Chaque jour est là pour nous rappeler que des centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants doivent, encore et toujours, en ce XXIe siècle qui commence, affronter la famine, la pauvreté, l'illettrisme, les pandémies, les conflits meurtriers.
Et nous avons le devoir de tout mettre en oeuvre pour que le développement, les droits de l'homme, la sécurité et la paix restent au coeur du programme et de la coopération internationale. Mais nous devons être plus ambitieux encore, et anticiper les mutations qui se profilent afin d'en limiter les effets nocifs et irréversibles, afin de préserver ce qui doit l'être - la biodiversité, bien sûr, mais aussi la diversité culturelle et linguistique -, afin d'éviter que certains de nos comportements ne portent gravement atteinte aux objectifs que nous poursuivons par ailleurs.
Le 20 mars dernier était la Journée internationale de la Francophonie. En cette année 2008, qui a été sacrée «année internationale des langues», c'est l'occasion de réaffirmer l'ardente nécessité de respecter et de promouvoir le multilinguisme. Il y a à cela plusieurs raisons.
Tout d'abord, le respect du multilinguisme est indissociable de la démocratisation des relations internationales.
Peut-on, d'un côté, souscrire au principe d'égalité entre les États, et de l'autre laisser se développer, dans les enceintes multilatérales qui sont le cadre privilégié où sont menées les négociations, arrêtées les orientations, élaborées les normes qui engagent notre devenir commun, peut-on laisser se développer des pratiques qui vont à l'encontre de la participation effective de tous aux travaux? L'usage de la langue de son choix, en tant qu'il détermine la capacité à communiquer, à comprendre, à se faire comprendre, et donc à défendre ses intérêts, est un droit fondamental. C'est dire que toute atteinte portée au respect de la parité des langues officielles et de travail, toute discrimination linguistique est de nature à entacher la qualité du dialogue et de la coopération qui sont à la base du multilatéralisme.
Le respect du multilinguisme est, par ailleurs, indissociable du développement.
Peut-on, d'un côté, souscrire à des engagements et à des programmes ambitieux pour lutter contre la fracture économique, sociale, sanitaire, éducative ou numérique, et de l'autre laisser se développer une fracture linguistique qui vient se superposer aux autres en les aggravant, puisqu'elle va à l'encontre de l'accès effectif de tous à l'information et à la formation?
Valeurs universelles
Ce n'est qu'au prix d'un multilatéralisme bien compris que nous pourrons assurer la plus large diffusion des valeurs universelles que nous défendons et favoriser leur intériorisation partout et par tous.
Ce n'est qu'à ce prix, aussi, que nous pourrons accroître l'efficacité et la pleine appropriation par les bénéficiaires des programmes développés, en leur proposant des informations, une assistance technique et des matériaux de formation dans une langue qu'ils peuvent comprendre, ou mieux encore, chaque fois que c'est possible, dans les langues locales.
Ce n'est qu'à ce prix, enfin, que nous pourrons donner sa pleine dimension à ce but suprême qu'est le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
Rappelons, pour mémoire, que plus de 50% des opérations de maintien de la paix des Nations unies se déploient, aujourd'hui, dans des pays francophones. Et l'Organisation internationale de la Francophonie a démontré, à maintes reprises, au fil de ces dernières années, dans le cadre de son action en faveur de la prévention des conflits, de l'accompagnement des sorties de crise, ou de transition démocratique, combien le partage d'une langue, mais aussi de valeurs, pouvait contribuer à installer et à faciliter le dialogue si nécessaire à une véritable interaction entre les différents acteurs. C'est donc une voie qui mérite d'être toujours plus explorée.
Le respect du multilinguisme, enfin, est indissociable d'un dialogue interculturel équilibré et fructueux dans la mesure où il est un moyen de prévenir les projets d'enfermement identitaire. Renforcer la compréhension entre les peuples, favoriser l'échange de savoirs, de valeurs et d'expériences positives est le plus sûr chemin pour instaurer l'unité dans la diversité, et l'entente internationale.
Nous devons donc tous nous mobiliser pour donner vie au principe du multilinguisme. Des étapes essentielles ont été franchies en 2007 avec l'adoption, à l'UNESCO, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ou celle, par l'Assemblée générale des Nations unies, d'une résolution sur le multilinguisme.
Cela étant, il ne suffit pas de protéger le multilinguisme, il faut le faire vivre, en favorisant, notamment, l'apprentissage de plusieurs langues. Mais il faut surtout l'imagination, la volonté et l'engagement de tous - des organisations internationales, des États, des organisations non gouvernementales, des entreprises, des médias, des citoyens - et ce, dans tous les secteurs, afin que le multilinguisme soit enfin vécu comme ce qu'il est, c'est dire une source d'enrichissement dynamique, et donc revendiqué comme une source de progrès.
Le multilinguisme, certes, a un coût financier, mais il a surtout un prix, celui de l'avenir plus équitable, plus démocratique, plus pacifique que nous voulons bâtir pour les générations présentes et à venir. C'est l'un des messages que je porterai, au nom de la Francophonie, le 28 mars prochain, à New York, lors de ma rencontre avec le Secrétaire général des Nations unies.
***
Abdou Diouf
L'auteur est secrétaire général de la Francophonie.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé