Drapeau et emblèmes

Les armoiries du Québec d'hier à aujourd'hui

Par Luc Bouvier

Symboles nationaux

Aujourd’hui les États préfèrent, comme symbole d’identité, le drapeau aux
armoiries. Plus anciennes, ces dernières survivent difficilement à la modernisation des
systèmes identitaires étatiques. C’est le cas pour le Québec. Ses armes, de
quatre-vingts ans plus jeunes que son drapeau (21 janvier 1948) et autrefois symbole
identitaire obligé du gouvernement, ont été remplacées par d’autres signatures
dont la plus récente (21 décembre 1982) est formée du mot QUÉBEC suivi du
fleurdelisé.

Les anciennes armes

Les armes des quatre provinces fondatrices de la Confédération canadienne, le Québec
et l’Ontario – alors le Canada-Uni –, le Nouveau-Brunswick et la
Nouvelle-Écosse, sont adoptées par décret de la reine Victoria (1837-1901) le 26 mai
1868. Celles du Québec sont " D’or, à la fasce de gueules chargée d’un
lion d’or passant regardant et accompagnée en chef de deux fleurs de lis d’azur
et en pointe de trois feuilles d’érable de sinople tigées ". La fleur de lys,
le lion et la feuille d’érable représentent aux plans historique, constitutionnel
et identitaire, respectivement l’élément français, l’élément anglais et
l’élément canadien.


Que les premières armes du Québec n’aient que deux fleurs de lis bleues sur fond
or, s’explique possiblement par le désir de la Couronne britannique du temps de ne
pas usurper les armes des Bourbons, trois fleurs de lis or sur fond bleu, qui ont été
celles de France jusqu’à la Révolution française de 1789 et pendant la
Restauration de 1815 à 1830. C’est Charles V, le Sage, (1337-1380) qui fixa en 1376
le nombre de fleurs de lis à trois en l’honneur de la Sainte-Trinité. De plus,
l’octroi de ces armes au Québec par la reine Victoria aurait pu être perçu en 1868
comme une prétention à la Couronne française, – advenant restauration –,
comme ses prédécesseurs l’avaient fait à partir de la mort de Charles IV de France
en 1328. Édouard III d’Angleterre (1312-1377) revendique alors la Couronne
française. Il adopte la devise " Dieu et mon droit " et ajoute à ses armes les
trois fleurs de lis françaises. Lors de la conquête de l’Irlande en 1801,
l’Angleterre révise ses armes et délaisse les fleurs de lis françaises.
Finalement, lors du traité d’Amiens en 1802, elle laisse tomber ses prétentions sur
la couronne française.


2. La devise

À l’origine, les armoiries du Québec n’ont ni cimier, ni support, ni
devise. Chargé de la construction de l’Hôtel du Parlement, Eugène-Étienne Taché
(1836-1912) les place au-dessus de l’entrée principale de l’édifice. Il y
ajoute une couronne de style Tudor, qui rappelle la petite couronne de diamants de la
reine Victoria (1870), et un listel avec la devise : " Je me souviens ". Les
plans, sur lesquels figurent la devise et la couronne, sont annexés au contrat passé le
9 février 1883 sous l’autorité d’un arrêté du Conseil exécutif du 22
janvier 1883. Officieuses depuis cette date, elles ne deviendront véritablement
officielles qu’en 1939 avec l’adoption des nouvelles armes. En 1908, Taché les
dessine et ajoute des branches de feuilles d’érable comme supports1.


Eugène-Étienne Taché n’a laissé aucun document justifiant le choix de la
devise et le sens à lui donner. Gaston Deschênes, le spécialiste des symboles
d’identité québécoise, affirme que l’interprétation la plus juste est celle
d’Ernest Gagnon, alors secrétaire du département des Travaux publics, et qui a bien
connu Taché. Dans une annexe au Rapport annuel du département, Gagnon affirme que cette
devise résume " la raison d’être du Canada de Champlain et de Maisonneuve
comme province distincte dans la Confédération ". Pierre-Georges Roy reprend à son
compte l’interprétation. Pour lui la devise dit " clairement le passé, le
présent et le futur de la seule province française de la Confédération canadienne2
".


