Laval: de l’argent plein les cartons

La commission Charbonneau a récupéré 721 900 $ de la caisse occulte du parti PRO

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Le casino du financement des partis

C’était une caisse occulte dans tous les sens du terme : constituée de contributions illégales et cachée au milieu de cartons dans un minientrepôt de Laval. Et c’était une caisse bien garnie : en mars 2013, la cagnotte secrète du défunt parti PRO des Lavallois contenait encore 721 900 $, qui ont été remis à la commission Charbonneau.
Le témoignage livré jeudi par l’avocat Pierre Lambert - le « dépositaire de la caisse » du PRO - s’est conclu sur une photo éloquente. Celle de liasses de billets de 1000 $, 100 $ et 50 $ mises sous scellés et représentant la totalité de la somme qu’il a remise aux enquêteurs de la commission il y a trois mois.
Cet argent était caché dans un minientrepôt loué par M. Lambert depuis plusieurs années et dans lequel traînaient quelques « objets dépareillés ». C’est dans ce local anonyme que l’avocat stockait les « cartons » d’argent liquide que lui remettait l’ingénieur Roger Desbois. Ce dernier percevait auprès des entrepreneurs collusionnaires la ristourne de 2 % imposée sur les contrats municipaux accordés par Laval.
Quand Roger Desbois avait accumulé une somme importante (généralement 200 000 $), il appelait Pierre Lambert. Les deux hommes se rencontraient dans le stationnement intérieur de l’édifice où loge la firme Tecsult, ex-employeur de M. Desbois.
Le carton passait alors d’une voiture à l’autre, puis M. Lambert allait le mettre dans son minientrepôt. Il a soutenu n’avoir jamais compté l’argent. Au total, il aurait caché quelque 2 millions entre 2006 et 2012, estime-t-il. Et selon son témoignage, il n’aurait strictement rien touché pour son travail, bénévole jusqu’au bout des ongles.
Quand le parti avait besoin de ces sommes illicites pour quelque activité, Pierre Lambert était contacté par Jean Bertrand (agent officiel du PRO) et le notaire Jean Gauthier - les trois hommes ont été arrêtés par l’UPAC le 9 mai. M. Lambert remettait alors les sommes demandées, qui pouvaient atteindre 100 000 $.
Le système a continué même après les premières perquisitions de l’UPAC à Laval, le 4 octobre 2012. Pierre Lambert a indiqué avoir remis quelques jours plus tard environ 10 000 $ à un intermédiaire envoyé par Jean Gauthier. Personne ne l’a plus contacté après la démission du maire Gilles Vaillancourt et la dissolution du parti PRO, en novembre. « Ça m’a mis dans une situation un peu bizarre », a-t-il soufflé.
Pierre Lambert dit avoir été flatté que le PRO l’approche pour jouer ce rôle de guichet automatique de l’ombre. L’avocat avait contacté Jean Gauthier en 2005 pour offrir de participer à l’élaboration des politiques du PRO. M. Gauthier l’a plutôt rappelé l’année suivante pour lui dire que le PRO cherchait « quelqu’un de très discret et confidentiel » pour une tâche spéciale.
Pourquoi a-t-il accepté un boulot qu’il savait illégal ? Question d’ego, essentiellement. « Je n’avais pas besoin de ça pour gagner ma vie, a-t-il reconnu. Je l’ai pris comme quelque chose qui était une reconnaissance à mon égard, et ça a flatté beaucoup mon ego », a expliqué le témoin. Ce n’est qu’aujourd’hui que « l’aspect immoral » du stratagème lui apparaît plus clairement. « C’est toujours après qu’on comprend avoir pris un verre de trop. » Il a suggéré que ses « repères moraux n’étaient peut-être pas assez aiguisés ».
Auclair personanon grata
Plus tôt dans la journée, l’ancien député Vincent Auclair a raconté avoir été « complètement abandonné » par le Parti libéral du Québec (PLQ) en 2010 après avoir dévoilé que Gilles Vaillancourt lui avait offert une enveloppe d’argent huit ans plus tôt. Il était alors en campagne électorale pour une partielle dans Vimont.
En novembre 2010, M. Auclair avait soutenu à Radio-Canada qu’il avait refusé l’enveloppe. « Il remet ça. […] La première chose que je fais, c’est que je refuse. Puis ça a fini là », avait dit M. Auclair en point de presse à l’Assemblée nationale.
Or, l’ex-député (2003-2012) a reconnu jeudi avoir « joué avec les mots ». Dans les faits, il a accepté l’enveloppe de M. Vaillancourt, parce qu’il « ne savait pas comment s’en sortir ». L’ex-maire lui en imposait. « J’étais plus qu’impressionné de le rencontrer », a-t-il dit.
Il a donc pris l’enveloppe, est sorti et a immédiatement raconté les événements à sa « nounou », une avocate dépêchée par le PLQ pour le guider dans sa campagne électorale. Les deux ont convenu de laisser le directeur de la campagne de M. Auclair régler le dossier.
Ce directeur de campagne n’était nul autre que Louis-Georges Boudreault, présenté par Vincent Auclair comme un « gourou » et une « star » de l’organisation politique. M. Boudreault a d’ailleurs été nommé par Jean Charest « bénévole de l’année » au PLQ en 2010. Il a été arrêté par l’UPAC en avril 2012 pour abus de confiance et participation à une infraction dans un autre dossier.
L’organisateur s’est de fait « occupé » du dossier et M. Auclair n’en a plus entendu parler. Pour lui, le dossier était clos : il avait l’impression d’avoir refusé l’argent offert. Mais quand Radio-Canada l’a confronté en 2010 et que l’affaire est devenue publique, la réalité l’a rattrapé. « Je savais que j’allais vivre ce que je n’avais pas voulu vivre en 2002 », a-t-il confié jeudi.
« J’étais conscient que Gilles Vaillancourt allait utiliser tous les moyens pour m’écraser. Je savais que j’allais frapper un gros mur. Mais je ne pensais pas que ce serait aussi gros que ça. » Vincent Auclair dit que ça lui a « coûté cher, ça a été extrêmement dur ». « À Laval, personne ne voulait me voir. Le message était clair : vous ne côtoyez plus le député de Vimont. »
L’étude de notaire de son père a elle aussi payé le prix de ses aveux. « Mon père a perdu tous ses contrats à Laval. J’ai compris c’était quoi la capacité [de Gilles Vaillancourt] de détruire quelqu’un. »
Et dans la tempête, le PLQ l’a laissé bien seul, estime Vincent Auclair. « Dans les discussions que j’ai eues avec le parti avant le reportage de 2010, j’ai réitéré que j’avais donné [l’enveloppe] à Louis-Georges Boudreault. Ils m’ont dit qu’ils avaient vérifié et que M. Boudreault ne se souvenait de rien. Pour moi, c’était clair : le parti m’avait totalement abandonné, il ne viendrait pas me défendre. »
Vincent Auclair a choisi de ne pas se représenter aux élections de 2012.


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