Les dogmes - comme les préjugés - font des ravages sur la société et, devrait-on rajouter, sur les économies. L'austérité et l'orthodoxie budgétaire ne sont-elles pas considérées comme des vérités révélées par ceux-là même qui partent du principe - intouchable - selon lequel les récessions et le chômage élevé sont les prix à payer pour atteindre le sacro-saint équilibre des comptes publics ?
Confortés par l'immense majorité des économistes et par le petit milieu académique, la quasi-totalité de nos responsables politiques et économiques n'ont effectivement d'yeux que pour cette doctrine néo-libérale. Et n'ont que mépris pour les néo-keynésiens et autres progressistes qui opèrent une distinction nette entre le budget d'un Etat souverain...et les cordons de la bourse d'un ménage. Appliqués bêtement et à la lettre, les dogmes sont souvent cruels et destructeurs.
Qu'à cela ne tienne : nos politiques, comme nos élites intellectuelles, imposent la rigueur avec la même allégresse que les apothicaires d'antan pratiquaient les saignées. Nos nouveaux charlatans prescrivent aujourd'hui encore et toujours plus d'austérité à des citoyens d'ores et déjà étouffés par la récession ! Il est tout de même remarquable que ces fanatiques aient davantage consolidé leur emprise sur notre système, alors même que c'est leur croyance néo-libérale qui a précipité nos économies dans l'abîme. Tout en consacrant la corruption et le capitalisme sauvage au rang de divinités.
N'est-il pas navrant que ceux-là même qui se réclamaient, hier encore, pour la croissance et pour l'emploi se soient mus aujourd'hui en ardents défenseurs du « sang et des larmes » ? Du credo de l’équilibre budgétaire – qualifié religieusement de « règle d'or » - inlassablement récité par l'actuel exécutif « socialiste ». Aux conséquences dramatiques des réductions des dépenses budgétaires sur une économie française condamnée fatalement à se contracter. En passant par l'acte de contrition du Président de la République, consacrant notre soumission absolue et définitive à une orthodoxie qui règne désormais sans partage.
Le lavage de cerveaux entrepris par la secte néo-libérale est couronné de succès - globalement -, puisque même la gauche française lui emboîte le pas. Secte qui, à l'instar des fanatiques religieux, refuse catégoriquement de se soumettre à l'évidence selon laquelle une nation souveraine, qui émet une monnaie souveraine (c'est-à-dire librement échangeable sur les marchés), n'est nullement soumise à des créanciers qui feraient monter les enchères sur ses frais de financement. Car une nation souveraine et des dirigeants dignes de ce nom peuvent - et doivent - dépenser plus que leurs recettes ne leur permettent, si leur objectif est bien de juguler la récession.
Le citoyen meurtri sait-il seulement qu'une banque centrale n'aurait qu'à appuyer sur un bouton afin de créditer des comptes, créer de la monnaie et, ce, dans le double but de ressusciter son économie et de protéger sa population des affres des marchés financiers. Qui a pris la peine d'expliquer au chômeur en fin de droit qu'un pays à la monnaie souveraine peut entretenir des budgets déficitaires sur des périodes extrêmement longues, sans impact négatif sur sa croissance économique ?
Le salarié se battant au quotidien pour assurer la subsistance de sa famille serait en effet outré d'apprendre que l'austérité (qu'il est le premier à subir) ne fait qu'aggraver le ralentissement économique. Car, comme le disait l'économiste Irving Fisher, dans le cadre d'une récession : « plus les débiteurs paient (leur dette), et plus ils doivent (de l'argent) ». Une nation et un ménage doivent donc appliquer des stratégies diamétralement opposées dès lors que leurs revenus s'effondrent : tandis que la diminution des dépenses de l'individu a un effet négligeable sur l'économie de son pays, la réduction du train de vie du secteur public a un impact désastreux sur le secteur privé comme sur la consommation.
Tout autre stratégie est donc vouée à l'échec, en dépit des déclarations empreintes de commisération des doctrinaires néo-libéraux qui expliquent que l'économie de l'Union européenne s'aggrave pour n'avoir pas opté pour encore plus de rigueur, et pour ne pas l'avoir prescrite suffisamment tôt !
C'est donc deux visions du monde qui s'affrontent : saigner encore plus un patient plus ou moins moribond ou renvoyer dos à dos les néo-libéraux et leur « superstition », pour reprendre le terme de Paul Samuelson, Nobel d'économie, qui qualifiait ainsi cette posture consistant à s'entêter à vouloir équilibrer le budget d'un pays. Non : les Etats-Unis, la Grande Bretagne et le Japon - qui disposent d'une monnaie qu'ils peuvent imprimer quand et comme bon leur semble - n'ont pas subi d'escalade des frais de financement de leur dette publique.
Oui : le niveau du chômage aux Etats-Unis est en nette amélioration du fait des multiples stimuli mis en place. Et, oui : la reprise de l'économie US et la diminution de leur chômage auraient été nettement plus spectaculaires si ces stimuli avaient été plus généreux, ainsi que le préconisaient les néo-keynésiens. Enfin, oui : malgré la création monétaire massive ayant eu lieu aux Etats-Unis (avec les programmes QE 1, QE 2, QE 3 et l'opération « Twist »), le déficit budgétaire américain a été réduit ces trois dernières années à un rythme sans précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ! Les économies budgétaires réalisées par l’administration Obama permettront même de réduire drastiquement la dette fédérale américaine qui devrait retomber à 83% du P.I.B. à l'horizon 2022 !
Après avoir enflé de multiples bulles spéculatives depuis le milieu des années 80, l'idéologie néo-libérale ravage donc aujourd'hui l'Europe, en imposant à travers le continent le feu de l'austérité et la folie destructrice des équilibres budgétaires. Il faut donc refuser tout net ces programmes insensés d'économies, comme il est impératif de s'opposer à toute réduction des dépenses sociales, dont l'efficacité est systématiquement démentie par la réalité.
Car l'Etat doit au contraire se montrer généreux et investir dans son économie - c'est-à-dire augmenter ses déficits ! - tant que perdure ce contexte récessionniste. Ne vous y trompez pas car, en fait, derrière ce débat technique, se dissimule une bataille autrement plus significative : un vrai choix de société. L'économie doit devenir un système social au service du citoyen. Et l'argent un simple instrument mis à disposition de ce système, qui doit être dosé avec pour seule préoccupation la prospérité collective. Voilà pourquoi, aujourd'hui, le néo-libéralisme n'est rien moins qu'une « relique barbare » !
(*) Michel Santi est économiste, auteur de « L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique », « Capitalism without conscience » . Son dernier ouvrage est «Splendeurs et misères du libéralisme» (l’Harmattan)
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