La façade principale de l’Hôtel du gouvernement au portail central de laquelle
Taché a fait sculpter, vers 1885, dans la pierre Deschambault les armes du Québec, est
une représentation de l’histoire nationale et confirme l’opinion de Gagnon. La
tour centrale est dédiée à Jacques Cartier, la partie gauche de l’avant-corps, à
Champlain ; la droite, à Maisonneuve. Les deux avant-corps sont surmontés de groupes
allégoriques : La Poésie et l’Histoire pour le gauche et La Religion et la Patrie
pour le droit. Les statues de Marie de l’Incarnation et de Marguerite Bourgeois sous
l’horloge de l’avancée centrale, celles de Monseigneur de Laval, de Jean de
Brébeuf, de Nicolas Viel et de Jacques Olier de gauche à droite du troisième étage,
celles de Frontenac, Montcalm, Wolfe et Lévis au deuxième, celles d’Elgin et de
Salaberry au rez-de-chaussée sont les personnages du " théâtre de l’histoire
nationale3 ", selon Michel Desgagnés.


Plus récemment, Conrad Laforte4 pense que Taché s’est inspiré soit du poème
" Paroles sur la dune ", tiré des Contemplations de Victor Hugo :



J’entendais près de moi rire les jeunes hommes

Et les graves vieillards dire ; je me souviens

patrie ! ô concorde entre les citoyens !



ou de la chanson " Un Canadien errant ", composée en 1842 par Antoine
Gérin-Lajoie en souvenir des Patriotes bannis. L’exilé adresse ces mots au "
courant fugitif " :



Va, dis à mes amis

Que je me souviens d’eux



André Duval affirme, quant à lui, qu’" il n’y a pas de poème
mystérieux. La clé de l’énigme est toute simple5. ". La devise est la
traduction de Ne obliviscaris, devise du marquis de Lorne, gouverneur du Canada de 1878 à
1883, à l’époque où Taché élaborait ses plans.


Le Royal 22e Régiment en a fait sa devise et, depuis 1978, elle a remplacé sur les
plaques d’immatriculation l’ancienne " La belle province ". Le 15
février de la même année, Hélène Pâquet, la petite-fille du concepteur, adresse au
Montreal Star une lettre dans laquelle elle affirme que le " Je me souviens "
n’est que le premier vers d’un tercet dont les deux derniers sont



Que né sous le lys

Je croîs sous la rose.



" Je me garde d’oublier que, même si je suis né sous l’autorité du
Roi de France, c’est sous l’autorité du Roi d’Angleterre que je grandis à
mon aise ", interprète Pierre Champagne qui se fait le porte-voix de Léonce Naud,
un lecteur 6. Malgré la demande de Gaston Deschênes, la petite-fille de Taché ne
fournit aucune preuve documentaire de sa prétention.


Il s’agit en fait de deux devises. Ernest Gagnon affirme que la seconde devise
devait accompagner une œuvre d’art représentant le Canada. L’abandon du
projet pousse Taché à la réutiliser pour la médaille commémorative du IIIe centenaire
de la fondation de Québec, gravée à Paris par le sculpteur Henri Dubois et dont il est
le concepteur. " Sur le revers figurent deux femmes assises au pied d’un arbre
de haute futaie. L’une, à droite, symbolisant la Nouvelle-France, est adossée à un
piédestal orné de trois fleurs de lis ; et l’autre, à gauche, personnifiant le
Canada, appuyée sur l’écu royal de la Grande-Bretagne, lève la main vers le sommet
verdoyant de l’arbre, tandis que la France, la tête penchée, regarde, indiquant du
doigt les racines profondes et robustes de l’arbre qu’elle a planté. À travers
le feuillage, un large cartouche renaissance se déroule sur lequel est inscrite la devise
: " Dieu aidant, l’œuvre de Champlain née sous les lis a grandi sous les
roses "7 ".


