Philippe Cantin Vice-président à l'information et éditeur adjoint
Chers lecteurs,
La nouvelle concernant le passé d'André Lavallée, publiée dans notre numéro d'hier, a suscité de nombreuses réactions. Des lecteurs et des commentateurs ont remis en cause notre décision de lever le voile sur ses activités au sein du FLQ en 1971. À leur avis, ces événements, vieux de près de 40 ans, appartiennent au passé et auraient dû y rester. Je respecte cette opinion mais ne la partage pas.
En journalisme, trois éléments permettent d'évaluer la pertinence de publier ou non une nouvelle: la véracité des faits, la démarche journalistique et l'intérêt public. Dans le cas qui nous occupe, la véracité des faits ne soulève aucun doute, comme M. Lavallée l'a lui-même reconnu. La démarche journalistique, elle, a été faite dans les règles de l'art. Nous avons fait largement état de ses réponses à nos questions, en plus de rappeler ses réussites professionnelles depuis son engagement en politique municipale.
Reste alors la question de l'intérêt public. M. Lavallée, je le rappelle, n'est pas un politicien ordinaire. Son poste de vice-président du comité exécutif de la Ville de Montréal en fait le numéro trois de l'administration municipale, qui gère un budget annuel de 4 milliards et dont les décisions influencent chaque jour la vie de centaines de milliers de personnes habitant la grande région de Montréal. Occuper un poste électif dans cette ville constitue une lourde charge.
Depuis le XIXe siècle, les médias examinent le passé des candidats. Cela est vrai dans toutes les démocraties du monde. Il est sain qu'il en soit ainsi. Les électeurs sont en droit d'avoir un portrait complet du parcours de ceux et celles qui sollicitent leur confiance. Dresser la liste de tous les politiciens du Québec et d'ailleurs au Canada, des États-Unis et d'Europe qui, un jour, ont été confrontés publiquement à leur passé même lointain remplirait de nombreuses pages de ce journal.
La participation de M. Lavallée à une action du FLQ, un vol dans un bingo pour financer ce groupe, est survenue en 1971. Le fait qu'il ait choisi d'y participer, sachant fort bien que le FLQ avait commis l'assassinat du ministre Pierre Laporte et l'enlèvement du diplomate James Richard Cross un an plus tôt, est certainement d'intérêt public. M. Lavallée a plaidé l'erreur de jeunesse. Il a soutenu avoir agi dans un contexte de provocation et d'infiltration policière. Et nous avons publié ses explications.
Toute la journée d'hier, à la radio et à la télévision, des gens ont dit que «tout le monde» était au courant de cette affaire et qu'il était inutile de la rappeler. Chose sûre, au moins une personne n'était pas au courant: le maire de Montréal lui-même. M. Lavallée a d'ailleurs reconnu avoir appelé son patron pour l'informer de la situation après son entretien avec nos journalistes.
D'autres observateurs ont mentionné que La Presse était «en croisade» contre le maire Gérald Tremblay et son équipe. Et que la publication de cette nouvelle en fournissait une autre preuve.
À cette allégation, je répondrai simplement ceci: sans le travail soutenu des journalistes de La Presse, qui ont fouillé avec minutie des dossiers complexes, interrogé des dizaines de personnes, consulté un nombre incalculable de documents et recoupé des informations provenant de sources diverses, des nouvelles majeures n'auraient pas été dévoilées. Parmi elles, les zones d'ombre dans l'attribution du contrat des compteurs d'eau, les transactions douteuses de la Société d'habitation de Montréal, et les liens entre des élus et des entrepreneurs ayant obtenu des contrats importants de la Ville de Montréal. Là aussi, des gens auraient sans doute souhaité que nous nous taisions.
Faire état de ces faits s'inscrit au coeur du travail journalistique. La Presse n'est pas en croisade contre qui que ce soit. Mais elle est déterminée à jouer avec vigueur son mandat premier, qui est d'informer ses lecteurs sur les agissements de nos gouvernements et de nos élus. Nous continuerons donc d'enquêter, de vérifier et de publier lorsque l'intérêt public le commandera.
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