Le ver rongeur

Tribune libre

Une fréquentation tant soit peu assidue de Vigile.net permet de constater une profonde dissension au sein des Québécois qui aspirent à un pays qui leur soit propre. Situation malheureuse entre toutes. Non seulement ont-ils à faire face à une bonne moitié de la population qui reste assez résolument fédéraliste, mais ils minent leurs propres assises dans des controverses tapageuses portant entre autres sur les manières d’accéder à l’indépendance, ou encore sur la différence exclusive entre l’indépendance et la souveraineté. Ce qui mène à fonder différents partis politiques qui, les scrutins venus, se partagent malencontreusement les votes favorables à la démarche vers le pays. Et cela au grand plaisir à peine retenu des tenants du fédéralisme canadien qui se font élire allègrement et opportunément par les voix qui restent.
Cependant, il se manifeste depuis quelques mois des prises de conscience de cet imbroglio et il ne manque pas de suggestions pour y échapper. En effet, divers types de rassemblement et de mobilisation des Québécois pour l’accession à l’indépendance du Québec ont été évoqués. En voici quelques-uns en rafale :
- Rassemblement de toutes les forces indépendantistes et souverainistes.
- Rassemblement de la population en deçà des partis politiques.
- Rassemblement des indépendantistes laissant au bord du chemin les péquistes simplement et stérilement souverainistes.
- Rassemblement de divers représentants de la population pour l’élaboration d’une Constitution québécoise.
- Rassemblement de tous les élus québécois pour une Constituante.
Ce qui semble le plus fondamental, et cela est évoqué de différentes manières, c’est le travail auprès de la population elle-même. Mieux encore : le travail avec l’ensemble du peuple. Chacun des rassemblements mentionnés doit en fin de compte être perçu comme surgissant du peuple et à son service. Car c’est de son pays et de son pouvoir qu’il est question. Selon cette mouvance, il faut collectivement prendre acte de la vulnérabilité de notre nation dans l’état actuel de la gouvernance, comprendre collectivement la nécessité d’une totale autonomie politique pour la vie normale d’une nation, divulguer la légitimité d’une accession à cette indépendance et alimenter le vouloir d’y arriver. Tout cela pourrait se produire en s’attelant ensemble, dès maintenant, à la tâche concrète de rédiger une Constitution québécoise. Une Constitution où se déclineraient les caractéristiques essentielles de notre identité nationale, qui proposerait le cœur et les ramifications de l’appareillage législatif, qui suggérerait un sens du partage des avoirs nationaux, qui indiquerait l’esprit des rapports avec les autres nations. Un travail passionnant, mobilisateur et rassembleur. D’ailleurs, il existe déjà des ébauches d’un tel ouvrage.
Cependant, un certain ménage printanier reste à faire. La place publique est encombrée des résidus qu’ont laissés et continuent de produire les discours à l’emporte-pièce sur les veuleries des souverainistes comparées à la vaillante détermination des indépendantistes. Vigile en témoigne constamment. Pourquoi donc cette opposition incessante et viscérale à l’idée de souveraineté? Et pourquoi les coups de griffes lacèrent-ils et dévastent-ils principalement le Parti Québécois, ses membres et sa cheffe? Point n’est besoin d’être péquiste pour sentir cette animosité ni pour poser ces questions.
Une hypothèse de réponse. Il semblerait que cela tienne à la difficulté des “indépendantistes” à comprendre la “souveraineté” en dehors du contexte de la “souveraineté-association”. Cette difficulté remonterait à la fin des années 1960 où le passage du RIN au MSA et au PQ fut vécu par plusieurs comme une défaite lamentable voire un traumatisme. D’autant plus que la souveraineté-association, en ses variantes, n’a produit jusqu’ici que des échecs. Alors cessons donc de parler de souveraineté et faisons l’indépendance. Assez de temps perdu ! Et c’est pourquoi, semble-t-il, on continue de déclarer sur tous les tons que le PQ ne veut pas et ne cherche pas l’indépendance du Québec. Que le parti est crypto-fédéraliste. Qu’il ne rêve d’une seule chose : gouverner le Québec comme province canadienne. Et tout cela même si ce parti définit et présente depuis longtemps la souveraineté comme la possession et la maîtrise par une nation de tous ses pouvoirs : lois, impôts et traités. Ce qui pourtant semble bien correspondre à l’indépendance d’un pays.
