par Régis Soubrouillard
Algérie, Tunisie, Chine, banlieues françaises, sur tous les continents ces mouvements populaires témoignent d'une mutation de l'Etat contemporain. Violences politiques pour les uns, ou sociales motivées par une certaine exaspération de jeunes en quête d’emplois, alors même que les gouvernants donnent l’impression de vivre à leur aise.
Les émeutes de la mondialisation
Les récentes émeutes en Algérie et en Tunisie sont venus le rappeler : la combinaison de la corruption, des difficultés économiques et de la hausse des prix des matières premières est explosive.
En Tunisie, les heurts gagnent la capitale alors que le bilan fait état d’une cinquantaine de morts. Ce lundi 10 janvier, le président Ben Ali a bien promis de créer 300 000 emplois d’ici 2012. Insuffisant pour calmer la colère de la rue tunisienne, malgré la répression.
Dans son rapport annuel sur les risques mondiaux, publié ce mercredi matin, deux semaines avant le sommet annuel de Davos, le World Economic forum s'inquiète du «danger social»:
« Le monde n’est pas paré pour affronter de nouveaux chocs significatifs. D’une part, la crise financière a affaibli la capacité de résilience économique mondiale, tout en avivant les tensions géopolitiques. D’autre part, la recrudescence des préoccupations sociales indique que les gouvernements et les sociétés sont plus démunis que jamais face aux défis planétaires ».
Le rapport identifie trois risques majeurs de troubles sociaux et politiques : le crime organisé, la corruption et la fragilité des États ; les risques liés à l'eau, à l'alimentation et à l'énergie ; les dangers des déséquilibres macroéconomiques mondiaux. Or, rappelle le rapport, le monde est actuellement particulièrement vulnérable.
Davos sera toujours Davos. Face à ces dangers, le WEF propose une solution qui promet d'être controversée : retirer les aides aux produits de première nécessité pour laisser le marché dicter leur « vrai prix » et réduirait la demande. Le rapport admet cependant que cela aurait des « effets sociaux négatifs » et qu'une telle décision doit être mise en place «progressivement».
L'émeute et le suicide, modes d'expression du malaise maghrébin
En attendant la révolte gronde et la contagion menace. Fondateur du groupe de presse Le Pays, journal privé du Burkina Faso, Jérémie Sigue, estime que « ce qui se passe en Algérie et en Tunisie n’est pas exclusif à ces pays. Sous nos tropiques, les pays qui réunissent les conditions d’une explosion sociale sont légion. En fait, les mêmes conditions sont réunies un peu partout en Afrique. Et c’est en cela que l’on peut redouter l’effet contagion de cette grogne sociale qui secoue ces deux pays du Maghreb. Sans doute que les marginaux, quel que soit le pays où ils se trouvent, ne sont pas disposés à accepter sans broncher, indéfiniment, leur condition ».
Des marginaux ? « En Algérie, comme dans le reste du Maghreb, ils sont ceux qu’on appelle les « diplômés chômeurs. En Tunisie, le taux de chômage des jeunes diplômés, officiellement de 23,4 %, frôlerait en réalité les 35 %. En Algérie, le même indicateur toucherait plus de 20 % des jeunes diplômés, très loin des 10 % officiels. Au Maroc, où le mouvement des diplômés chômeurs est institutionnalisé depuis plus d’une décennie » analyse La Libre Belgique. Six jeunes gens ont tenté de s’immoler devant le ministère du Travail, à Rabat, quelques jours après le premier suicide de la région de Sidi Bouzid. L’émeute et le suicide sont devenus les modes d’expression privilégiés du malaise maghrébin.
Le temps des émeutes contre la crise politique
Si aucun régime ne paraît menacé dans son existence même tant la désorganisation prédomine dans ces mouvements de protestation, à travers ces explosions de révolte, c’est toute la question d’une jeunesse sacrifiée dans la mondialisation qui se pose.
Les émeutes qui bourgeonnent aux quatre coins de la planète ont-elles quelque chose en commun ?
Pour Alain Bertho, auteur du Temps des émeutes, qui tient un blog sur le sujet, ces mouvements ne sont plus de simples revendications brutales, issus de manifestations qui auraient dégénérées. C’est maintenant un phénomène mondial et contemporain, qui prend forme face à l’épuisement, à l’inefficacité des autres modes d’actions.
Des banlieues françaises aux rues de Lhassa, du Mexique à la Tunisie, du Maroc à Guizhou en Chine, de Téhéran à Athènes, en anthropologue, Alain Bertho tente de dégager les similitudes de toutes ces explosions, autant d’arrières cours de la mondialisation. Affrontements communautaires, émeutes liées à la mondialisation ou querelles violentes avec la police… Les mêmes révoltes contre les politiques de gestion urbaine ou « contre la vie chère » éclatent un peu partout.
«Il est urgent de comprendre que la crise mondiale est aussi, peut-être surtout, politique et que les temps actuels sont les temps des émeutes » explique Alain Bertho.
Le coût exorbitant de la mondialisation
En Chine, les mouvements de protestations sont quotidiens, ethniques, sociaux, ciblant la corruption des cadres du Parti, la révolte gronde aussi dans l’atelier du monde ? L'esprit de fronde n'a pas encore atteint les centaines de milliers de diplômés précaires qui vivent dans des dortoirs, parfois des capsules, et gagnent des salaires de misère. On les appelle les « fourmis », travailleurs connectés, mais solitaires, perdus au coeur des immenses mégalopoles chinoises. Qui sait si un jour, ils ne seront pas sensibles au célèbre mot de Camus: « Je me révolte donc nous sommes »
Selon un rapport du Bureau International du Travail rendu public en 2009, 81 millions des 15-24 ans étaient au chômage, un taux de 13%. « Le chômage des jeunes, qui a augmenté de 7,8 millions de personnes depuis 2007, risque de produire une génération perdue de jeunes gens qui sont sortis du marché de l'emploi et qui ont perdu tout espoir d'obtenir un travail qui leur assure une vie décente », fait remarquer le rapport qui pointe les risques d’explosions sociales.
Des explosions de violences comme autant de symptômes qui prouvent que dans le « monde tel qu’il va », la production de rebut humain est le corollaire de la modernité, ce que le sociologue Zygmunt Bauman qualifiait de « coût humain de la mondialisation ».
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