Le projet de réforme du Sénat prend la direction de la Cour suprême

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Un projet qui avance à « un train de sénateur ». Jamais cette expression ne fut plus justifiée que dans ce cas-ci

« un train de sénateur »
Ottawa – Après avoir refusé pendant cinq ans de soumettre sa réforme du Sénat à l’avis de la Cour suprême, le gouvernement de Stephen Harper fait volte-face. Pour s’expliquer, il accuse l’opposition et le gouvernement québécois de retarder sa mesure.
Les conservateurs ont beau être majoritaires depuis un an et demi, le ministre de la Réforme démocratique a insisté, vendredi, pour imputer aux partis d’opposition le fait que sa réforme n’ait toujours pas été adoptée, ni même débattue depuis près d’un an. Pourtant, le gouvernement n’a pas hésité à user de sa majorité pour limiter le temps de débat et accélérer l’adoption d’autres mesures (le bâillon a été imposé 28 fois depuis l’élection de 2011, selon le NPD). Pourquoi pas cette fois-ci ? Le ministre Tim Uppal n’a pas expliqué.
Il a plutôt rajouté qu’en confiant la réforme du Sénat à la Cour d’appel, le gouvernement du Québec est lui aussi à blâmer pour expliquer que le projet de loi C-7 fait du surplace au Parlement.
« Alors, la meilleure façon d’aller de l’avant avec notre réforme du Sénat et d’avancer à un rythme accéléré, c’est de la confier à la Cour suprême », a plaidé Tim Uppal.
D’abord la Cour d’appel
Or, même si la Cour suprême est chargée du dossier dès maintenant, rien ne garantit que cela précipite une décision. Dans le dossier de la commission nationale des valeurs mobilières, la Cour suprême avait attendu que se prononcent d’abord les Cours d’appel du Québec et de l’Alberta. Si c’est le cas avec la réforme du Sénat, une décision du plus haut tribunal pourrait ne pas être rendue avant la mi-2014 - ce qui rendrait fort peu probable l’adoption de C-7 avant les prochaines élections fédérales prévues à l’automne 2015.
Là encore, le ministre Uppal a refusé de reconnaître cette possibilité.
L’offensive d’Ottawa a été mal accueillie à Québec, où le ministre de la Justice a accusé « l’initiative unilatérale du fédéral [d’être] prématurée et irrespectueuse de la démarche québécoise ».
Le gouvernement de Jean Charest avait le premier demandé à la Cour d’appel d’étudier le C-7, l’été dernier, arguant que les changements proposés à la Chambre haute sont inconstitutionnels puisque les provinces ne sont pas consultées. « Le gouvernement fédéral tente de court-circuiter le gouvernement du Québec en s’appuyant sur sa position prépondérante dans le système juridique canadien, ce qui est inacceptable », a dénoncé le ministre de la Justice péquiste, Bertrand St-Arnaud, en prévenant que Québec n’abonnerait pas son recours.
Le plus haut tribunal a lui-même reconnu les bénéfices de décisions de premières instances, a d’ailleurs noté Sébastien Grammond. « C’est sûr qu’ultimement la Cour suprême a le dernier mot. Maintenant, la Cour suprême dit souvent dans ses décisions qu’elle bénéficie de l’opinion des tribunaux inférieurs », a souligné le professeur de droit à l’Université d’Ottawa.
Les balises de l’étude
L’avantage d’Ottawa en confiant lui-même la cause à la Cour suprême, c’est de déterminer les balises de l’étude, a expliqué à son tour Benoît Pelletier. « La stratégie, c’est […] qu’en soumettant un renvoi à la Cour suprême, le fédéral pose ses propres questions », a noté l’ancien ministre libéral aux Affaires intergouvernementales à Québec, aujourd’hui professeur de droit à l’Université d’Ottawa.
Le gouvernement Harper soumet davantage de questions à la Cour suprême que Québec à la Cour d’appel, en demandant si le Parlement a la compétence de légiférer un mandat aux sénateurs (d’une durée de huit, neuf, dix ans ou de deux ou trois législatures) ; de mener une consultation nationale, ou provinciale ; ou carrément d’abolir le Sénat.
En vertu du projet de loi C-7, les sénateurs siégeraient neuf ans - plutôt que jusqu’à l’âge de 75 ans - et les provinces mèneraient, si elles le veulent et à leurs frais, un vote « consultatif » pour recommander des candidats au premier ministre, qui aurait néanmoins le dernier mot.
Près de la moitié des provinces s’opposent au C-7, non seulement comme Québec pour des raisons constitutionnelles, mais aussi parce qu’elles refusent de devoir payer des élections sénatoriales.
Les libéraux ne s’opposent pas à une réforme. Mais depuis 2007, ils recommandent que la Cour suprême soit appelée à trancher, arguant eux aussi que le C-7 doit obtenir l’assentiment de sept provinces représentant 50 % de la population canadienne. Bonne nouvelle donc que les conservateurs obtempèrent, a réagi Stéphane Dion. « Nous auraient-ils écoutés qu’ils auraient eu leur réponse depuis longtemps et on serait fixé. »
Les néodémocrates, qui ne comptent pas de représentant au Sénat et souhaitent son abolition, déplorent que M. Harper promette sa réforme tout en traînant par sa faute de la patte dans le dossier. Selon Nathan Cullen, les conservateurs « appuient sur le bouton de délai, c’est une façon pour eux de se débarrasser des critiques qui proviennent de leur propre caucus ». Le Bloc québécois souhaite aussi abolir le Sénat, mais, en attendant, « qu’on le fasse correctement en consultant les provinces », a insisté le chef Daniel Paillé.


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