Pourquoi avoir lié la souveraineté à une sorte d’association ou partenariat avec le Canada? Grosso modo : Parce qu’une partie majoritaire de la population ne voulait pas couper complètement avec ce Canada ou simplement se distancer de lui. Cela pour des raisons évidentes chez les anglophones; à cause également d’un attachement historique de beaucoup de Québécois, canadiens-français, à la terre canadienne; et parce que les allophones ont tendance à se joindre à la majorité anglaise canadienne et continentale. Le trait d’union dans l’expression “souveraineté-association” est l’expression d’une stratégie. Une stratégie qui, à bien y penser, n’avait rien de diabolique en elle-même. Mais qui pour le moins n’osait pas un certain risque dont l’issue, s’il avait été pris, ne pourra jamais être supputée avec certitude. Ici, la modestie est de rigueur.
Les indépendantistes ont interprété ce lien et continuent de le comprendre comme impliquant nécessairement une souveraineté diluée qui n’a rien à voir avec l’indépendance. Ils ont partiellement raison. Parce que l’association ou le partenariat, compris dans la perspective fédéraliste canadienne, ne peut pas laisser de place à une souveraineté synonyme d’indépendance. L’erreur de la souveraineté-association était de réunir la réalisation de ces deux éléments dans des gestes impliquant deux instances décisionnelles en situation de contradiction. Car l’association effective, de toute évidence, exigeait l’accord ou le OUI de l’État fédéral et du reste du Canada. Ce qui n’allait pas de soi, bien évidemment. L’histoire l’a démontré. Mais la souveraineté, faut-il affirmer, n’a pas à s’accrocher obligatoirement à une association ou un partenariat avec le Canada ni avec un quelconque autre pays.
Il faut être explicite et insister. La souveraineté telle que définie, comme possession de tous les pouvoirs rattachés aux lois, aux impôts et traités, est constitutive de l’essence même d’une nation ou d’un peuple arrivé à sa maturité politique ou son plein-être. Et cet état de choses, une fois assumé concrètement par un peuple, n’est rien d’autre que l’indépendance. Le OUI d’un peuple à la souveraineté est la proclamation de son indépendance. Vouloir accéder à l’indépendance en faisant bon marché de ce qui caractérise essentiellement la souveraineté est un raccourci pour le moins problématique. Il y va de la légitimité même du geste. Ce geste, ce OUI du peuple doit être pleinement éclairé et résolument assumé. S’il ne résultait que d’envolées charismatiques faisant l’impasse sur le contenu soigneusement exposé de la souveraineté, il pourrait n’être que mauvais augure pour l’avenir du peuple. Le peuple se trouverait sans doute assez tôt dans des conjonctures qui lui feraient regretter un OUI lâché dans un enthousiasme passager, circonstanciel et en manque d’un solide vouloir collectivement partagé.
On peut, bien sûr, théoriquement distinguer souveraineté et indépendance. Mais les séparer comme deux réalités qui ne s’accordent pas, devant s’exclure parce que ne pouvant pas converger, ne fait qu’entretenir dans la population une équivoque paralysante et désastreuse. Si, entend-on dire, les tenants d’un vrai pays pour le Québec entretiennent une telle confusion ou dissension acrimonieuse dans leurs rangs, c’est que leur projet ne tient pas la route. Alors autant les laisser se crêper le chignon à loisir et envisager le devenir national autrement. Après tout, le statu quo fédéraliste peut bien faire l’affaire. On a l’habitude de s’y débrouiller !
Forts de l’expérience des quarante dernières années, indépendantistes et souverainistes devraient réfléchir à ce qui les unit. Ils devraient se rassembler. Et le plus rapidement possible. Ils devraient se livrer à un généreux rapaillage des idées et des énergies comme envers du nettoyage des détritus laissés par les dissensions À partir de leurs différents partis politiques, -puisqu’ils sont déjà là- ils devraient envoyer à la population un signal de cohésion interne rassurante et efficace en prévoyant, dès maintenant, au moins un mécanisme qui rangerait, au prochain scrutin, les votes respectivement gagnés en un seul et même résultat. Et ils devraient envisager, dès maintenant, une gouvernance partagée du Québec qui constituerait le lieu et marquerait le temps de proclamer l’indépendance du pays. Les chefs et les exécutifs de ces partis ont là une responsabilité historique indéniable. Car il y va sûrement de l’avenir de notre peuple.
L’indépendance sans la souveraineté ou contre elle reste un slogan creux. La dissension présente entre souverainistes et indépendantistes est le ver rongeur au cœur du projet de pays qui fera choir le fruit avant sa maturité.
La pugnacité et la ténacité des uns et des autres restent cependant des garantes possibles d’un commun espoir.
Fernand Couturier
6 mai 2010


