”Le Monde Diplo” découvre enfin la Wallonie

Chronique de José Fontaine

Le samedi 30 octobre, j’écrivais sur sur VIGILE : « Le Monde Diplomatique est très décevant, tant pour les Wallons que pour les Québécois. Et en ce qui concerne la Belgique, en particulier la Wallonie, jamais - je dis bien : jamais - je n’ai lu dans ce périodique la moindre analyse réellement novatrice ou inspirante sur la Belgique. Jamais ! Encore moins sur la Wallonie encore décrite récemment (en juin), comme vivant ”sous perfusion de l’Etat belge”, ce qui est une parole qui n’est que le reflet d’un nationalisme flamand parfaitement exagéré, comme les événements récents le montrent. ».
La bourgeoisie francophone n’est pas la Wallonie
C’est vraiment la première fois (alors que Le Monde Diplomatique est situé à gauche), que le lien entre le syndicalisme et mouvement wallon est reconnu depuis que ce journal paraît. L’analyse – nouvelle du moins pour ce journal français - est due à Marc Jacquemain, professeur de sociologie à l’Université de Liège. Mais y a des centaines de plumes en Wallonie (et dans le monde anglo-saxon, ce qui est rageant pour des francophones), capables de faire ces remarques, ce qui n’enlève rien aux lignes intelligentes et pénétrantes de Marc Jacquemain. Contrairement à ce qui se passe en Flandre, l’attachement des Wallons à la Wallonie (comparable en intensité à celui d’autres attachements nationaux), peut se combiner à un attachement à la Belgique. Comme Pierre Lebrun ou Michel Quévit – entre autres - le font depuis des siècles, M. Jacquemain explique que la Belgique a d’abord été dominée par une bourgeoisie francophone transrégionale. Le combat flamand a visé à se libérer de la domination à la fois sociale mais aussi « étrangère » de cette classe sociale ni wallonne, ni flamande, ni bruxelloise, mais belge (de langue française). Classe d’opinion plutôt libérale ce qui heurte le petit peuple flamand catholique et qui vaut au mouvement flamand l’appui de l’Eglise dès le départ.
La classe ouvrière wallonne
Après la Deuxième guerre mondiale, la prospérité wallonne s’affaiblit et la Flandre s’industrialise. Dans les années 60 la Flandre surpasse la Wallonie sur le plan économique : « L’affirmation wallonne », écrit M.Jacquemain, «particulièrement forte à cette époque (années 60) s’appuie alors largement sur la classe ouvrière locale. Les syndicalistes (plus que les politiques) revendiquent à la fois l’autonomie et ce que l’on appelle les ”réformes de structures ” à savoir un interventionnisme accru des pouvoirs publics pour enrayer le déclin industriel. La revendication n’est alors que très accessoirement culturelle : il s’agit avant tout de disposer des moyens institutionnels de mener une politique économique et sociale adaptée à la crise. Ironie de l’histoire, le versant institutionnel de ce programme, l’autonomie régionale, se réalisera à partir des années 1980, au moment où, sous la poussée de l’idéologie néolibérale en Europe comme aux Etats-Unis, le rôle de l’Etat est déligitimé et progressivement réduit. » Il écrit ensuite : « Le mouvement wallon s’est donc d’abord construit comme un courant social, largement interpénétré avec le monde ouvrier et dont l’ennemi ne fut pas une élite étrangère mais le capitalisme lui-même. »
Le modèle wallon, c’est unanimement la concertation sociale
