Le pape bafoue la Wallonie

Chronique de José Fontaine

Le journal bruxellois Le Soir entame une enquête sur les catholiques belges la semaine où les chrétiens wallons ont appris, consternés, la nomination par le pape de l’évêque de Namur, André Léonard, comme archevêque de Malines-Bruxelles, cet archevêque devenant automatiquement le primat de Belgique et le président de la conférence épiscopale belge. Et, bientôt (surtout), Cardinal. 60% de Wallons se considèrent encore comme catholiques en 2010 selon l’enquête du « Soir ». C’est d’ailleurs en Wallonie que cet évêque est le plus connu (73% des personnes interrogées contre 40% à Bruxelles et 25% en Flandre). Ce chiffre de 60 % est étrange, car, depuis l’indépendance belge, les partis laïques en Wallonie ont toujours eu la majorité aux élections. Ce qui permet de voir que le catholicisme y a toujours été vraiment libéral en certaines de ses composantes (laïque même), et puis, par ailleurs, social ou socialiste. C’est une vieille orientation. La Constitution belge ignore le mot « Dieu » depuis qu’elle a été rédigée en 1830 pour servir de loi fondamentale à un Etat libéral et démocratique, l’un des rares à cette date. Et cela vaut surtout pour la Wallonie.
Un évêque fossilisé qui gouverne pour détruire
L’orientation doctrinale conservatrice, voire intégriste, de cet évêque n’est pas douteuse. Mais ce qui frappe surtout, c’est sa foncière incapacité à s’entendre avec ses collaborateurs. Dès le 8 février 1991, au moment où l’on annonce sa nomination comme évêque de Namur (le diocèse est formé des provinces de Namur et de Luxembourg, un bon tiers du territoire wallon et le cinquième de sa population), les premières oppositions se révèlent. Elles vont aller crescendo. Il est consacré évêque le 14 avril. Il décide de supprimer l’école Le Sénevé, à la fois école de théologie pour les futurs prêtres (de Namur mais aussi de Liège), école pour les laïcs engagés et centre pour la catéchèse. L’Eglise de Namur avait vécu le Concile Vatican II à fond au point de réunir une sorte de Concile diocésain. Le fait avait tellement frappé au dehors qu’une émission de la télé flamande lui avait été consacrée entièrement. Quand le clergé namurois voit venir cet homme - issu de ses propres rangs pourtant – supprimer l’école où il a été formé, il se braque tout entier dans la défense du Sénevé. Des dizaines de réunions, sous la houlette des doyens du diocèse unanimes, ont lieu sans que ne s’esquisse le moindre compromis. Pendant de très longs mois. Et cela – fait sans précédent - au vu et au su de tous les médias, car il est impossible qu’un tel conflit n’éclate au grand jour. L’école est supprimée.
Plusieurs professeurs du Sénevé sont chassés. Ils deviennent enseignants à l’Université catholique de Louvain, preuve de leur compétence et de leur fidélité à l’Eglise. Le Conseil presbytéral de Namur (sorte de parlement autour de l’évêque), met régulièrement André Léonard en minorité. Mais quelque chose s’est cassé en profondeur. Sur son site, le nouvel archevêque fait le bilan de son épiscopat à Namur en énumérant les livres qu’il a écrits (un par année !), deux ou trois communautés accueilliees dans le diocèse, la formation des futurs prêtres (pratiquement aucun du cru et après avoir supprimé tout ce qui se faisait), et les intentions des messes qu’il a célébrées (!), bref un bilan creux qui sonne faux. Lundi passé, 18 janvier, le journaliste de la RTBF parti à la rencontre des réactions de ce clergé dit simplement qu’il n’est pas difficile de rencontrer des ecclésiastiques que cette nomination consterne. Trois d’entre eux témoignent de leur calme dédain, avec la robustesse sereine d’hommes de la deuxième maturité. L’un d’eux explique que le nouvel archevêque a surtout comme but de devenir cardinal, voire même pape. Je ne connais pas beaucoup d’institutions dont les cadres diraient autant de mal de leur « patron » que ceux du diocèse de Namur où, pour reprendre le mot de ce prêtre âgé, il est surtout venu détruire.
Rome, étoile noire à des années-lumière…
