C’est le 26 juillet dernier que Jacques-Yvan Morin s’est éteint paisiblement à son domicile auprès de son fils Étienne et de son épouse et fidèle compagne depuis plus de 67 ans, la musicologue Élisabeth Gallat-Morin, celle-ci l’ayant accompagné dans tous ses combats politiques.
La vie nous donne parfois le privilège de rencontrer des êtres exceptionnels. Ils vous marquent, vous transforment, vous incitent au dépassement. Jacques-Yvan Morin était, pour nous, de ceux-là.
Convaincus que nos vues seront partagées par toutes les personnes qui ont eu le privilège de le connaître et de l’accompagner sa vie durant, nous tenons à lui rendre hommage aujourd’hui en rappelant le parcours exceptionnel de celui qui fut un grand universitaire et un serviteur public.
Le grand universitaire
Précédée d’une solide formation juridique acquise aux universités McGill, de Cambridge et de Harvard, la carrière universitaire de Jacques-Yvan Morin — premier professeur de carrière en droit international à 27 ans, à l’Université de Montréal, en 1957 — a été caractérisée par une réelle volonté de transmettre le savoir, ce qu’il a fait en sa qualité d’enseignant.
Ses dons de pédagogue ont été appréciés et salués par de multiples générations de ses élèves, tant au Québec qu’à l’étranger, et particulièrement à l’Académie de droit international de La Haye, où son cours avait été salué, comme l’un des soussignés en a été témoin, par une ovation exceptionnelle. Son enseignement a pu être également apprécié à l’Institut européen des hautes études internationales de Nice et à l’Université Senghor d’Alexandrie, ainsi qu’au Collège de France. Membre associé de l’Académie des sciences d’outre-mer, il fut aussi correspondant de la prestigieuse Académie des sciences morales et politiques de l’Institut de France.
Comme chercheur, le professeur Morin a fait oeuvre de doctrine, tant en droit international qu’en droit constitutionnel. Il aura compté, pour reprendre une expression consacrée, parmi les publicistes les plus qualifiés des différentes nations.
Sa proposition, formulée dès 1963, d’une « charte des droits de l’homme pour le Québec », son intérêt particulier pour la justiciabilité des droits socioéconomiques et sociaux, des oeuvres audiovisuelles préparées sous l’égide de l’Agence universitaire de la Francophonie sur les droits fondamentaux ainsi que son magistral cours « L’état de droit : émergence d’un principe de droit international » ont enrichi la littérature juridique.
L’une de ses contributions durables au monde de la recherche aura également été la création, à 30 ans d’intervalle, de la Revue de droit de McGill (McGill Law Journal) et de la Revue québécoise de droit international, dont il aura été, pour l’une et l’autre, le rédacteur en chef.
Le serviteur public
Mais le grand intellectuel que fut Jacques-Yvan Morin a voulu aussi mettre son expertise au profit de son peuple, d’un Parlement, d’un parti et d’une grande cause. Il fut un serviteur public dont la vie militante et politique a été marquée par de grands moments et l’exercice d’éminentes fonctions.
Son célèbre duel avec les ministres René Lévesque et Pierre Laporte sur la formule Fulton-Favreau au Centre social de l’Université de Montréal, en 1965, à l’occasion duquel M. Morin manie, selon le jeune journaliste du Quartier Latin F.D., « avec une égale virtuosité la dissection juridique et l’humour décapant », et sa présidence du Mouvement national des Québécois de 1971 à 1973 comptent parmi ces grands moments.
C’est la présidence des États généraux du Canada français qui l’amène par ailleurs à s’engager pour l’indépendance, après qu’il se fut interrogé, lors du discours qu’il prononçait à la séance inaugurale de ces États généraux, sur un enjeu qui est, encore aujourd’hui, d’actualité : « La question qui nous est posée n’est plus simplement ce que nous voudrions être, mais que voulons-nous être ? »
Son élection comme député de Sauvé, sa désignation par René Lévesque — qui appréciera sa grande loyauté — comme chef de l’opposition officielle en 1973 ainsi que son statut de vice-premier ministre de 1976 à 1984 lui auront permis de se mettre davantage encore au service de l’État québécois.
Ce service public sera assumé au sein des deux gouvernements Lévesque dans des responsabilités ministérielles relatives à l’éducation, de 1976 à 1980, au développement culturel et scientifique, de 1980 à 1982, et aux affaires intergouvernementales, de 1982 à 1984. Ces années d’engagement au service de ses électeurs de la circonscription de Sauvé et de l’ensemble des Québécois ont fait l’objet d’une remarquable synthèse, en cinq parties, dans la série Mémoires de députés.
