(Archives La Presse)
Émilie Côté - Les Québécois moins accommodants que les Canadiens envers les communautés ethniques? Les chroniqueurs et les médias des autres provinces ne se gênent pas pour le dire. Et l'écrire. Pourtant, en consultant les statistiques et en dépêchant des journalistes à Toronto, Vancouver et Calgary, La Presse a constaté que si les autres provinces tenaient aussi des commissions sur les accommodements raisonnables, le débat ferait tout autant jaser.
Cette semaine, à Toronto, on apprenait qu'une musulmane, Halima Muse, avait été suspendue par la compagnie Garda. L'agente de sécurité refusait de porter la jupe du nouvel uniforme fourni par son employeur. Elle la jugeait trop courte.
Un peu plus à l'ouest, au Manitoba, un arbitre a empêché une fillette musulmane de participer à une compétition de judo avec son voile.
Au Canada anglais, les frictions entre immigrants et citoyens «de souche» sont loin d'être rares. Depuis la commission Bouchard-Taylor, ce sont pourtant les accommodements raisonnables du Québec qui galvanisent les médias d'un bout à l'autre du pays. Dans un éditorial du National Post, John Moore écrivait il y a trois semaines:
«Le Québec, dans ses spasmes actuels, semble incapable de comprendre que le «raisonnable» de l'«accommodement raisonnable» n'est pas si difficile à définir. Les mutilations génitales, les lapidations sommaires et la religiosité excessive dont les gens de Hérouxville ont tellement peur, c'est exactement ce que les nouveaux arrivants ont cherché à fuir en venant ici.»
John Moore n'est quand même pas allé aussi loin que [Jan Wong. L'an dernier, au lendemain de la tragédie de Dawson, la columnist du Globe and Mail->rub247] établissait un lien entre les tueries survenues au Québec et la non-intégration des immigrants à la société québécoise «pure laine». Le Conseil de presse du Québec a blâmé Mme Wong l'an dernier. Mais au Canada anglais, plusieurs restent convaincus que les Québécois sont plus intolérants que les autres, et surtout, moins ouverts aux demandes des communautés ethniques.
Davantage d'attaques racistes
Neil Edwards, originaire des Caraïbes, a vécu neuf ans à Montréal avant de déménager à Toronto et de devenir directeur de la médiation à la Commission ontarienne des droits de la personne. L'homme - qui ne s'exprime pas au nom de la commission - est catégorique: «Après mes études à Concordia, j'ai réfléchi et j'ai conclu que le Québec, à cause de tout le racisme, présentait des possibilités très minces pour moi et que je devais aller voir ailleurs. Si, en tant que Noir, j'étais resté au Québec, je n'aurais pas pu progresser. Et vous savez quoi? J'ai pris la bonne décision en venant en Ontario.»
Atthar Mahmood, vice-président du Conseil suprême islamique du Canada, est du même avis. «J'ai un ami marocain qui vit à Montréal. Il veut venir s'installer à Calgary car il trouve que lui et sa famille sont trop ciblés. Je connais des gens qui ont du mal à se trouver un emploi au Québec et qui préfèrent venir ici parce qu'il y a moins de discrimination.»
Une étude récente de Statistique Canada révèle qu'on retrouve à Montréal l'écart le plus important entre le taux de chômage des immigrants et celui des Canadiens de naissance. Par contre, les plaintes pour discrimination fondées sur la race, la couleur, le lieu d'origine ou l'ascendance ne sont pas plus fréquentes ici. Qu'on soit au Québec, en Ontario ou au Manitoba, elles représentent environ le quart de toutes les plaintes reçues par les différentes commissions des droits de la personne en 2004-2005.
«Il y a une augmentation des attaques racistes partout au Canada. De Terre-Neuve à la Colombie-Britannique en passant par l'Ontario et l'Alberta», observe pour sa part Ayman Al-Yassini, président de la Fondation canadienne des relations raciales.
Les médias en parlent plus
Selon Jean-François Dumas, président d'Influence Communication, il n'y a pas plus de cas de racisme ou d'intolérance au Québec. Bon an mal an, dit-il, l'organisation B'nai Brith dénombre jusqu'à trois ou quatre fois plus d'incidents antisémites en Ontario qu'au Québec, alors que la population juive y est seulement deux fois plus importante.
Par contre, quand les médias québécois parlent des communautés ethniques, c'est plus souvent de façon négative. Et c'était le cas même avant la controverse de Hérouxville, révèle une analyse réalisée par Influence Communication.
Fait surprenant: les médias ontariens parlent davantage des controverses ethniques qui éclatent au Québec que de celles qui surviennent en Ontario. «Les médias québécois servent d'amplificateurs démesurés aux médias des autres provinces», commente Jean-François Dumas. Au Québec, ajoute-t-il, «nous avons l'habitude de nous auto-flageller, c'est-à-dire de donner de la démesure à nos enjeux de société».
Qu'on parle des fenêtres givrées du YMCA ou des jeunes musulmanes voilées expulsées d'un tournoi de judo, «c'est du bonbon pour les médias», explique-t-il. Pour les médias du Québec comme pour ceux du Rest of Canada (ROC). «Dans une bonne histoire, il faut un méchant, une victime et un enjeu.»
Un impact certain
Bien entendu, la commission Bouchard-Taylor est une tribune publique qui fait beaucoup jaser le ROC. «Ce n'est pas la commission qui choque, c'est le fait que les gens tiennent des propos gratuits», souligne Jack Jedwab, directeur général de l'Association d'études canadiennes.
Daniel Béland est professeur de sociologie à l'Université de Calgary. Il est surpris que Québec ait nommé deux «pure laine» pour diriger la commission. «Il y a une minorité de gens ici qui approuvent cette commission. La fameuse pudeur anglaise fait qu'on n'oserait pas tenir une commission comme celle que vous avez. Mais si on le faisait, je suis sûr qu'on entendrait ici aussi des choses étonnantes et peu édifiantes sur les immigrants.»
***
Avec la collaboration de Mario Girard et Isabelle Hachey
Pourcentages par province des plaintes de discrimination fondée sur la race, la couleur, le lieu d'origine et l'ascendance
Territoire du Nord-Ouest : 35%
Manitoba : 25%
Québec : 25%
Ontario : 25%
Nouvelle-Écosse : 23%
Nouveau-Brunswick : 20%
Alberta : 15%
Colombie-Britannique : 15%
Yukon : 15%
Sakatchewan : 14%
Terre-Neuve : 2%
Île-du-Prince-Édouard : 1%
Source : Commission des droits de la personne de l'Alberta et la Commission canadienne des droits de la personne 2004-20.
- source
Le Québec a mauvaise presse
Les accommodements raisonnables du Québec galvanisent les médias d'un bout à l'autre du pays.
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