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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 mai 2010

    @ Monsieur Haché
    Il y a longtemps que les souverainistes ont vendu à leurs adversaires fédéralistes leur plan de match. Vous n'avez qu'à vous rappeler l'ancienne formation du MSA (Mouvement Souveraineté Association) de René Lévesque; ce parti prônait la souveraineté du Québec assortie d'une association avec le Canada. Pas surprenant que le mouvement indépendantiste fonctionne tout croche depuis sa fondation, il y a 42 ans. À moins d'un changement radical de stratégie, le PQ est "out"! On la fait l'indépendance ou bien on ne la fait pas; les demi-mesures, je ne crois pas à ça!
    André Gignac le 7 mai 2010

  • Gilles Bousquet Répondre

    7 mai 2010

    À M. Marcel Haché, 100 % d’accord avec votre dernière intervention.
    Nos souverainiste pressés voudraient que Mme Marois télégraphie ses tactiques, ses intentions, ses pensées et sa stratégie.
    Il devrait suffire qu'elle déclare que son but est de faire du Québec un pays, ça devrait être assez, même pour les inquiets de la constitution...genre....à ce moment-ici.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2010

    Encore une fois, j’apprécie beaucoup votre contribution, M. Couturier.
    Le P.Q. annonce une gouvernance souverainiste ? Cela est très habile.
    À partir du moment où les indépendantistes restent circonspects à l’égard du P.I., que reste-t-il d’autre à espérer que le P.Q. ait toute la drive nécessaire pour mener le combat auprès de l’électorat ? Les libéraux sont devenus tellement n’importe quoi.
    Concernant la gouvernance souverainiste, cela pourrait être un pétard mouillé, peut-être bien… mais je serais d’avis contraire : il est préférable qu’un parti souverainiste n’annonce pas toutes ses couleurs, ni tout son plan de match, les partis fédéralistes et Ottawa ne l’ayant jamais fait eux-mêmes.
    Et c’est bien pour ne pas avoir tout dit à l’avance, que P.E.T. a pu procéder et présider au rapatriement de la constitution (de 82) qui Nous afflige tant !
    Pourquoi faudrait-il que les indépendantistes fournissent aux rouges les détails de leur plan de match ?
    Parce que le plan deviendrait subitement « mobilisateur »? Du seul fait d’en fournir les détails ? Ayoye! comme dirait M. Bousquet dont je demeure un fan.
    Souverainistes et indépendantistes ne manquent pas de conviction, sont « mobilisés » depuis longtemps. Ils manquent de fermeté. Parce qu’ils sont divisés. Mais tout cela est en train de changer, du moins pour la fermeté : Pauline Marois a la drive qu'il faut.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2010

    L'UNIQ n'est pas un mouvement,ni un parti politique.
    Ce n'est qu'une expression futuriste qui nommerait une alliance pragmatique/stratégique, hypothétique, qui pourrait naître au congrès du PQ en 2011...si ce dernier veut bien dépéquitiser le projet de l'indépendance du Québec.
    Je vous suggère de lire «Le pays Québec est arrivé» ...suite à une ÉLECTION...sans demander la permission ...comme les 13 colonies américaines ont fait.

