Le FLQ répond au Frère Untel
Québec-Libre, vol. 2, no 1, juin 1965, p. 5.
Dans un article paru en page éditoriale de La Presse, Jean-Paul Desbiens tenait des propos méprisants envers les jeunes militants indépendantistes. Indignée, Andrée Ferretti lui répond.
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Le Frère Untel (1) est désormais un fonctionnaire « haut placé. » Il peut encore être progressiste mais ne peut plus se permettre d’être révolutionnaire, de travailler à la transformation des structures politiques, économiques et sociales qui libéreraient globalement la nation québécoise.
Le Frère Untel qui de son propre aveu, par ailleurs admirable et d’une authenticité extraordinaire, s’est sorti de sa misère intellectuelle et matérielle en s’instruisant, à la condition d’entrer chez les frères, croit qu’en envoyant les petits Québécois à l’école – longtemps – la nation québécoise se libérera du colonialisme canadian et de l’impérialisme américain. Il n’a sans doute pas lu Étienne Parent qui disait la même chose vers les années 1850. (…)
L’anticolonialisme est nécessaire
Il est pourtant une situation de fait que même les gens instruits chez les frères ne peuvent ignorer aujourd’hui : le Québec est un État colonisé qui n’est pas maître de son destin; la nation québécoise est sans patrie, sans les pouvoirs de se gouverner selon ses véritables besoins et selon ses aspirations subjectives mais réelles et fondamentales.
Cette situation constitue à elle seule une condition objective de la nécessité d’une révolution. Et elle s’appuie sur d’autres conditions objectives :
la prise de conscience par une proportion imposante et toujours croissante de la population
de l’aberration de notre situation nationale et de la situation économique qui en découle;
la volonté d’une minorité active et représentative de tous les milieux de s’en sortir.
Lorsque les conditions objectives d’une révolution existent, il est criminel (c’est un génocide) d’en retarder le commencement.
La voie révolutionnaire est étouffée
L’action du FLQ ne serait donc pas et n’était pas, en 1963, prématurée par rapport à la situation objectivement révolutionnaire. Elle était et elle demeure justifiée pour tous ceux qui considèrent que la violence constitue le seul moyen d’accomplir la révolution au Québec.
Posons-nous maintenant la question. La violence, ou toute forme d’action autre que les moyens d’action politiques traditionnels peut-elle sensément être utilisée au Québec comme moyen de libération ? Nous répondrons par une analyse de la situation en partant de l’hypothèse que cela dépend du degré de politisation des masses et des moyens dont disposent les révolutionnaires pour procéder à cette éducation populaire.
Ce n’est un secret pour personne que les grands médias d’information (presse, radio, télévision) sont le monopole exclusif des classes dirigeantes qui se composent en grande partie de capitalistes anglo-saxons. En effet, même si le ou les propriétaires d’un journal à fort tirage sont Québécois, tant que la publicité qui défraie le coût de production et donne les profits, annoncent presque exclusivement des produits américains et canadians vendus dans des maisons canadians, par l’intermédiaire d’agences de publicité canadians qui touchent des ristournes au pourcentage, on peut affirmer que c’est le capitalisme étranger qui contrôle l’idéologie de nos journaux. Il en est de même pour la radio et la télévision.
L’argent colonialiste fausse tout
De plus, ce sont de ces mêmes sources que viennent aussi les fonds des caisses électorales de nos deux partis officiels. Ils sont obligés, pour vivre, de défendre les intérêts des capitalistes anglo-saxons. Demandons à Monsieur Lesage pour quoi il ne change pas la loi du crédit. Croyons bien que ce n’est pas par hasard, que nos ministres du revenu et des finances et notre président de la bourse, à Montréal, sont canadians.
Et pour ajouter à ce tableau déjà affreusement réaliste, notons que le Québec ne possède pas d’agence de presse et que, de ce fait, les nouvelles nous parviennent filtrées à travers l’optique canadian et américaine.
Voilà selon quels intérêts à protéger, les citoyens du Québec reçoivent l’information destinée à les rendre sensibles à la chose politique.
En face de ces géants, de quels moyens d’information disposent les révolutionnaires : sur des journaux qui reposent entièrement sur l’activité bénévole de journalistes nécessairement amateurs et sur les dons continus des membres du mouvement. (…) Par ailleurs, ils rencontrent l’hostilité systématique des autres médias qui, ou bien les ignorent complètement, ou bien déforment malhonnêtement leur pensée et le sens de leur action.
L’indépendance demeure essentielle
Il devient nécessaire, alors aux yeux de beaucoup de révolutionnaires, de prendre d’abord le pouvoir et ensuite, avec les moyens qu’il confère, de procéder à la politisation du peuple, selon son intérêt cette fois. Le parti révolutionnaire au pouvoir devra donc accomplir une transformation radicale du régime : passer du colonialisme à la souveraineté politique et de l’impérialisme économique au socialisme.
Pouvons-nous croire sérieusement que les autorités coloniales qui nous gouvernent participeront de leurs deniers à la formation légale et démocratique d’un tel parti et aux frais de sa propagande et de ses moyens d’action ?
Continuez, Frère Untel, à former des ingénieurs qui mettront leur talent au service des compagnies étrangères et parleront huit heures par jour dans la langue de leur maître, c’est votre droit. Mais puisque vous vous dites honnête, n’utilisez donc pas les grands moyens de diffusion que le système met à votre disposition parce que vous le servez, pour critiquer à tort et à travers la pensée, tout au moins aussi honnête que la vôtre, de vos concitoyens dévoués jusqu’à la mort à la libération de notre nation.
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1) Jean-Paul Desbiens (Frère Untel) membre de la communauté des frères maristes. Il publie en 1960, Les Insolences du Frère Untel, un pamphlet sur l’échec de notre système d’éducation et la dégradation de la langue. De 1964 à 1970, il entre au ministère de l’Éducation où il devient l’un des artisans des réformes.
Le FLQ répond au Frère Untel
L’âme des peuples se trouve dans leur histoire
Andrée Ferretti124 articles
"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "
Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille mod...
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"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "
Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.
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