Les deux devises ont été artificiellement réunies : Taché a donné la première au
Québec tandis qu’il destinait la seconde au Canada ; l’une se trouve sur la
façade du Parlement et l’autre sur la médaille commémorative de la fondation de
Québec. Réunies, elles permettent une utilisation éminemment politique tout
spécialement dans le contexte politique canado-québécois. Ainsi, dans The Globe and
Mail du 24 janvier 1991, Stephen Godfrey affirme à propos de cette nouvelle devise
québécoise : " Grammatically, the principal clause being where it is, this would
seem to place the emphasis on the growth under the rose. Even without getting prickly
about it, it seems at the very least a tribute to both French and English".


3. Les nouvelles armoiries du Québec

C’est à Maurice Brodeur que le Québec doit la transformation de ses armoiries.
Bien qu’il signe " Chef de l’Héraldique ", il ne semble pas
d’après les documents fournis qu’il l’ait officiellement été à un
moment de sa carrière. Pourtant, à cause de ses connaissances en la matière, il était
reconnu non seulement au sein du gouvernement, mais aussi à l’extérieur
puisqu’on a fait appel à ses services, entre autres, pour la confection
d’armoiries municipales dont celles de Hull (15 avril 1959). Entré au gouvernement
par le ministère de la Voirie, semble-t-il, il y est commis senior au 1er avril 1941
(Arrêté en conseil 881). Il passe ensuite au Département de l’Instruction publique
comme commis en chef le 12 mars 1942 (Arrêté en conseil 575) et termine sa carrière
comme commis aux archives du Secrétariat de la province à partir du 29 juin 1949
(Arrêté en conseil 697). Brodeur affirme dans une lettre datée du 6 décembre 1939 que
sa campagne en faveur de nouvelles armoiries dure " depuis une quinzaine
d’années8 ". L’adoption des nouvelles armoiries fédérales le 21 novembre
1921, qui introduisent les trois fleurs de lis d’or sur fond bleu, en est
possiblement l’élément déclencheur. Il y affirme aussi avoir " publié une
thèse à ce sujet, et que possède l’honorable Secrétaire de la Province ",
alors Albini Paquette. Il s’agit possiblement des articles, publiés entre 1934 et
1939, dans Le Terroir et La Voirie sportive entre autres, dans lesquels il défend le
remplacement des deux fleurs de lis bleues sur fond or par trois fleurs de lis or sur fond
bleu en conformité avec les armes royales françaises de l’Ancien régime. Selon
lui, puisque " tous les drapeaux fleurdelisés qui avaient été déployés sur notre
continent ne portaient que des lis d’or ", que dans " la France ancienne,
les fleurs de lis d’or furent consacrées essentiellement comme emblème de la
féodalité et de la royauté " et que les fleurs de lis blanches ou bleues " ne
figurent nulle part dans les anciennes armes royales ", les armoiries du Québec
doivent porter les trois fleurs de lis or sur fond bleu. Pour Brodeur, les fleurs de lis
bleues des armoiries du Québec de 1868 " n’ont aucune valeur historique "
et il souhaite que les fleurs de lis d’or viennent s’y substituer. Le 9
décembre 1939, par décret, le gouvernement acquiesce à son souhait.



" Attendu qu’il y a lieu de modifier les armes de la province de Québec pour
les rendre conformes aux données historiques et héraldiques de la province ;


Attendu qu’il est important que les différents ministères et services de
l’administration de cette province emploient un seul et unique blason ;


Attendu qu’il est opportun que ce blason soit représenté sur toutes les
publications officielles ;


En conséquence, l’honorable secrétaire de la province recommande l’adoption
de nouvelles armes telles que décrites " Tiercé en fasce : d’azur, à trois
fleurs-de-lis d’or ; de gueules, à un léopard d’or armé et lampassé
d’azur ; d’or, à une branche d’érable à sucre à triple feuille de
sinople aux nervures du champ. Timbré de la couronne royale. Sous l’écu, un listel
d’argent bordé d’azur portant la devise " Je me souviens " du même
".



