pas comme des investissements capitalisés sur la durée de vie des projets, comme le font les entreprises privées ; les contraintes budgétaires entravent donc leur capacité à financer des projets. »


En outre, Trump a en même temps promis une réduction des impôts fédéraux. En bref, l’équipe économique du Donald n’a même pas encore ses projets d’infrastructure établis, encore moins alignés avec la réalité.


Des coupures d’électricité dignes du tiers monde


Certains des faits saillants du rapport sont instructifs et alarmants. Le réseau électrique de base du pays est dans un sale état. La plupart des lignes de transmission et de distribution électriques des États-Unis ont été construites dans les années 1950 et 1960, avec une espérance de vie de 50 ans. Les lignes construites en 1967 sont aujourd’hui à leur terme, mais toujours utilisées.


La demande croissante d’électricité signifie également que les 640 000 miles de lignes de transmission à haute tension qui forment les réseaux électriques de la nation sont à pleine capacité. Étant donné le manque d’investissements dans le réseau électrique, le vieillissement des équipements, les goulets d’étranglement et l’augmentation de la demande, ainsi que l’augmentation des dégâts dû aux tempêtes et au climat, des coupures d’électricité dignes du Tiers Monde sont à prévoir, à moins que des investissements urgents ne soient réalisés.


Les autoroutes sont en mauvais état


Les autoroutes du pays sont en très mauvaise condition. Il y a soixante ans, le Congrès des États-Unis a adopté la Loi fédérale de 1956, pendant l’administration Eisenhower, la Loi de défense des autoroutes nationales, comme elle était nommée. Cette loi prévoyait la somme alors immense de 25 milliards de dollars, pour la construction de 66 000 km de réseau routier inter-États, sur une période de 10 ans. C’était le plus grand projet d’infrastructure de travaux publics dans l’histoire américaine à cette date, équivalent à un investissement de $ 218 milliards aujourd’hui. L’économie du transport des États-Unis a délibérément été transférée des rails, comme elle l’avait été jusque avant la Seconde Guerre mondiale, aux grands camions-remorques, et cette loi sur les autoroutes interétatiques a permis un énorme gain en temps et en efficacité économique. La souplesse apportée par le transport par camion par rapport au transport ferroviaire a été importante et le financement a été payé à 90% par le gouvernement fédéral, par l’entremise d’un Fonds d’investissement routier financé par les taxes fédérales sur les carburants, qui fut utilisé exclusivement pour la construction et l’entretien des routes. Les États ont financé 10% de l’investissement.


Depuis 2007-2008 et la crise financière et économique, ce Fonds d’investissement routier est sérieusement sous-financé, nécessitant des injections d’urgence du budget fédéral pour maintenir sa solvabilité. En raison du refus répété du Congrès des États-Unis d’augmenter les taxes nationales sur l’essence ou les carburants pour assurer la réparation adéquate du réseau routier inter-États, l’état actuel des routes nationales est catastrophique, pour le dire poliment. La taxe fédérale sur les carburants pour le Fonds d’investissement routier a été fixée à 0,184 $ le gallon américain, niveau demeuré le même depuis 1993. En Allemagne, la taxe fédérale sur les carburants est de 6,14 $ par gallon américain.


En outre, les États qui financent l’entretien de leurs routes avec une taxe étatique sur les carburants sont gravement sous-financés par les impôts, là aussi. À la date du 1er juillet 2016, vingt-et-un États sur cinquante n’ont pas augmenté leur taxe sur l’essence depuis dix ans ou plus.


Selon le rapport sur l’infrastructure de l’ASCE, le sous-financement sévère et chronique des fonds routiers fédéraux et des autoroutes de l’État a pour conséquence que plus de 40% des autoroutes interurbaines états-uniennes sont encombrées et que les embouteillages ont coûté, en 2014, 160 milliards de dollars au pays, en temps perdu et essence gaspillée. Un kilomètre de bitume des autoroutes sur cinq est en mauvais état.


Les ponts vers l’abandon


Les États-Unis sont une vaste étendue de terre, allant de New York à la Californie, traversant les 48 États dits inférieurs (à l’exclusion de l’Alaska et de Hawaï). Le long de l’Interstate I-80, vous conduisez pendant presque 4 800 kilomètres. De nombreux ponts permettent cette traversée du pays.


