Le voile et l’uniforme

Chronique de Louis Lapointe

La charte québécoise des droits protège les personnes contre la discrimination, notamment celle fondée sur le sexe, la religion et l’âge. La liberté de conscience, de religion, d’opinion et d’expression sont des libertés fondamentales reconnues par la charte.

Pourtant, quand est venu le moment d’imposer l’uniforme scolaire dans des écoles publiques, peu de personnes sont montées aux barricades pour défendre le droit des élèves de moins de 18 ans de porter les vêtements de leur choix.

Étonnamment, selon les autorités scolaires, empêcher un enfant de porter le vêtement de son choix ne serait pas une atteinte à la liberté d’expression, encore moins de la discrimination fondée sur l’âge.

Au printemps de 2006, j’ai rencontré la direction et le conseil d'établissement de l'école de mes enfants afin de m’opposer à l’imposition d'un uniforme scolaire ou d’un polo, alléguant, entre autres, la discrimination fondée sur l’âge, une atteinte à la liberté d’expression des élèves mineurs et un manquement à la règle de gratuité scolaire également protégée par la charte.

Le conseil d'établissement n’a pas manqué de me rappeler que la Commission des droits de la personne considérait comme une atteinte à la liberté d’expression uniquement l’interdiction de vêtements ou de signes ostentatoires.

Si interdire le port du foulard est discriminatoire, l’interdiction du port de tout autre vêtement que l’uniforme prescrit par une école ne serait pas une limite à la liberté d’expression, encore moins de la discrimination fondée sur l’âge.

De la pure hypocrisie, puisque, dans les faits, comme dans le cas du foulard, l’imposition d’un uniforme visait d’abord les filles qui en montraient un peu trop au goût des directions d’école, pas les garçons.

Voilà pourquoi je pensais à l’époque que la question du vêtement pouvait très bien être réglée par l’adoption d’un code vestimentaire en conjonction avec l’exercice de l’autorité parentale, pas par l’imposition d’un uniforme, étant prêt à défendre cette question devant les tribunaux s’il le fallait.

À mon avis, parce qu’on permet le port du foulard à ceux qui le désirent, on ne peut tout simplement pas imposer à un élève le port d’un uniforme qu'il refuse.

Voulant éviter les tracas judiciaires, le conseil d'établissement avait donc attendu que mon plus jeune enfant quitte cette école avant d’imposer le polo à tous les élèves.

Cette rencontre avec le conseil d'établissement m’avait alors inspiré une chronique dont voici un extrait :

«Alors que toute une génération, celle des baby-boomers, a fait du jean le symbole de sa révolution de 1968, il s’est trouvé des experts à la Commission des droits de la personne issus de cette même génération, pour décider que le vêtement n’était plus au XXIe siècle une façon de s’exprimer. Interdire le port de certains vêtements, sauf s’ils sont ostentatoires, ne saurait brimer la liberté d’expression des plus jeunes de notre société ! Pendant ce temps, de vieux croulants tentent de réintroduire la religion dans nos écoles au nom de l’égalité reconnue dans ces mêmes chartes. De quelle égalité parlons nous, celles de nos jeunes ou celle des clercs qui veulent les embrigader pour les faire renoncer aux vraies libertés que nous ont apporté la modernité, celles de la sexualité, pas celles des curés.

Or, depuis la Révolution française, tous les grands évènements de l’histoire ont été accompagnés de changements profonds et apparents dans la tenue vestimentaire. Et de quoi parle-t-on au juste depuis le début des audiences de la commission sur les accommodements raisonnables ? De vêtements religieux ! Alors qu’on veut permettre le port du voile dans nos écoles publiques au nom de la laïcité ouverte, on impose à nos jeunes le port du polo parce que nous ne voulons pas voir ce sein ou cette épaule qui s’y cache. Dans un contexte où une frilosité grandissante règne dans nos écoles au nom de la morale et du bon goût, cette laïcité ouverte que nous proposent les Bouchard et Taylor est une véritable tartufferie.

L’égalité ne résiderait-elle pas dans la reconnaissance d’autres différences que celles qui mèneraient perfidement à la réintroduction de pratiques religieuses à l’école ? Le jour où nos enfants porteront tous des voiles, des croix et des chemises brunes, peut-être comprendrons-nous alors que l’égalité n’était pas nécessairement cette si grande vertu que nous chérissions tant. Plus que l’égalité encore, l’équilibre, celle des droits, est probablement le plus grand rempart de la liberté contre l’intolérance. Elle relativise les droits et libertés de chacun : on l’appelle justice ! Si les femmes et les hommes sont égaux, comme le disent actuellement tous les biens pensants de la commission Bouchard/Taylor, la justice la plus élémentaire commanderait de ne pas imposer aux femmes le port de signes religieux dans des lieux publics parce qu’elles sont justement des femmes !» La politique des gros seins.

Devant un tel exemple nous aurons tous compris qu’il y a bel et bien hiérarchisation des droits, le religieux donnant aux uns plus de droits qu’aux autres.

Voilà pourquoi l’actuel débat sur l’interdiction du foulard pose mal la question.

À mon avis, il s’agit moins d’interdire le foulard que d’autoriser, sauf exception, le port du vêtement de son choix. C’est là le vrai sens de la Charte des droits et libertés de la personne.

Au lieu de proscrire le port de certains vêtements, on devrait plutôt limiter les cas où on pourrait imposer un uniforme.

À la cour, dans la police, dans l’armée, là où la fonction de la personne en autorité requiert le port d’un uniforme.

Dans cette perspective, l’imposition d’un uniforme à l’école publique est-elle de mise?

Si un élève a le choix de porter le voile, pourquoi les autres élèves de cette même école ne pourraient-ils pas porter les vêtements de leur choix?

Ce qu’on devrait enseigner aux élèves, c’est que s’ils sont libres, ils sont aussi égaux.

Pas plus que les parents ne peuvent imposer à leurs filles, parce qu’elles sont justement des filles, le port de vêtements religieux, pas plus l’école ne devrait imposer aux élèves le port d’un quelconque uniforme.

À cet égard, la commission des droits de la personne ne devrait pas servir de caution morale pour les parents qui veulent imposer le port d'un foulard à leurs filles qui fréquentent une école.

Si les élèves doivent respecter les règles vestimentaires qui s’appliquent également à tous, le choix du port d’un vêtement relève de la liberté de chacun.

C’est ça l’égalité, c’est ça la liberté.

***

Sur le même sujet:

Quand les valeurs démocratiques se font lois

De l’hypocrisie à la fiction juridique

Une charte discriminatoire

Quelle égalité pour les femmes?

La politique des gros seins.

Un accommodement trop raisonnable ?

Featured bccab87671e1000c697715fdbec8a3c0

Louis Lapointe534 articles

  • 889 001

L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    19 août 2014

    D'accord on peut dire qu'empêcher un enfant de porter le vêtement de son choix ne serait pas une atteinte à la liberté d’expression, mais je crois que l'uniforme est une bonne chose. L'uniforme vraiment rend la vie plus simple. N'importe où, au travail, à l'école, etc., je crois que l'uniforme peut être avantageux. Bon article. Il m'a fait penser !
    http://www.plazauniforme.com/fr/nos_services.html