Il s’ensuit également que « Le deuxième trait de l’identité wallonne héritée de cette histoire réside dans l’adhésion à un modèle de société plutôt qu’à des traditions culturelles anciennes. Le modèle social-démocrate, associant protection sociale forte, concertation et, en même temps une certaine valorisation de la responsabilité individuelle semble rencontrer l’adhésion générale. » S’il y a contestation entre syndicats et patrons « c’est au nom du modèle de concertation sociale que l’on défend le principe du droit de grève ou que l’on en essaye d’en limiter la portée ». Il conclut : « L’identité wallonne peut ainsi se révéler solide tout en étant très éloignée des débordements émotionnels et symboliques qui caractérisent le sentiment national dans bien des régions du monde. Cependant face aux pressions de la mondialisation, cette particularuté n’est-elle que le chant du cygne d’une certaine conception attrayant du monde ou, à l’inverse constitue-t-elle un atout permettant de traverser les turbulences auxquelles toutes les sociétés? »
Le retard de Bruxelles et de la Wallonie sur la Flandre s’explique par la domination flamande
La question que l’on peut se poser, c’est de savoir si cette imprégnation syndicale du « nationalisme » wallon n’a pas contribué à rendre la Wallonie parfois peu compréhensible, aux yeux des Wallons eux-mêmes. Et il est vrai que certaines positions syndicales peuvent apparaître comme allant dans le sens de l’unité belge dans la mesure où révoltés contre le sort injuste fait à la Wallonie, les syndicats wallons insistent aussi sur la solidarité avec les travailleurs flamands. Sans régler cette question, on pourrait faire valoir que la poussée syndicale a produit l’effet qu’elle désirait sur les structure belges unitaires et a notamment fait place à une autonomie économique des Etats fédérés bien moins soutenues au départ côté flamand (car les outils économiques, belges unitaires, étaient passés dans les mains de la nouvelle bourgeoisie flamande). Ce souci d’un développement économique solidaire marque profondément la vie sociale et politique wallonne. Mais on se doit de dire quand même que ce souci du social, de l’économique – du concret – a permis aussi que soit négligée cette tradition politique wallonne elle-même. Que soit négligée sa transmission à travers une meilleure appropriation de l’histoire de la Wallonie qui, autrefois, se faisait sans doute à travers le travail discret du passage du flambeau de génération en génération dans les familles ouvrières. Mais qui aujourd’hui, nécessiterait un plus grand investissement de ces passeurs d’expérience humaine que sont les artistes, les écrivains, les professeurs, les journalistes. Trop d’entre eux, aujourd’hui, se contentent de rire des revendications flamandes au plan linguistique dont s’ocupe d’ailleurs trop aussi la classe politique francophone qui, en adoptant le schéma conflictuel d’une langue contre une autre, passe à côté des besoins réels de la société wallonne en autonomie, en politiques économiques différenciées. Et passe aussi à côté des défis bruxellois qui ne s’expriment nullement d’abord en termes linguistiques (comme on cherche à le faire croire), mais, comme en Wallonie, en termes d’immigration, de chômage, de niveaux de revenus. Du point de vue du revenu de ses habitants, Bruxelles est même plus pauvre que la Wallonie, ces deux régions étant nettement plus pauvres que la Flandre, déséquilibre anormal qui procède de la position politique dominante de la Flandre et de rien d’autre.
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José Fontaine355 articles