  • Gilles Bousquet Répondre

    6 mai 2010

    Nous pouvons lire ici qu'il y a préférence pour une séparation sans association avec le ROC. Bonne chance au parti souverainiste qui va le proposer ! Il y en a déjà 2 qui le proposent, le PI et maintenant, l’UNIQ,l’Union Nationale pour l’Indépendance du Québec qui se propose de changer son statut de mouvement pour celui de parti souverainiste.
    À première vue, petit manque d’esprit pratique de la base. Espérons que le bon but et le bon moyen seront choisis par le parti souverainiste qui serait au pouvoir parce que la pureté de l'option c,est bien bone à condition d'avoir le bon nombre de votes au référendum.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2010

    Bonjour M. Couturier,
    Personnellement, j'appui l'énoncé complet de votre texte. C'est le modèle à suivre et chacun(e) de nous doit le garder à l'esprit. Vous êtes un grand sage.
    La formule souveraineté-association ou souveraineté-partenariat était une stratégie perdante et pour cause. Nous nous sommes volontairement désarmés devant l'anglais.
    Respectueusement,
    Lawrence Tremblay.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2010

    Actuellement le Québec exerce sa souveraineté dans un ensemble de dossiers «locaux» dans le cadre de son statut de province «minoritaire » dans la fédération monarchique du Canada.Mais il n’est pas indépendant en rien.
    Le texte du plan Marois parle clairement «d'une gouvernance souverainiste au sein du cadre fédéral canadien ».
    Le texte du Plan Marois est muet sur un projet de faire l’indépendance du Québec advenant l’élection du PQ à la prochaine élection.
    Il parle de «rapatrier les pouvoirs étroitement liés à l’identité québécoise : culture, communications, immigration.»

    Il n’y a aucun constat,ni projet d’unir les forces indépendantistes,du moins de faire une alliance pragmatique/stratégique pour la cause suite au résultat électoral catastrophique de 2008 où 80 % des électeurs ont dit au PQ «NON Merçi».
    Dans un couple ,les partenaires sont souverains mais dépendants.Ils doivent se séparer pour avoir un statut indépendant.Chacun doit négocier habilement et patienment pour obtenir de nouveaux arrangements améliorant leur souveraineté globale.Pas d’indépendance sans rupture.
    Il n’est pas dans l’intérêt du Québec de disserter sans décider pendant des siècles et des siècles,d’avancer en arrière,de tourner en rond courant après sa queue.Le temps de se brancher est arrivé.What Quebec want ? Par lui seul pour lui seul,sortir ou rester dans le Canada ?

  • Gilles Bousquet Répondre

    6 mai 2010


    D'accord avec votre message en général qui reflète bien la situation.
    Vous écrivez : «Mais la souveraineté, faut-il affirmer, n’a pas à s’accrocher obligatoirement à une association ou un partenariat avec le Canada ni avec un quelconque autre pays. »
    Pas nécessairement, c’est vrai, mais, comme la Cour demande au ROC de négocier les demandes constitutionnelles formulées clairement par une majorité de Québécois, même si le ROC n'est pas tenté de le faire, il y est tenu.
    Ici, nous pouvons bien monter des scénarios sur la façon de mieux arriver à la souveraineté du Québec mais ça va appartenir au parti souverainiste qui serait élu, à choisir l’où, quand et comment, avec ou sans association ou partenariat etc.
    Il ne faut pas seulement unir les souverainistes mais, en plus, convaincre des fédéralistes des vertus de la souveraineté. C'est là que ça peut se compliquer parce que faut leur prouver qu'un Québec séparé serait plus prospère qu'un Québec, partie du Canada, au moins économiquement, comme le proposait M. Lévesque.
    Le bon côté de la souveraineté-association était de rassurer au point de vue économique, ce qui a marché. La preuve en est qu'avant cette proposition de M. Lévesque, le concept d'indépendance du Québec ne dépassait pas 8 % chez les francophones, pourcentage qui a immédiatement triplé au PQ.
    La souveraineté pure sans concept d'association tire toujours un peu moins d'adeptes...pas plus.
    C'est au parti politique souverainiste qui prendrait le pouvoir de décider, le temps venu, s'il propose ou pas de négocier une association avec le ROC ou la France ou les États-Unis ou autre chose, avant que son gouvernement déclare son indépendance à notre Assemblée nationale. S'il propose une monnaie canadienne ou québécoise, des frontières avec l'Ontario et le Nouveau-Brunswick ou pas etc., à la lumière de ses chances d'aller chercher le plus d'appuis solides à un OUI.