André Lavallée avait 19 ans lorsqu'il a participé à des activités du Front de libération du Québec. Photo: Ivanoh Demers, archives La Presse
Éric Clément - Le maire de Rosemont-La Petite-Patrie et vice-président du comité exécutif de Montréal, André Lavallée, a participé en 1971 à des activités du Front de libération du Québec. Avec la cellule Michèle-Gauthier, il a participé au vol de la caisse d'un bingo. Deux mois plus tôt, il avait contribué à la publication d'un communiqué de la cellule Information Viger.
Une enquête de La Presse a permis de découvrir qu'André Lavallée à l'âge de 19 ans, a participé à l'une des opérations criminelles du groupe terroriste : le vol de la caisse d'un bingo organisé dans le sous-sol de l'église Sainte-Catherine-d'Alexandrie, alors située au 1010, rue Robin, au coin de la rue Amherst. L'église a été démolie en 1973. Ce vol devait servir à financer le FLQ.
En consultant le rapport de la Commission d'enquête sur les opérations policières en territoire québécois, mieux connue sous le nom de commission Keable, dont le rapport a été publié en 1981, on apprend que l'opération avait été préparée par les membres de la cellule Michèle-Gauthier. «Poupette», alias Carole Devault, une informatrice de la police de Montréal qui avait infiltré le FLQ, a joué un rôle déterminant dans l'opération.
Elle a choisi «elle-même l'endroit où le vol aurait lieu, indique le rapport Keable. Elle tenait en même temps le lieutenant (Julien) Giguère informé de la planification de l'opération».
Mme Devault a présenté André Lavallée, «une nouvelle recrue pour la cellule Michèle-Gauthier», au felquiste Michel Guay. Aucun des membres recrutés n'était alors âgé de plus de 21 ans. André Lavallée étudiait au cégep Bois-de-Boulogne en sciences administratives.
«André Lavallée a été joint par la source afin de rencontrer Michel Guay ce jour, le 2 décembre 1971, vers 22 h 30, au restaurant Chez Harry's, rue Saint-Denis et carré Saint-Louis, et ce, afin qu'il puisse faire partie du vol projeté par Michel Guay. André Lavallée devra être celui qui fera la surveillance dans le corridor, lit-on dans un rapport rédigé par le lieutenant Giguère. Par la même occasion, la source va informer Michel Guay de l'endroit et l'heure qu'il devra rencontrer le dénommé Dagobert et André Lavallée.»
Vol d'un bingo
Le rapport Keable raconte en détail la préparation du vol. Dans le mois qui a précédé le vol, les membres de la cellule ont rassemblé le matériel nécessaire pour passer à l'action : «Véhicule, revolver jouet, paire de menottes, chloroforme.» Les membres de la cellule ont évoqué la possibilité de s'attaquer à une caisse populaire mais, finalement, Carole Devault a eu l'idée de s'attaquer à un bingo. Le vol était censé rapporter environ 5000$.
Avant le vol, la police avait été informée de tous les détails : la date, le lieu, l'heure approximative, les participants éventuels et le fait qu'ils utiliseraient un revolver jouet. Mais jamais la police n'a empêché que le vol soit commis. Par contre, les participants ont été placés sous filature et le curé a été prévenu du vol. La police lui a demandé de faire en sorte que la caisse du bingo ne contienne qu'une somme dérisoire.
«On l'avait avisé de garder son calme, que nous aurions une surveillance adéquate et aussi d'éviter de se dépêcher, si on veut, de transporter la somme d'argent considérable qu'il pouvait y avoir, sa caisse, de garder que le minimum», a témoigné M. Giguère à la commission Keable le 20 février 1980.
Le soir du 7 décembre, sept policiers attendaient les felquistes au sous-sol de l'église. Les membres de la cellule sont arrivés vers 20h48. Michel Guay est entré dans la salle de bingo pendant que ses trois complices, André Lavallée, Serge Falardeau et Jacques Brazeau, faisaient le guet à l'entrée. Aucun d'eux n'était armé. Ils s'étaient débarrassés de leur revolver jouet. Michel Guay s'est emparé sans violence de la caisse du bingo, qui contenait... 31,90$ et des cartes de bingo. Il est ensuite sorti en courant mais a été appréhendé par les policiers alors qu'il tentait de s'enfuir en taxi avec Serge Falardeau. André Lavallée a également été arrêté alors qu'il tentait de prendre la fuite dans un autre taxi.