Ces nouvelles armoiries sont adoptées sans recours à l’autorité royale. Mais il
n’est pas sûr que le Québec n’en ait pas fait la demande. En effet, dans le
fonds Brodeur, une note stipule que le Royal College of Arms in London " approved
three fleurs-de-lis and suggested changes regarding crown but Quebec has taken no action9
".


Le 17 janvier 1940, le lieutenant-gouverneur Fiset sur recommandation du secrétaire de
la province, Henri Groulx, depuis le 10 janvier, approuve qu’une " somme de 200
$ soit mise à la disposition du secrétariat de la province […] pour étude et
préparation des nouvelles armoiries de la province par Monsieur Maurice Brodeur ".
Ce dernier dessine les nouvelles armoiries du Québec. Les nouvelles armes remplaceront
les anciennes sur l’Hôtel du Parlement au début des années 1960 lors
d’importantes réparations au bas de la tour. Elles seront enregistrées à Ottawa le
12 novembre 1965 en vertu de la Loi sur les marques de commerce.


En plus de l’inversion des couleurs et de l’ajout d’une troisième fleur
de lis, Brodeur en profite pour redessiner la couronne afin de la rendre encore plus
conforme à l’originale et il remplace la fleur de lis plutôt dix-neuvièmiste par
une nouvelle qu’il qualifie lui-même " de fleur de lis de la renaissance,
époque de François 1er " (article dans Le Terroir). Cette dernière n’est pas
nouvelle dans le paysage héraldique québécois. Pour le 400e anniversaire de la
découverte du Canada par Jacques Cartier, Brodeur confectionne un drapeau national
Jacques Cartier, blanc marqué d’une croix bleue, dont le centre est frappé
d’une fleur de lis or et les quatre cantons, d’une feuille d’érable verte,
le tout encadré d’une bordure rouge.


4. Le drapeau du lieutenant-gouverneur du Québec et le sceau du Québec

De 1870 à 1952, le lieutenant-gouverneur du Québec était autorisé à utiliser un
Union Jack portant en son centre un disque blanc marqué des armoiries du Québec. Depuis
1952, il utilise un drapeau bleu chargé des armoiries du Québec au centre d’un
cercle blanc. Il est à noter qu’il s’agit du seul lieutenant-gouverneur dont le
drapeau n’a pas été approuvé par le gouverneur général. Il est aussi le seul
drapeau dont la couronne n’est pas celle d’Édouard le Confesseur, mais plutôt
la petite couronne de la reine Victoria, et qui n’est pas entouré de dix feuilles
d’érable. Le cas de la Nouvelle-Écosse est particulier puisque son
lieutenant-gouverneur conserve le drapeau octroyé par la reine Victoria le 7 août 1869 :
un Union Jack dont le centre blanc porte les armes de la province entourées d’une
guirlande de feuilles d’érable.


Le grand sceau du Québec s’est lui aussi métamorphosé au rythme des changements
d’armes. Du 15 juillet 1867 au 30 novembre 1969, il porte les armes du Royaume-Uni,
puis les armoiries octroyées au Québec par la reine Victoria. Ces dernières seront
remplacées à partir du 9 décembre 1939 par les nouvelles armoiries qui seront
délaissées en 1979 au profit de la fleur de lis.


___________________



1. Fonds Brodeur 654 / 6, Archives nationales du Québec à Québec.


2. Cité par Gaston Deschênes (Les Symboles d’identité québécoise,
Québec, Publications du Québec, 1990, p. p. 17).


3. Michel Desgagnés, Les Édifices parlementaires, Québec, Publications du
Québec, 1992, p. 68.


4. Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, tome I, des origines à
1900, Montréal Fides 1978, p. 715.


5. André Duval, La Capitale, Montréal, Boréal Express, 1979.


6. " Je me souviens ", Le Soleil, 9 août 1992, p. B11.


7. Les Fêtes du Troisième Centenaire de Québec 1608-1908, Québec, 1911,
Laflamme & Proulx, p.23


8. Fonds Brodeur P574 / 7 / 57, Archives nationales du Québec à Québec.


9. Fonds Brodeur P574 / 7 / 45, Archives nationales du Québec à Québec.



Luc Bouvier, L'Action nationale, février 1999.









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