Le dernier nationaliste des fédéralistes

Le moment Bourassa est le dernier qui précède la dénationalisation du fédéralisme québécois.

Tribune libre


Dans l'histoire politique récente du Québec, Robert Bourassa occupe une position charnière, privilégiée. Sa réapparition posthume suscite de nouvelles discussions sur l'héritage qu'il aura laissé à la démocratie québécoise. Certaines discutent son bilan, d'autres poussent plus loin la réflexion sur son rôle dans l'histoire québécoise. On désire moins se rappeler du tricheur que du héraut de la Baie James. Pourtant, ce n'est pas le réformateur social qui aura laissé véritablement son empreinte sur la conscience collective, mais le nationaliste incertain, désireux d'un destin québécois, mais refusant de pousser trop loin cette ambition pour des raisons qui lui appartenaient.
Rappeler les circonstances de son retour au pouvoir en 1985 n'est pas superflu : après l'échec souverainiste à faire aboutir la Révolution tranquille dans sa conséquence la plus naturelle, et plus encore, suite à la trahison indéniable des provinces anglaises au moment du rapatriement de la constitution, le Québec devait se donner une position de repli, assumant tous les paramètres d'une société coincée par son refus d'aller jusqu'à l'indépendance mais qui n'acceptait pas non plus le coup de force de Trudeau. C'est à cette tâche que s'attellera le deuxième Bourassa, en reprenant une posture précédemment portée par André Laurendeau et ses héritiers politiques, susceptible d'incarner un destin québécois dans un Canada encore ouvert à sa morphologie historique et n'ayant pas renié sa dette envers sa nation fondatrice.
Bourassa l'a dit souvent : son patriotisme était québécois. Comme il l'a aussi écrit, l'arène politique qu'il aura spontanément privilégié était l'Assemblée nationale. C'est au Québec qu'il s'agira de défendre les intérêts québécois. On s'est gaussé, souvent avec raison, des demandes répétées des partisans québécois du Canada pour un fédéralisme renouvelé. Il n'en demeure pas moins que cette idée était porteuse d'une conception très conditionnelle du Canada : soit le Canada s'ouvrait à la réalité historique en sortant de la fiction trudeauiste d'un pays existant par-delà sa nation fondatrice, soit le Québec envisageait sérieusement son retrait de la fédération. De ce point de vue, Robert Bourassa situait clairement ses revendications au sein de la question nationale telle qu'elle s'est historiquement construite autour de cette idée simple : la communauté politique québécoise est appelée à incarner le destin spécifique d'une nation distincte en Amérique et se devait pour cela de disposer de toutes les ressources nécessaires à sa préservation et sa promotion.
On peut reprendre cette idée autrement : de quelle manière distingue-t-on un fédéraliste canadien d'un fédéraliste québécois ? Le premier considère l'appartenance au Canada comme un bien en soi, indestructible et qui s'imposera en toutes circonstances, quel qu'en soit le prix à payer pour le Québec. Le second considère le lien fédéral comme avantageux pour le Québec, sans pour autant le sacraliser en renonçant à la possibilité de le dénouer s'il devenait contraire à la préservation de la différence québécoise. Sans avoir jamais franchi ce seuil, Bourassa en reconnaissait l'existence et refusait d'envisager pour le Québec une réconciliation définitive avec le Canada ne pouvant d'abord par la reconnaissance de son existence nationale.
Le moment Bourassa est le dernier qui précède la dénationalisation du fédéralisme québécois. Après lui, les fédéralistes feront tout en leur pouvoir pour sortir le Québec de la question nationale en consentant à sa normalisation administrative en dehors de toute reconnaissance authentique et approfondie, perspective consacrée avec la publication du rapport Pelletier en 2001, lequel sert de philosophie constitutionnelle au présent gouvernement. Les discussions, aussi indigestes que puériles, sur le déséquilibre fiscal, et le dérisoire hochet d'une reconnaissance québécoise à l'Unesco ne devraient aucunement faire écran : la question québécoise ne se pose plus au Canada et ceux qui le représentent ici ont consenti à gérer cette décompression des aspirations nationales québécoises. Même le premier ministre fédéral actuel, que certains disent ouvert au Québec, n'en demeure pas moins intransigeant dans sa défense d'une égalité des dix provinces canadiennes, où le Québec est appelé à se dissoudre en provincialisant une fois pour toutes son identité collective.
On raconte qu'au moment où il croyait encore possible la signature de l'entente du Lac Meech, Robert Bourassa aurait manifesté son bonheur de voir le Canada devenir enfin un vrai pays pour les Québécois. On supposera aisément que l'échec de l'accord et le durcissement du fédéralisme contre le Québec depuis le dernier référendum l'auraient convaincu qu'à défaut de quitter le Canada, ce dernier n'était certainement pas devenu le vrai pays qu'il souhaitait pour notre peuple.
Ce qui aura manqué à Robert Bourassa, c'est le courage de son allégeance. Au moins cette dernière était-elle pleinement québécoise. Peut-on en dire autant de ses successeurs ?


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