Les touristes visitant la Belgique ont pu remarquer, depuis quelques mois, des milliers de drapeaux aux couleurs nationales flottant aux fenêtres dans une grande partie du pays. Alors que le plat pays de Brel et de Magritte vient de fêter ses 177 ans, il est de plus en plus tiraillé par des aspirations séparatistes alimentées soit par certaines franges politiques flamandes, soit, en désespoir de cause, par des francophones désunis dans le débat sur leur avenir.
Au cours des siècles précédant l'indépendance de 1830, cet espace géographique a été le théâtre de nombreux affrontements: il porte d'ailleurs le triste nom de «champ de bataille de l'Europe». Aujourd'hui, il ne s'agit bien heureusement que d'échanges verbaux entre les communautés du pays, sur lesquels est focalisée l'attention de l'étranger. La presse et des chancelleries étrangères furent intriguées au départ, préoccupées ensuite. En outre, voir la Belgique se décomposer en plusieurs entités indépendantes serait un camouflet pour l'Union européenne qui tente, depuis de nombreuses années, de réunir le Vieux Continent, notamment avec les anciens pays du Bloc soviétique.
La Belgique en crise
La Belgique est en train de vivre une de ses crises institutionnelles les plus profondes et personne ne semble en mesure de trouver une solution, pas même le roi. Les origines de cette crise ne remontent pas uniquement au scrutin du 10 juin 2007, mais plus loin dans l'histoire, à savoir durant toutes les réformes institutionnelles de la nation qui ont engendré un État fédéral, le 1er janvier 1994.
Depuis plus de 30 ans, les différents acteurs politiques ont trouvé des accords dits «à la belge», accords parfois bancals mais qui, au final, satisfont tous les négociateurs et les communautés du pays. Pour la toute première fois depuis l'indépendance et la nouvelle structure fédérale, les politiques belges n'arrivent pas à trouver pareil accord.
Les résultats électoraux ont compliqué toute négociation car, du côté flamand, il y avait une réelle volonté de réforme institutionnelle profonde du pays et, du côté francophone, on observe un front désuni sans vision claire de son avenir au sein de la Belgique.
Les négociateurs tentant de trouver un accord pour la formation du futur gouvernement font partie de deux grandes familles politiques: les démocrates-chrétiens flamands et francophones ainsi que des libéraux des deux côtés de la frontière linguistique du pays. Ces grandes familles, devenues hétérogènes avec l'éloignement culturel et linguistique au fil des ans, ne s'entendent pas nécessairement sur une vision commune de l'avenir du pays.
Noeud gordien
Le cas belge a donc rassemblé les ingrédients nécessaires pour la formation d'un noeud gordien.
Les visions flamandes et francophones se démarquent clairement. D'une part, les Flamands désirent amplifier l'autonomie de leur région afin d'entrer dans une logique confédérale; le front flamand souhaite élargir les compétences régionales en matières fiscales afin d'améliorer la gestion des apports financiers et, surtout, la répartition entre les entités fédérées.
D'autre part, les francophones voient et craignent la scission du pays, alors qu'ils demeurent soucieux de préserver une certaine unité fédérale, notamment quant à la matière sociale (sécurité sociale, pensions). Les revendications flamandes sont alors généralement perçues comme une volonté de séparatisme à moyen terme; ceci laissant les francophones sans idée précise quant à leur avenir commun au sein d'un pays divisé.
En d'autres termes, nous sommes en présence de deux camps linguistiques, de plusieurs familles politiques qui ne s'entendent pas et de deux visions d'avenir du pays divergentes.
Solidarité ébranlée
Ce climat ébranle le modèle du fédéralisme belge basé sur la notion de solidarité. Depuis des décennies, le glissement de compétences de l'État fédéral vers les entités fédérées s'est amplifié mais sans pour autant verser vers un scénario de confédéralisme ou une scission pure et simple de la nation.
Auparavant, pareille situation aurait relevé de la fiction. Et pour cause: il y a un an, la chaîne télévisée publique francophone, la RTBF, a interrompu ses programmes de manière impromptue pour affirmer que le parlement flamand avait voté, unilatéralement, son indépendance. Ce canular, qui a fait le tour du monde, a laissé une marque indélébile auprès des citoyens complètement hagards et des politiques des deux côtés de la frontière linguistique: les Flamands criant au scandale et refusant l'image négative d'une Flandre désireuse d'une mort à brève échéance du pays, les francophones, quant à eux, demeurant bouche bée.
Depuis cette émission, la volonté d'union du pays a fait son chemin, des pétitions, des drapeaux et des manifestations ont rassemblé de nombreux citoyens, majoritairement francophones, certes. En effet, la majorité de ceux-ci ne veut pas assister à la fin du Royaume et le scande drapeau en main, alors que les Flamands ne craignent pas cette scission, désirant in fine plus d'autonomie: un couple où l'un se profile comme dominant alors que l'autre a peur du divorce.
Gouvernement d'intérim
Sans gouvernement et avec un premier ministre sortant, Guy Verhofstadt, rappelé par le roi afin de revenir au chevet du pays, les scénarios d'indépendance plus ou moins aboutis d'une entité fédérée ne sont pas à exclure, bien que leur concrétisation ne soit pas si aisée. Les observateurs prédisant une indépendance de velours, telle qu'observée en Tchécoslovaquie, ont dû se rendre à l'évidence d'une impossibilité trouvant sa cause dans l'architecture institutionnelle toute particulière de la Belgique: la présence d'une troisième région, Bruxelles-Capitale, entre la Flandre et la Wallonie.
Cette petite région d'un million d'habitants enclavée en territoire flamand mais à majorité francophone a vu le jour en 1991 alors que les pères fondateurs des différentes réformes institutionnelles avaient pensé à bétonner la Constitution contre toute hypothétique scission du pays en y imposant des majorités spéciales çà et là.
Un gouvernement «intérimaire» vient de voir le jour jusqu'en mars 2008 afin de solutionner les questions urgentes du pays; la dernière heure de la Belgique est probablement encore loin! La situation actuelle pourrait être comparée à un des plus beaux tableaux de Magritte: L'Empire des lumières. La majeure partie des négociateurs politiques est focalisée sur le court terme, comme si elle concentrait son attention sur la partie sombre au premier plan de l'oeuvre du peintre belge du XXe siècle.
Il est temps de relever la tête et d'observer le versant lumineux de la toile: une manière de rendre constructifs les débats relatifs à l'avenir du plat pays et de se soucier des citoyens belges qui ne comprennent plus à quoi rime ce ballet de négociations alors qu'ils sont confrontés à des problèmes de diminution de leur pouvoir d'achat. Magritte doit sourire et signerait probablement à deux mains l'actuel tableau surréaliste belge.
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Roberto Di Primis : Collaborateur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM
- source
Le tableau surréaliste belge
Belgique - des leçons à tirer...
Roberto Di Primis1 article
Collaborateur à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM
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