On retiendra son attention aux autres, son souci du dialogue, sa volonté de changer les choses. Emporté par l’enthousiasme de l’élection surprise du 15 novembre 1976 et de son vent de réformes, il entame, dès sa nomination au ministère de l’Éducation, des consultations qui lui font parcourir toutes les régions du Québec.
Des énoncés de politique et des plans d’action s’ensuivront pour tous les cycles d’études, qu’il s’agisse en particulier de l’enseignement obligatoire de l’histoire, des exigences accrues pour la connaissance de la langue française ou de la politique pour les jeunes en difficulté d’apprentissage. En 1981, après que Jacques-Yvan Morin a passé quatre ans à la tête du ministère de l’Éducation, le journaliste Jean-Pierre Proulx fera pour Le Devoir le bilan de son action dans un éditorial au titre très éloquent : « Le courage du semeur ».
Dans son rôle de ministre d’État au Développement culturel et scientifique, il publiera un plan d’action à l’intention des communautés culturelles sous le titre Autant de façons d’être Québécois, qui fera la promotion d’une politique de convergence culturelle. Jacques-Yvan Morin a toujours été sensible à ceux qui avaient choisi le Québec comme terre d’adoption et qui acceptaient ainsi de participer à l’aventure de la nation québécoise en terre d’Amérique. Il appartenait à l’aile du Parti québécois qui ne cessera d’affirmer que celle-ci doit être ouverte sur le monde et qu’elle s’enrichit de ses différences, comme le disait Léopold Sédar Senghor, avec qui il siégera au Haut Conseil de la francophonie.
Rigueur
Pendant son mandat aux Affaires intergouvernementales, il sera absorbé par le rapatriement de la Constitution du Canada et multipliera les efforts pour prévenir un tel rapatriement sans le consentement du Québec. Il jouera un rôle déterminant visant à garantir au Québec une place au sein de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage, le premier sommet de la communauté francophone.
Bénéficiant dès lors de la présence du Québec au sein du premier sommet de la communauté francophone, Jacques-Yvan Morin a pu réaffirmer, avec force et conviction, la personnalité internationale de celui-ci, ce qu’il qualifiera ultérieurement dans un remarquable essai. Il contribuera ainsi à la mise en oeuvre de la doctrine du prolongement international des compétences formulée par celui qui fut, comme lui, vice-premier ministre du Québec et ministre de l’Éducation, M. Paul Gérin-Lajoie.
Comme l’ont reconnu toutes les personnes qui l’ont côtoyé, Jacques-Yvan Morin a exercé l’ensemble de ses fonctions avec un souci de rigueur et le sens du devoir. On ne saurait passer sous silence son amour de la langue française et le fait qu’il maîtrisait notre langue officielle et commune mieux que quiconque, particulièrement dans l’emploi de l’imparfait du subjonctif !
Jacques-Yvan Morin a été maintes fois récompensé pour cette vision internationale et cet engagement constitutionnel, qui auront caractérisé sa contribution à la vie intellectuelle du Québec et du monde. Il a été lauréat du prix Droits et libertés de la Commission des droits de la personne, du prix Louis-Joseph-Papineau du Rassemblement pour un pays souverain et du prix René-Chaloult de l’Amicale des anciens parlementaires. Il s’est aussi vu décerner les plus hautes décorations honorifiques, celles de grand officier de l’Ordre national du Québec, d’officier de la Légion d’honneur de la France et de grand officier de La Pléiade – Ordre de la Francophonie et du dialogue des cultures. L’Université de Poitiers et l’Université Mans lui ont attribué des doctorats honoris causa.
Autodétermination
Le legs intellectuel de Jacques-Yvan Morin, l’homme d’État, est incommensurable. Il appartient à ceux et celles d’entre nous qui veulent continuer son oeuvre de travailler à l’avènement d’une loi fondamentale pour le Québec, qu’il appelait d’ailleurs de ses voeux dans les pages de ce journal en 2013 dans un article intitulé « Une nouvelle constitution québécoise. Pour renouer avec la Révolution tranquille ».
Et à celui qui n’a cessé de plaider pour « la portée universelle du droit à l’autodétermination du peuple québécois », nous devons aussi et surtout de croire à l’émergence en cette terre d’Amérique française du pays du Québec. Étant d’avis que « l’éducation [est] la clé de la souveraineté », M. Morin persistait à croire que « l’éducation est […] la clé de la grande oeuvre qu’il a essayé de composer et que d’autres poursuivront » et que « le point d’orgue de cette partition ne pourra être apposé que le jour où le Québec sera indépendant », cette dernière formule lui ayant peut-être été soufflée à l’oreille par sa bien-aimée Élisabeth Gallat-Morin.
À un grand patriote, et du fond du coeur, nous disons à Jacques-Yvan Morin, au nom des générations passées, présentes et futures de Québécois et Québécoises, merci.
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