Le deuxième mandat de la CAQ est déjà parti pour tourner à l’embardée majeure. L’actualité ne cesse de faire mal paraître l’autonomisme provincial et ses thuriféraires.
Bernard Drainville qui fait des phrases. Il dit vouloir s’attaquer au grand chantier de l’éducation, mais ne touchera pas à l’école à trois vitesses et ne reverra pas le financement des écoles privées.
Jean-François Roberge qui confond l’action et la parlote de comité. Il va relever le défi de « sauver » le français, mais il est d’ores et déjà entendu qu’il ne touchera pas aux privilèges de l’anglosphère. Pas d’extension de la loi 101 (96) au cégep ; pas de révision du surfinancement des institutions anglaises d’enseignement supérieur ; pas de révision des seuils d’admission dans les universités anglaises ; feu vert aux municipalités bilingues sans assises démographiques. Encore un peu et son comité aboutira aux campagnes du bon parler français.
Pierre Fitzgibbon qui plastronne en tentant de nous faire valoir le plaisir et la satisfaction qu’il éprouve à se faire courtiser par les puissants. Il jongle sur la place publique avec des projets industriels dont il ne dit rien, sinon qu’il fera le nécessaire avec un projet de loi qu’il prédit costaud et dont on ne saura rien avant le dépôt. Il n’est pas question d’ouvrir le débat public, de consulter avec un livre blanc et de soumettre des avenues de développement au dialogue social. Il pratique avec son patron une restriction mentale assez grossière : Sophie Brochu a démissionné, mais le gouvernement et Hydro seraient d’accord sur les orientations. La belle affaire, il est évident que ce ne sont pas les orientations et les grands principes qui sont en cause, mais bien plutôt les modalités qui seront choisies, des modalités susceptibles de donner des couleurs assez affairistes.
Le bon ministre Dubé qui ne jure que par ses tableaux de bord et qui n’en finit plus d’éteindre des feux en attendant qu’Ottawa veuille bien faire ses offres de contributions. Le gouvernement fédéral exerce son chantage à même nos impôts… mais les tableaux de bord vont donner la bonne mesure de ce qu’il faudra endurer. L’hôpital Maisonneuve passera à la moulinette, c’est quasi certain. Voilà que le plan d’investissement est en révision et que le projet pourrait bien se faire par étape. Autant dire que l’Est de Montréal et sa population continueront de se contenter de demi-mesures tout en priant pour que la bâtisse qui tient littéralement avec de la broche tienne le coup jusqu’à la première étape…
La ministre des Transports n’en finit plus de poser pour laisser s’enliser le transport collectif. Pour laisser l’est de Montréal à son enclavement. Les comités se chamaillent, les scénarios se multiplient et c’est à n’y plus rien comprendre de ce qui est sérieux ou pas. Mais il y aura un troisième lien, à l’entendre dire pour tenter encore d’abuser la galerie. Mais il y aura un train à hydrogène vert pour le tourisme en Charlevoix, la transition énergétique est bien engagée !
Et voilà que la ministre Roy est atteinte de la même manie de gestionneux. Elle aussi nous présente un instrument qui aidera les familles à prendre leur mal en patience. Une réponse bureaucratique ne remplacera jamais les efforts requis pour libérer les initiatives qui sont endiguées dans les CPE. C’est vrai qu’il est question d’argent, que la province n’en a pas tant, surtout que ses dirigeants pensent qu’avec des chèques de 500 $ les parents seront mieux traités…
Quant à la ministre de l’Immigration, elle est déjà en train de gaspiller son énergie et ses talents à chercher les meilleurs moyens de capituler. Le chemin Roxham restera ouvert et il ne lui restera plus que les incantations et les appels à la tolérance pour tenter de faire face aux tensions qui montent déjà. Le monde communautaire est à bout de souffle, les écoles montréalaises sont au point d’implosion. L’on ne sait rien de ce que trament les passeurs et les trafiquants de tout acabit qui profitent du cafouillis planifié par Ottawa. Il est certain que le prochain chapitre du discours portera sur les appels à la tolérance et les mises en garde contre les amalgames.
La palme revient évidemment à François Legault lui-même qui n’en finit plus de se draper dans les superlatifs et les déclarations emphatiques : tantôt c’est son rôle dans l’Histoire où il aimerait bien se voir consacré dans les manuels comme celui qui a « sauvé » le français ; tantôt le voilà grisé par la perspective messianique de voir le Québec en leader mondial de l’électrification et de la décarbonisation ; tantôt le voilà outré par la nomination d’une raciste notoire adoubée par le gouvernement d’un État à qui il a prêté allégeance dix fois plutôt qu’une. Tantôt encore et c’est loin d’être fini, le voilà sous l’égide du sage de Saint-Cœur-de-Marie pour nous faire comprendre que la « réserve de courage » (qui lui n’en a eu que pour s’en prendre au Québec plutôt qu’à Ottawa) est une ressource finie. Il sera courageux, annonce-t-il, pour mieux s’atteler à la tâche de nous faire rattraper l’Ontario. François Legault tente à coup de formules rhétoriques de faire oublier la résignation à laquelle les choix et la détermination d’Ottawa le condamnent. Le fier Canadien en lui va se révéler pour ce qu’il est : un bon-ententiste qui préfèrera les névroses au réel.