«Il y a eu une course à pied qui s'est faite sur la rue Robin, vers l'est, a raconté le policier Julien Giguère à la commission Keable. Ça veut dire qu'on a dépassé la rue Saint-André, on s'est rendus à la rue Saint-Christophe, on a tourné vers le nord sur la rue Ontario et puis, à cet endroit-là, il y a un ou deux ou trois personnages qui sont montés à bord de deux autos-taxis différentes et puis, il y en a qui ont été appréhendés.» Un policier a tiré six coups de feu en direction des pneus du taxi, qui a fini par s'immobiliser.
Les quatre membres de la cellule Michèle-Gauthier arrêtés ont été accusés de vol simple. Ils ont été condamnés à... 25$ d'amende chacun. Une peine clémente accueillie avec surprise aux audiences de la commission Keable. «On ne peut que s'étonner, d'une part, de ce que la police ait tenté d'empêcher la fuite des membres de la cellule Michèle-Gauthier en tirant six coups de feu et que, d'autre part, la sentence réclamée par la Couronne ait été si peu exemplaire que ceux-ci n'aient reçu comme peine qu'une amende de 25$», lit-on dans le rapport Keable.
Rédaction d'un communiqué
Dans le rapport Keable, on lit que, selon la police, André Lavallée aurait rédigé le communiqué de la cellule Information Viger du 6 octobre 1971, soit deux mois avant l'épisode du vol. Ce communiqué avait été préparé par Carole Devault.
«D'après le témoignage de Mme Devault, ce communiqué aurait été rédigé à son domicile, lit-on dans le rapport Keable. Elle a fourni le papier sur lequel il a été dactylographié et sa machine à écrire a été utilisée pour rédiger le communiqué. Celui-ci aurait été rédigé par M. André Lavallée, avec la collaboration de Mme Louise Lavergne.» Comme Carole Devault informait régulièrement son patron, le lieutenant-détective Julien Giguère, ce dernier a été informé à l'avance du communiqué qui avait pour but de dire publiquement que la cellule était active malgré les affirmations de la police.
«La police ayant revendiqué le démantèlement de cette cellule à la suite des arrestations dont fait état le communiqué du 25 septembre précédent, la cellule Information Viger réaffirme son existence. Elle revendique, au nom du Front, sans toutefois les identifier, une série de "petites expropriations" qui sont survenues au cours des trois derniers mois», lit-on dans le rapport Keable. Ces «expropriations» dont parle ce rapport étaient des vols qui servaient à financer le FLQ.
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«Des faits qui n'ont jamais été cachés»
André Lavallée Photo: Alain Roberge, Archives La Presse
Éric Clément - Numéro 3 de l'administration du maire Gérald Tremblay, André Lavallée a commis il y a 38 ans une faute qu'il n'a jamais révélée au grand public. En entrevue avec La Presse, il dit assumer son passé et être fier de ses réalisations d'élu municipal.
André Lavallée était sous le choc, hier matin, lorsque La Presse lui a demandé une entrevue à propos de son passé. «Je suis surpris et pas surpris en même temps, a-t-il dit. Mais ce sont des faits qui n'ont jamais été cachés ou niés. En 1986, en 1990, en 1994, en 1998, en 2001 et en 2003, quand je suis allé au cabinet de Louise Harel, des journalistes ont communiqué avec moi.»
En effet, quelques journalistes et quelques élus étaient au courant. Depuis la première élection de M. Lavallée, aucun média n'avait rendu publiques ces révélations contenues dans le rapport de la commission Keable et dans des volumes des Archives nationales du Québec.
M. Lavallée reconnaît les faits. «J'ai été associé en 1971 à des activités apparentées au FLQ, avec d'autres étudiants, au cégep, dit-il. On a vite compris, après quelques événements, que dans le fond, tout ça était une sorte de coup monté. Quelques années plus tard, on a compris qu'on était dans un contexte de provocation et d'infiltration policière. J'avais 19 ans. Tout ça était cousu de fil blanc. On l'a vu au moment de la commission Keable. Pour moi, ce sont des événements qui remontent à 38 ans, qui n'ont eu aucun impact. Je n'ai pas été accusé de crime. Je n'ai pas de casier judiciaire.»
