À la veille de l’accession du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, des délégués autochtones ont réitéré lundi leur opposition aux forages pétroliers dans cette région recelant un immense potentiel en énergies fossiles, mais de plus en plus fragilisée par les changements climatiques.
«Cette conférence donne une idée de la direction où nous voulons aller, a souligné Bill Erasmus, vice-président du Conseil arctique de l’Athabaska, par voie de communiqué. Peu importe leur métier ou leur milieu d’origine, les gens s’inquiètent du sort de leurs territoires et commencent à se réunir pour en discuter.» M. Erasmus soulèvera d’ailleurs cette question lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères du Conseil de l’Arctique, qui aura lieu mercredi à Kiruna, en Suède.
La Déclaration conjointe de solidarité autochtone pour la protection de l’Arctique a été rédigée en août 2012 lors de la première conférence des peuples autochtones de l’Arctique, qui a eu lieu à Usinsk, en Russie. Quelque 22 délégués et organisations russes l’ont signée ainsi qu’un délégué inuit du Groenland et une organisation du Nigeria. Dans les mois qui ont suivi, le Conseil intertribal de l’Alaska et le Forum de la société civile Russie — États-Unis ont également apposé leur signature.
À l’issue de la conférence qui se terminait ce lundi, la Déclaration compte 15 nouveaux signataires individuels et institutionnels, dont plusieurs provenant du Canada. Six associations autochtones de la région arctique ont par ailleurs le statut de participants permanents au Conseil de l’Arctique.
«Avec cette Déclaration, les peuples autochtones de l’Arctique envoient un message très clair au Conseil de l’Arctique et réaffirment l’importance de protéger cette région contre les ravages de l’industrie pétrolière, a soutenu lundi Kumi Naidoo, directeur général de Greenpeace International. Pour l’instant, le Conseil se limite à élaborer un plan d’urgence en cas de marée noire qui ne vaut même pas le papier sur lequel il est imprimé.»
«Le Conseil de l’Arctique doit cesser de gaspiller son temps et ses ressources à produire des documents inutiles qui ne sont nullement contraignants envers l’industrie et les gouvernements. Il doit revenir à son mandat initial de protection de l’Arctique et demeurer à l’écoute de ses habitants», a-t-il ajouté.
Présidence canadienne
Le Canada doit prendre officiellement mercredi la présidence du Conseil de l’Arctique, qui compte huit pays membres (dix autres ont le statut d’«observateur»). Ottawa entend d’ailleurs profiter de son statut pour donner plus de place aux questions industrielles dans cette immense région convoitée notamment par les géants des énergies fossiles. Il faut dire que le Conseil traite surtout des questions liées aux bouleversements climatiques, au développement durable ou encore aux problématiques de pollution de l’Arctique.
Mais la ministre conservatrice de la Santé, Leona Aglukkaq, estime que le Conseil doit s’intéresser davantage aux impératifs économiques. «Depuis 16 ans, le Conseil de l’Arctique s’est concentré sur de la recherche de qualité, a fait valoir Mme Aglukkaq en entrevue à La Presse. Mais en fin de compte, c’est l’entreprise privée qui exploite le Nord, qui y travaille, et nous n’avons pas de mécanisme pour mieux travailler ensemble.» Selon ce qu’elle a précisé, le gouvernement Harper aimerait créer un groupe de travail qui examinera les meilleures pratiques industrielles dans l’Arctique.
Les réserves de pétrole de l’Arctique pourraient atteindre plus de 80 milliards de barils. Les réserves de gaz sont estimées à plus de 51 000 milliards de m3 (près de 25% des réserves mondiales).
Partisan avoué de l’exploitation des ressources fossiles jusque dans les zones exemptes de tout développement industriel, le gouvernement Harper a décidé en juin 2012 de mettre aux enchères près de 10 000 kilomètres carrés de l’océan Arctique. Les pétrolières pourront donc aller y chercher des hydrocarbures et éventuellement les exploiter, au profit de leurs actionnaires.
Au fur et à mesure que les gisements plus accessibles se tarissent, les géants de l’énergie fossile doivent en effet se tourner vers des zones plus reculées. BP et Esso ont d’ailleurs déjà loué le brise-glace Amundsen, le premier navire de recherche scientifique au Canada, pour mener des projets d’exploration dans la mer de Beaufort.
Région menacée
Mais cette région nordique est de plus en plus fragilisée. Des scientifiques ont tiré récemment la sonnette d’alarme sur l’acidification «rapide» de l’océan Arctique due aux émissions de CO2, un phénomène lourd de menaces pour le fragile écosystème de la région. Plus de 2000 scientifiques de 67 pays ont d’ailleurs demandé l’an dernier à la communauté internationale de protéger l’océan Arctique, en interdisant la pêche commerciale tant que la recherche et un encadrement réglementaire n’assureront pas le respect de cet environnement.
Au début du mois, l’Organisation météorologique mondiale (OMM), une agence spécialisée de l’ONU, s’est par ailleurs déclarée alarmée par la «fonte record des glaces de l’Arctique en août-septembre» 2012. Dans son rapport annuel sur le climat, publié à Genève, l’organe onusien a souligné que «la fonte record» de la banquise de l’Arctique, constatée en août-septembre 2012 (3,41 millions de km2), s’est traduite par un chiffre inférieur de 18 % au précédent record en 2007 (4,18 millions de km2).
Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a aussi lancé en février un sérieux avertissement à la communauté internationale : la fonte accélérée des glaces de l’Arctique rend de plus en plus probable une exploitation précipitée des immenses ressources énergétiques fossiles dans cette région du monde. Le problème, c’est que les États impliqués semblent obnubilés par les retombées économiques qui pourraient en découler, au point d’omettre d’étudier les impacts à long terme de cette industrie.
«Aucune mesure ne devrait être prise pour exploiter le nouvel état environnemental de l’Arctique sans évaluer d’abord la façon dont l’exploitation affecterait les écosystèmes, les populations et le reste du monde, étant donné que le risque environnemental est élevé», ont insisté les auteurs du rapport de 80 pages publié par le PNUE.
Avec l’Agence France-Presse
Énergie dans l'Arctique
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