  • 386 651

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    5 décembre 2010

    Etienne de Callataÿ: "On devrait dire aux Flamands: "pour l'instant vous nous donnez de l'argent, merci, et nous n'en avons pas toujours fait le meilleur usage dans le passé, nous allons nous amender". Ce sont un peu des réminiscences judéo-chrétiennes de reconnaissance de faute, je sais, mais je crois que l'on doit passer par là." Professeur au Facultés N-D de Namur, il pose dans les locaux "somptueux" d'une banque d'affaires, ne cache à aucun moment l'espèce de griserie que lui procure le fait d'être interrogé par tous les médias. Il ajoute aussi: "Ce qui est bon pour le plus faible est a priori bon pour moi. C'est pour cela que je suis parfois en décalage avec la vision des syndicats qui défendent plutôt la classe moyenne inférieure. C'est légitime, mais cela conduit à protéger ceux qui ont un boulot au détriment de ceux qui n'en ont pas." Il pense aussi que les Flamands veulent une politique non par égoïsme mais parce qu'elle leur semble meilleure. Le moins antiflamand d'entre nous ne peut tout de même pas nier que la politique en Flandre se fait en fonction des intérêts flamands qui ne sont pas toujours les mêmes que les nôtres. Quant à l'argent que les Wallons ont "mal dépensé", de quoi parle-t-il? Ce que Quévit nous apprend, c'est que les Flamands ont très bien dépensé, eux, l'argent de l'Etat unitaire belge, ont même investi à grands frais dans des industries directement concurrentes de celles établies en Wallonie, subsidié à fonds perdus leurs charbonnages trente années après que ceux de Wallonie aient été fermés. Il s'agit de s'expliquer sur tout cela mais en tout cas pas de "faire amende honorable". La référence au christianisme a quelque chose de nauséabond chez ce personnage qui est peut-être un grand économiste mais ni un bon historien, ni un bon penseur, ni un politique perspicace. Si les syndicats défendent la classe "moyenne inférieure" (qu'est-ce que c'est que cela?) qui a du travail (les ouvriers de la sidérurgie de Liège et Charleroi?), en quoi cela nuirait-il à ceux qui n'ont pas de travail. Et dans quelle classe se situe E. de C. par rapport aux plus "faibles"? Je suppose que c'est dans une classe très très supérieure dont le principe fondamental de fonctionnement (la banque voire même l'université), ne me semble pas être la charité chrétienne, sauf celle que de son poste très, très supérieur (mais occupé avec humilité, selon lui...), il fera l'aumône aux plus faibles...
    Cher Denis Dinsart, je n'avais pas lu avec assez d'attention ce texte qui surprend par une "naïveté" (que son auteur réclame), mais qui est d'une inconscience, d'un cynisme, d'une arrogance qui n'a vraiment rien de "chrétien" ce qui ne l'empêche pas d'être d'une rare bêtise. Il faut que le néolibéralisme soit bien avancé dans certains esprits pour que les médias ne se posent pas de questions à propos de l'indépendance de quelqu'un de ce genre quand il doit s'exprimer sur les questions financières (en général et pas seulement pour la Wallonie), mais aussi sur la Wallonie. En dehors de l'économie où il ne peut qu'être solidaire de sa banque ("au somptueux décor"), on se demande quel type d'informations un peu sûres et indépendantes LE SOIR va chercher auprès du banquier de Callataÿ penché sur les plus humbles et les fautes de la Wallonie dont les difficultés s'expliquent (qui le nie?), par l'insertion dans un système étatique qui lui a été profondément hostile et dont sa seule "faute" est de ne pas s'être dégagée plus vite comme André Renard le demandait dès janvier 1961 face à ce qu'il appelait pour le Times de Londres "les assassins du peuple wallon" qui venaient effectivement de tuer le Borinage et une bonne partie de la Wallonie en faisant croire que cette catastrophe inhumaine pour toute une population que Conway décrit comme l'une des plus exploitées d'Europe (voyez MISERE AU BORINAGE), aurait été une fatalité qu'on nomme parfois "déclin wallon".
    Une population qui n'a jamais connu - jamais! - l'amélioration relative des trente glorieuses. On les a mis au fond du trou avant...
    Quelle pitié! Quelle tristesse! Quel dégoût!

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2010

    "Bruxelles est même plus pauvre que la Wallonie, ces deux régions étant nettement plus pauvres que la Flandre, déséquilibre anormal qui procède de la position politique dominante de la Flandre et de rien d’autre."
    J'approuve sans réserve votre article et particulièrement le passage que je reproduis ci-dessus. Malheureusement les forces qui poussent les Wallons à courber l'échine et à s'applatir sont toujours bien à l'oeuvre. Une des chevilles ouvrières en est Béatrice Delvaux qui vendrait ses père et mère pour souver la Belgique, sa Belgique. Hier encore dans "Le soir",Dekalatay "l'économiste humaniste" comme on le présente disait comprendre les flamands dont les grands parents avaient été humiliés par la bourgeoisie francophones...et que les Wallons ne devraient pas cracher dans la main qui les nourrit,... berf, l'habituel verbiage destiné à culpabiliser les Wallons qui ne sont pas (plus) prêts à se laisser tondre la laine sur le dos par le berger belgicain
    Bien à vous
    Denis DINSART