Les Anglais, meilleurs élèves de l'Union européenne ?

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Pile je gagne, face tu perds

Drôle d'anniversaire. Dix ans après le rejet du traité constitutionnel européen par les électeurs français et néerlandais, le chef du gouvernement britannique annonce un autre référendum. Avec une question encore plus shocking. La Grande-Bretagne doit-elle quitter l'Union européenne ? Mais David Cameron n'est pas dénoncé comme un inquiétant souverainiste, un horrible populiste, un dangereux nationaliste. Il est accueilli avec respect dans les capitales européennes. Il a entrepris une tournée. Pour « discuter ». Il n'a pas encore d'avis sur sa consigne de vote. Cela dépendra de ce qu'il pourra « renégocier ». Renégocier ? Ils nous avaient pourtant tous répété que la machine européenne n'avait pas de marche arrière ! Pas de plan B. Que son avancée était irréversible. Eh bien, si, on va « discuter » avec l'eurosceptique de Londres.
La plus disposée au compromis est d'ailleurs la cheftaine de l'Europe. Angela Merkel croit plus à l'Allemagne qu'à l'Europe. A l'Allemagne à la tête de l'Europe. Son « pragmatisme sans perspective », selon la formule du philosophe allemand Jürgen Habermas, servira une fois de plus ses intérêts. « On ne peut pas dire qu'une modification des traités soit absolument impossible », a-t-elle précisé. Une allusion au gouvernement français qui se montre le plus « inflexible ». On le comprend. L'opération Cameron (un chef de parti qui respecte son programme électoral !) et son accueil constituent un terrible camouflet pour la gauche française au pouvoir. Pour François Hollande qui a trahi son engagement de campagne de renégocier le traité budgétaire européen. Pour Manuel Valls, Laurent Fabius et Bernard Cazeneuve, anciens militants du non en 2005, vite résignés à entériner ce traité aujourd'hui reconnu comme une erreur. Ce que les socialistes n'ont pas osé faire au bon moment serait donc possible ? Insupportable. Laisser dire qu'un peu de volonté politique paye ? Il ne faut pas céder, exige Paris. Pas de leçons à recevoir de ces cancres de la classe européenne !
Cancres ou meilleurs élèves de l'Union ? Avec leur franchise, les Britanniques ont toujours eu leur propre mode d'emploi de Bruxelles. Ne jamais abdiquer leurs intérêts nationaux. Continuer à faire de la politique. Jamais bernés par le mirifique menu d'une Europe postnationale, ils ont préféré prendre à la carte ce qui les intéressait. En laissant le reste. Cela leur a évité beaucoup d'erreurs. A commencer par l'euro. Cette grande nation n'entendait pas renoncer à l'outil essentiel de la politique monétaire. Et ses financiers avaient d'emblée vu l'absurdité conceptuelle de la monnaie unique : faire d'un instrument technique un instrument idéologique supposé créer une homogénéité entre économies nationales qui aurait dû être le préalable à sa création ! On leur avait pronostiqué le naufrage économique. Ce fut l'inverse. La livre sterling est la mauvaise conscience d'une monnaie unique à la peine : hors de la zone euro, Londres reste la première place financière de l'Europe ! Cherchez l'erreur. Le même bon sens a éloigné les Britanniques des accords de Schengen. Cette idée saugrenue (sur le modèle de l'euro) de proclamer une libre circulation interne avant d'harmoniser les politiques migratoires et de prévoir un contrôle commun aux frontières.
Vrais libéraux, les Anglais ont moins abandonné que les sociaux-démocrates le réflexe national de se protéger du principe néolibéral de la guerre de tous contre tous devenu le dénominateur commun de l'Union. Ils viennent de faire, secteur par secteur, leur bilan des politiques communautaires. Conclusion : les pertes de souveraineté nationale débouchent trop souvent sur l'entropie technocratique. Ils veulent regagner de l'espace pour les lois nationales. Mieux maîtriser les flux migratoires. Soumettre les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme au droit de veto de leur Parlement pour retrouver une souveraineté judiciaire. Et s'en tenir à ce qui fonctionne. Le marché unique. Celui du traité de Rome auquel ils ont adhéré. L'Europe des nations. Pied de nez symbolique, leur référendum ne sera pas ouvert aux électeurs communautaires. Les Britanniques n'ont jamais cru à la citoyenneté européenne. Pas plus que les Allemands, dont la Cour constitutionnelle a estimé en 2009 qu'il « n'existe pas de peuple européen » et que la souveraineté réside dans les parlements nationaux.
Même Valéry Giscard d'Estaing dénonce aujourd'hui un abus de pouvoir des eurocrates de Bruxelles et voit dans le référendum anglais l'occasion d'une « réflexion » et d'une « clarification ». Pour réconcilier les opinions avec la construction européenne, il faut commencer par admettre que la panne actuelle ne s'explique pas par des « retards », mais par des erreurs d'aiguillage sur lesquelles il faut revenir. Pour en finir avec l'arrogance de ces commissaires qui appliquent comme des somnambules le bréviaire de traités néolibéraux. Ils pensent que l'Union ne peut avancer qu'en empêchant ou en détruisant les nations, au lieu de prendre appui sur leurs ambitions communes pour réguler une mondialisation qui détruit les sociétés.


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