Le rapport de l’ASCE sur l’infrastructure indique que sur les 614 387 ponts, près de quatre sur dix ont 50 ans ou plus. C’est non seulement une question d’âge, mais 56 007 ponts, soit 9,1% des ponts de la nation, étaient structurellement déficient en 2016. Ils ont calculé que ces ponts structurellement déficients supportaient une moyenne de 188 millions de traversées par jour. Ils estiment le coût de réhabilitation de ces déficiences structurelles à 123 milliards de dollars.


De l’eau, de l’eau partout, mais pas une goutte à boire…


Au début des années 1960, le statut de l’eau potable des réserves états-uniennes était de première classe. À titre d’exemple, les pratiques de gestion de l’eau de Dallas, au Texas, où j’ai grandi, étaient sous la direction de Henry J. Graeser, le père d’un proche ami du collège. Graeser est devenu président de l’American Water Works Association. Ses conseils sur l’ingénierie de la gestion de l’eau potable étaient demandés partout dans le monde. C’est simplement une anecdote personnelle sur la qualité de la gestion de l’eau américaine, il y a à peine cinq ans de cela. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.


Le rapport de l’American Society of Civil Engineers déclare qu’en 2017, l’eau potable est distribuée à travers les États-Unis grâce à 1,8 millions de miles de tuyaux. Beaucoup de ces conduites d’eau ont été posées entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Depuis leur installation, la population totale des États-Unis a augmenté de deux à trois fois, par rapport aux 100 millions de citoyens en 1914, aux 140 millions en 1945 et aux plus de 310 millions d’aujourd’hui.


Les infrastructures destinées à fournir de l’eau aux populations américaines de plus en plus nombreuses comprennent aujourd’hui les barrages et les réservoirs, les puits, les stations de pompage, les aqueducs pour le transport de grandes quantités d’eau sur de longues distances, les stations d’épuration, les réservoirs du réseau de distribution.


Les conduites d’eau ont été conçues pour une durée de vie de 75 à 100 ans. À la suite de la détérioration du réseau de conduites d’eau potable, les États-Unis subissent environ 240 000 coupures d’eau par an. En conséquence, plus de deux mille milliards de gallons d’eau potable traitée sont gaspillés chaque année. Cela représente environ la moitié de la consommation nationale totale d’eau pendant un mois entier. Selon l’American Water Works Association, un montant estimé à mille milliards de dollars est nécessaire pour maintenir et élargir le service, afin de pouvoir répondre à la demande des 25 prochaines années.


Le rapport de la société des ingénieurs sur l’infrastructure continue, en annonçant aussi des résultats alarmants au sujet des aéroports américains, des barrages nationaux comme le barrage d’Oroville en Californie, qui pose encore des risques. Les États-Unis abritent aujourd’hui 2 170 barrages déficients, à haut risque potentiels, en raison du manque d’investissements. Les mêmes résultats alarmants ont été trouvés pour des usines de traitement des eaux intérieures, des digues, des ports, des voies de chemin de fer, des écoles et des stations de traitement des eaux usées.


À l’ère de la guerre du Vietnam de la fin des années 1960, le président Lyndon Johnson a parlé de « canons et de beurre ». Mais cela n’a pas marché.


Compte tenu du niveau beaucoup plus élevé de la dette nationale et de l’état bien pire dans lequel est l’infrastructure économique de base aujourd’hui par rapport aux années 1960, les fantasmes de canon et de beurre du programme Trump ont encore moins de chance de réussir à restaurer l’économie nationale.


Aujourd’hui, la sincérité de la revendication de Trump de « rendre sa grandeur à l’Amérique », se révèlera ou disparaîtra, suivant sa détermination à donner la priorité à un sérieux renouvellement de l’infrastructure économique nationale. Cela permettrait un retour sur investissement sous la forme de création d’emplois et d’une augmentation de l’efficacité et de la rentabilité de l’économie. Les guerres avec la Chine, avec l’Iran, avec la Syrie et apparemment aussi avec la Russie, que l’équipe de guerriers de Trump a l’intention de poursuivre, sont pires qu’un stupide gaspillage de ressources nationales restreintes. Construire des nations est beaucoup plus approprié et gratifiant que de les détruire.


William Engdahl


Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone


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F. William Engdahl15 articles

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Journaliste états-unien, spécialiste des questions énergétiques et géopolitiques. Dernier ouvrage paru en français : OGM : semences de destruction - L’arme de la faim (Jean-Cyrille Godefroy éd., 2008). Dernier ouvrage en anglais : Gods of Money : Wall Street and the Death of the American Century (2010).





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