On peut se demander comment un homme si décrié peut tenir psychologiquement le coup. Déjà en 1991, des chercheurs du CRISP (1) avaient montré que sa désignation par Jean-Paul II avait été faite sans tenir aucun compte de l’avis de ceux que, traditionnellement, le Vatican interroge en pareilles circonstances. Cette fois, c’est pire encore. Il n’y avait même pas à interroger les gens concernés pour savoir ce qu’ils pensaient. Mais Léonard a été nommé primat de Belgique. On a le sentiment d’une Eglise qui s’éloigne de plus en plus de sa base pour s’enfermer dans sa tour d’ivoire de célibataires masculins du troisième âge, de plus en plus fermés, bornés (même si très intelligents, comme Léonard, ce qui aggrave leur cas) et sectaires. André Léonard (une bête médiatique), depuis qu’il est arrivé à ses fins, n’arrive même pas à cacher la satisfaction de son ambition repue mêlée à une oncutuosité ecclésiatique qui écoeure. Il y a 84 ans qu’un Wallon n’avait plus été primat de Belgique. Le précédent était le Cardinal Mercier, homme d’ouverture, libéral, oecuménique et patriote. L’homme qui est nommé aujourd’hui fait honte à la Wallonie catholique et à la Wallonie en général. Il l’appelait même à renoncer à elle-même et à se soumettre à la Flandre, à mots couverts. (Voir note 1 également)
Cet homme me fait pitié
Cet homme n’appartient aux traditions, ni de la Wallonie, même s’il y est né, ni de la Flandre. Il est étranger à la communauté de valeurs partagées (entre croyants et incroyants), que forme la Wallonie. Il n’est qu’un homme de Rome et de paille. Je crois en l’Eglise. Je ne crois plus au système qu’elle recrée, malgré Vatican II, mélange de monarchie cléricale et de féodalité, recroquevillées sur de bien dérisoires armoiries, tiares, mitres, soutanes pourpres et blanches. Je crois que l’Eglise a les paroles de la vie éternelle, non le système actuel en voie de s’écrouler. A un tel point que l’on peut voir dans la nomination de Léonard ce qui se produit dans ces régimes qui agonisent et où les ambitieux font encore tout, à quelques jours du désastre, pour se charger des marques qui les rapprochent du Chef, tout en rêvant éventuellement de prendre sa place, même à quelques minutes de l’effondrement. C’est le sentiment que me donne cet homme que j’ai connu à l’université de Louvain : il correspond au profil du bonhomme pathétique qui surnage encore quelques instants, chargé d’honneurs grotesques, au naufrage d’Empires qui ne méritent plus que de périr. Mais rejaillira une autre Eglise, l’Eglise d’un Dieu, comme le disait Péguy,« jeune ensemble qu’éternel ». Catholique convaincu, je me retrouve dans la Foi commune de l’Eglise, mille fois, non dans sa pastorale imbécile qui oublie, comme le disait Thomas d’Aquin, que le Christ s’est fait homme « pour diviniser les hommes » et non les inviter à s’incliner devant les bien pitoyables requins de la pourpre cardinalice.
Oh ! comme j’ai pitié de cet homme ! Comme j’en ai pitié ! Même s’il nie la Wallonie, la démocratie et l’Espérance ! Au Concile de Vatican II, un long texte avait été voté qui commençait par les mots « Gaudium et spes » : les joies et les espoirs ! L’Eglise faisait siens les espoirs et les joies du Monde… Mais peut-être que celui-ci ne va pas bien non plus.
(1) Voir le paragraphe : En 2008, une position très caractéristique sur la Belgique dans un bref dossier, relayant une bonne vingtaine de sources sûres sur la carrière d’André Léonard depuis 1991 jusqu’à aujourd’hui, grâce auquel on comprendra.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 janvier 2010

    Question: c'est quoi le rapport d'un article de cet ordre avec l'orientation de Vigile? En quoi la politique de nominations du Vatican à l'étranger présente-t-elle un intérêt au Québec?? Que je sache, il y a longtemps que le pape n'est plus une source d'inspiration ni de préoccupation ici, à plus forte raison en politique et encore moins pour des souverainistes.

  • Raymond Poulin Répondre

    23 janvier 2010

    À lire le commentaire anonyme, on peut voir que le persiflage et l'anonymat vont parfois bien ensemble.

  • Archives de Vigile Répondre

    23 janvier 2010

    Je n'ai pas eu cette impression de Mgr. André Léonard. L'Eglise n'a pas commencé avec Vatican II. Vatican II doit être interprété à la lumière de la Tradition. J'aime beaucoup la constitution Gaudium et Spes du concile. C'est comme une symphonie de Mozart...
    J'ai vu des choses sur youtube sur Mgr. Léonard. Un homme qui me semble bien dans sa peau...
    Le clergé qui se réclame de l'esprit de Vatican II ne suit même plus le missel pour célébrer l'Eucharistie... C'est un clergé qui est aussi en faveur de l'avortement...