Il assume le fait d'avoir participé à la diffusion d'un communiqué. «On m'a surtout demandé de taper un communiqué et de le distribuer», dit-il. Et il reconnaît avoir participé au vol de la caisse d'un bingo dans le centre-ville.
Il explique que, à l'époque, il avait été choqué par la situation politique au Québec, «comme tout le monde», dit-il. Quand on lui demande s'il était conscient de ses faits et gestes ou s'il a été embrigadé, il répond que des professeurs s'intéressaient à ce que les jeunes pensaient.
«Et de fil en aiguille, ils nous embarquaient dans des affaires, dit-il. C'était plus de l'agitation, exprimer une indignation. Personne parmi les gens que j'ai connus, étudiants à ce moment-là, n'a posé de bombe.»
André Lavallée affirme avoir a mis le maire au courant de son passé felquiste hier matin. «Gérald Tremblay m'a réitéré son entière confiance», dit-il. A-t-il été surpris? «Je le laisserai faire ses propres commentaires. Les gens qui m'ont vu travailler depuis 38 ans me font confiance et je crois que je mérite cette confiance.»
Déçu
M. Lavallée est déçu que cette histoire soit rendue publique. «Essentiellement, ce sont des faits qui ont eu lieu il y a 38 ans avec lesquels j'ai rompu dès le lendemain, dit-il. Les gens savent avec quelle intégrité j'ai défendu des valeurs qui sont, entre autres, des valeurs d'engagement démocratique et citoyen depuis des années.»
M. Lavallée est en effet devenu une personnalité marquante de la politique municipale montréalaise. Le premier plan d'urbanisme de la Ville de Montréal en 1992, c'est lui. Il est aussi le père du plan de transport de Montréal (2008). Il a implanté le Bixi. C'est un homme respecté, progressiste et travailleur. Il est devenu maire de Rosemont-La Petite-Patrie en 2005 et a été choisi par le maire Tremblay pour occuper la vice-présidence du comité exécutif de Montréal en 2009.
Quand on lui demande pourquoi, quand il s'est lancé en politique en 1986, il n'en a pas parlé ouvertement pour que ce soit réglé une fois pour toutes, il répond qu'on lui a déjà posé la question, que «ça a été discuté dans les salles éditoriales» mais que personne n'a publié l'information. «Les gens ont jugé que les explications que je donnais étaient valables, qu'il n'y avait pas lieu de faire le jeu d'un parti politique ou d'un autre et que mes faits, mes gestes et ce que je défendais comme valeurs démontraient mon intégrité», dit-il.
«Je sais qui est au courant de ça, dit-il. (...) C'était des faits connus au gouvernement du Québec. Et on ne m'a jamais reproché ces événements-là. Tout ce que je sais, c'est que je suis en campagne électorale. Et ces faits-là reviennent à la surface. On m'avait dit que mon refus de me joindre à Vision Montréal aurait peut-être des conséquences. Je ne veux nommer personne en particulier. Je ne me lancerai pas dans une chasse aux sorcières.»
Le PARCOURS D'ANDRÉ LAVALLÉE
Conseiller municipal de 1986 à 1998 et de 2005 à aujourd'hui
Conseiller membre du Rassemblement des citoyens de Montréal de 1986 à 1998
Chef de l'opposition de 1994 à 1998
Responsable de la Société de promotion et de développement du Croissant de l'Est en 1998-1999
Entre au cabinet de la ministre des Affaires municipales, Louise Harel, de 1999 à 2003
Membre du parti Union Montréal du maire Gérald Tremblay depuis 2005
Maire de l'arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie depuis 2005
Membre du comité exécutif depuis 2005 > Vice-président du comité exécutif depuis janvier 2009
Membre du conseil d'agglomération de Montréal
Membre du comité exécutif de la Communauté métropolitaine de Montréal
Actuellement candidat à sa succession à titre de maire de Rosemont-La Petite-Patrie
Un ex-felquiste au comité exécutif
« Des faits qui n’ont jamais été cachés »
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