Notre demi-État rétrécit comme peau de chagrin. Pour l’instant, les choses se laissent appréhender, c’est encore affaire de spectacle. De spectacle désolant, mais représentation tout de même de ce que le réel est en train de glisser hors du débat public. La politique de la CAQ est aussi pauvre de vocabulaire qu’elle est riche de formules creuses. Les lamentations et les « demandes » à Ottawa ne serviront qu’à détruire ce qui peut rester de confiance de la part d’un trop grand nombre de nos concitoyens à l’endroit du gouvernement du Québec et de notre État comme instrument de réalisation de notre intérêt national. La rhétorique de l’autonomie provinciale va servir d’accélérant pour le décrochage civique. C’est un risque très grave pour l’avenir de la nation. On ne peut pas toujours se projeter impunément dans le registre de la défaite et tenter de se faire des accroires avec les symboles compensatoires et les prix de consolation calibrés sur les statistiques ontariennes.
Le mandat caquiste est bel et bien en passe de devenir celui de l’humiliation bue jusqu’à la lie. On n’en finit plus de constater partout les effets de la démission collective à laquelle il préside et qu’il encourage en multipliant les voies d’évitement, en embellissant les rhétoriques du déni. Le bon-ententisme lui-même ne rapporte plus rien. Pour la simple et bonne raison qu’Ottawa et le Canada n’en ont plus rien à faire de préserver les apparences. Trudeau ne lui concèdera même pas les honneurs de la guerre. Il a perdu et il ne sera pas le perdant magnifique.
Pour les indépendantistes il est temps de prendre acte. Les joutes partisanes et les effets de toge qui font les clips si agréables à la vanité des politiciens sont totalement dérisoires. Le spectacle est triste et le rideau est tombé. La province ne peut même plus être le refuge pour les ambitions déçues. Le Québec est en passe de devenir la chose des autres. Des intérêts des autres. Et même de moins en moins de ceux des gérants qui se prennent pour les leaders de la nation. C’est cruel le décrochage civique : moins ils seront pris au sérieux, plus ils deviendront des figurants égarés, ces politiciens et ces partisans du Canada voués à consentir à toutes les humiliations. Le comble : même leurs plaintes et indignations seront prises dans la logique du simulacre. C’est déjà le cas pour plusieurs de nos concitoyens qui préfèrent détourner le regard, faire la sourde oreille, habitués, trop habitués au reniement de soi.
C’est désormais hors de la joute provinciale que les choses doivent se passer. Il faut quitter le registre du débat public dicté par les autres, induit par la raréfaction des moyens du gouvernement provincial. C’est la société civile qui est le seul terrain de lutte pour reconstruire un rapport de force, pour donner des matériaux de mobilisation. Il faut traquer le régime dans tous les replis de la vie quotidienne, montrer en toutes occasions que le déni collectif de notre situation de minoritaires consentants est en train de ruiner toutes nos institutions, d’en dévoyer les idéaux et d’en pervertir les missions. Les indépendantistes doivent casser les vieilles habitudes partisanes. Au Parti québécois d’en prendre acte. Ses priorités ne doivent pas rester prisonnières de la joute parlementaire et du spectacle orchestré par un complexe médiatique mortifère. Ils sont trois, mais ne seront pas seuls s’ils savent s’éloigner de la complicité de démission pour mettre le cap sur les forces encore vives des groupes et couches de la population qui pensent toujours que le Québec peut et doit exister pour et par lui-même.
Les injures vont continuer de pleuvoir. Le mépris n’aura pas qu’un temps. Et il ne se combattra pas par les incantations sur la fierté. C’est par le respect de soi et par l’intransigeance à l’égard du mensonge envers soi que les choses pourront se renverser. Pas en quémandant et en s’humiliant à faire semblant de croire aux excuses. Nous sommes une force qui se perd dans trop de voies de diversion. Ce ne sera pas en multipliant les constats ou les argumentaires que le combat pour l’indépendance pourra rallier, c’est en menant de vraies batailles, sur des enjeux clairement nommés et en posant des gestes sans équivoque. En les menant sur des terrains que nous définirons nous-mêmes, pas en cédant à la pensée molle des prêcheurs de statu quo. On a vu que sur un débat vieux de plusieurs décennies, le simple fait de se tenir debout pouvait venir à bout d’un serment déshonorant. Il est pourtant facile d’imaginer que des batailles portant sur des enjeux touchant les conditions de vie pourraient devenir de vrais symboles mobilisateurs et non de satisfaction compensatoire.
Le mandat de la CAQ n’en finira plus de ployer l’échine à tenter de justifier pourquoi notre destin est celui de se contenter de ce que le Canada nous laisse des impôts que nous lui versons. Il est inutile de faire semblant qu’il sera sur le vrai terrain des luttes. Il faut, pour gagner, choisir son espace politique et les moyens appropriés. Il faut commencer par rompre avec les définitions provinciales de notre situation. L’indépendance d’esprit est le début de l’indépendance. Il faut réapprendre à penser par nous-mêmes, refuser de nous laisser entraîner dans les faux combats et les impasses où nous envoient le régime et ceux-là qui en profitent ou le défendent. Il faut refuser de nous représenter dans les catégories des autres.
Le discours des indépendantistes doit s’éloigner du récit que nous fabriquent les événements générés par les turpitudes du régime. Il est temps de réaliser que les interlocuteurs à considérer ne sont pas ceux que nous désignent les résignés. Le peuple du Québec est capable de dépassement et il n’a rien à gagner à se satisfaire de l’horizon bas de plafond des impuissants qui pensent que le Canada est un horizon indépassable. Nous y sommes pour toujours cantonnés dans le renoncement et le mépris. Les appels à la fierté de la CAQ ne sont que la rançon de l’impuissance.