Pendant des années, il a vécu dans la peur que son secret soit dévoilé.
André Lavallée, vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal, bras droit de Gérald Tremblay, maire de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie. Un homme qui en mène large.
Hier, dans son vaste bureau de l'hôtel de ville, il a répondu aux questions de La Presse avec une prudence de Sioux. Sa voix tremblait, lui, un grand six pieds quatre pouces qui n'a peur de rien. Il avait l'émotion à fleur de peau. Son passé felquiste venait le hanter.
En 1971, un an après la crise d'Octobre, au cours de laquelle un ministre a été assassiné et un diplomate britannique kidnappé, le jeune André Lavallée, 19 ans, cégépien, milite dans le FLQ. Il est membre de deux cellules. Il écrit un communiqué et il le distribue.
Il participe aussi à un vol dans un bingo, au sous-sol d'une église. Ils sont quatre. Ils se préparent minutieusement. Ils s'équipent d'un revolver jouet, de menottes et de chloroforme.
Le soir du vol, André Lavallée surveille le corridor. Son complice entre dans la salle et vole la caisse, qui contient 31,90 $. Les quatre hommes sautent dans des taxis. La police les poursuit et tire six coups de feu.
Ils sont arrêtés, accusés de vol simple et condamnés à une amende de 25 $ chacun.
Voilà l'histoire.
Grave?
Oui et non.
Oui : le FLQ a tué et kidnappé, c'était une organisation terroriste et André Lavallée s'y est associé en militant activement dans deux cellules.
Non : Lavallée était jeune. Il n'a pas posé de bombe et n'a tué personne. Et il a été manipulé par la police. À l'époque, plusieurs cellules étaient infiltrées, y compris celle qui a organisé le vol du bingo. C'est Carole Deveault, une informatrice branchée 24 heures sur 24 sur la police, qui a orchestré le vol dans ses moindres détails. Ce n'est pas compliqué, c'est quasiment la police qui a commis le vol.
Les policiers étaient au courant de tout et ils attendaient les felquistes dans le sous-sol de l'église. C'est ce qui explique la peine extrêmement légère infligée aux quatre hommes : 25 $ d'amende.
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André Lavallée devrait-il démissionner ? Non. Il a été arrêté, jugé, condamné et il a payé sa dette à la société. La charte québécoise est claire : une personne qui a purgé sa peine a le droit d'occuper un poste public, sauf si son emploi a un lien direct avec le crime. Par exemple, un pédophile ne pourrait pas enseigner dans une école.
Le FLQ possède une charge émotive. La preuve : l'incroyable débat entourant la lecture du manifeste du FLQ sur les Plaines. Un débat qui a frisé l'hystérie.
Le FLQ occupe une place douloureuse dans l'histoire du Québec. Les militants dénonçaient la mainmise des Anglais sur la société et l'asservissement des francophones. Trente-huit ans plus tard, André Lavallée, ex-felquiste, occupe un poste politique-clé à Montréal, où vit une importante population anglophone. Ironique, certes, mais on est loin d'une faute qui exigerait sa démission.
Et la charte est claire. On ne peut tout de même pas créer une exception pour le FLQ. Autant jeter à la poubelle toute idée de réhabilitation.
André Lavallée n'est pas le seul à se retrouver au pouvoir après avoir commis un acte « politique » illégal.
Wolfred Nelson a participé à la révolte des Patriotes en 1837. Il a été arrêté, accusé de haute trahison et emprisonné. Des années plus tard, il a été élu maire de Montréal.
On est loin d'un vol de 31,90 $ dans un sous-sol d'église.
Augustin-Norbert Morin, autre patriote, a connu un destin semblable. Il a mené la rébellion de 1837. Des années plus tard, il a été élu député, puis nommé juge.
La réhabilitation existait déjà au XIXe siècle.
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Le passé trouble d'André Lavallée est-il d'intérêt public? Oui. Il n'est pas un obscur conseiller qui passe son temps à s'ennuyer sur les banquettes arrière du conseil municipal. Il est vice-président du comité exécutif, maire d'un arrondissement, et il pilote des dossiers costauds, comme le plan de transport. Et il est proche du maire Tremblay.
Parlons-en, du maire. André Lavallée ne lui a jamais avoué qu'il avait milité dans le FLQ. Il le lui a dit hier, après le coup de fil de La Presse. Elle est là, sa faute : dans son silence, dans la façon dont il a couvé son passé en s'imaginant qu'il passerait sous le radar.
En se taisant, André Lavallée plonge Gérald Tremblay dans l'embarras à la veille du déclenchement de la campagne électorale. Il a menti par omission. Dans l'univers politique, ce n'est pas une faute légère.
Mais je préfère cent fois la faute d'un André Lavallée à celle d'un Frank Zampino qui a accepté de se balader sur le yacht d'un entrepreneur qui a décroché le plus gros contrat de l'histoire de Montréal.
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