L’ancien patron de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) Robert Lafrenière est lui-même ciblé par l’enquête sur les fuites d’informations confidentielles au sein de sa propre organisation, après que son ancien bras droit s’est mis à table, a appris notre Bureau d’enquête.
C’est dans la foulée de cette enquête que le directeur de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme, a été suspendu la semaine dernière par le gouvernement du Québec, selon nos informations.
Au cours des derniers jours, plusieurs sources nous ont permis de faire la lumière sur les raisons à l’origine des enquêtes sur les deux hommes :
En plus d’avoir été au même moment deux des plus hauts gradés de la police au Québec, les deux hommes ont des liens familiaux. Martin Prud’homme est le gendre de Robert Lafrenière.
Inconfort à l’UPAC
Les événements se précipitent à partir de la fin septembre 2018 lorsqu’André Boulanger, le bras droit du commissaire Lafrenière et directeur des opérations de l’UPAC, décide de déballer son sac au sujet de son ancien patron lors d’une rencontre avec des représentants du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
L’ex-numéro deux de l’UPAC y va d’allégations qui mettent dans l’embarras Robert Lafrenière, qui a démissionné sans trop d’explications le jour de l’élection provinciale, le 1er octobre dernier.
M. Boulanger avait œuvré à l’enquête Projet A, déclenchée par le commissaire Lafrenière et qui avait pour thèse que quatre personnes (dont le député Guy Ouellette) pouvaient être impliquées dans les fuites aux médias.
M. Ouellette, lui-même un ex-policier, a été arrêté après avoir été piégé par un enquêteur en octobre 2017. Il n’a jamais été accusé.
En cours d’enquête, M. Ouellette avait fait l’objet de surveillance ayant mené à une rocambolesque poursuite sur l’autoroute par nul autre que... André Boulanger.
Le DG de la SQ Martin Prud’homme avait lui-même été rencontré à deux reprises dans le cadre de cette enquête à titre de « témoin », par des policiers de la Gendarmerie royale du Canada.
Il avait alors affirmé que bien qu’il était le gendre de Robert Lafrenière, il ne discutait pas avec lui des dossiers de l’UPAC.
« Rien à dire »
Joint hier au téléphone, Robert Lafrenière n’a rien confirmé.
« Je n’ai aucune idée de ça », a-t-il déclaré lorsque nous lui avons demandé s’il était au courant des allégations dont il faisait l’objet. « Je n’ai rien à dire sur cette enquête-là. Évidemment, on les laisse enquêter », a-t-il ajouté.
André Boulanger et une haute gradée de l’UPAC, Caroline Grenier-Lafontaine, ont aussi été suspendus dans le cadre de l’enquête que mène le Bureau des enquêtes indépendantes depuis octobre.
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Ce que Martin Prud’homme a déclaré aux enquêteurs à propos de Robert Lafrenière, le 17 octobre 2017
L’ex-bras droit se met à table
Fin septembre 2018
L’ex-bras droit de Robert Lafrenière André Boulanger rencontre le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) pour se vider le cœur. Il fournit des informations potentiellement embarrassantes pour M. Lafrenière concernant la manière dont avait été mené le Projet A sur les fuites dans les médias.
28 septembre 2018
Le DPCP accepte de remettre le matériel perquisitionné dans le cadre de l’arrestation de Guy Ouellette pendant le Projet A, affirmant que de « nouvelles informations » ont été portées à son attention.
1er octobre 2018
Le jour de l’élection générale, Robert Lafrenière démissionne par surprise. Il ne s’est jamais vraiment expliqué depuis sur les raisons de son départ.
25 octobre 2018
À la demande du DPCP, le nouveau gouvernement Legault mandate le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) pour prendre en charge l’enquête sur les fuites et se pencher sur « la conduite » du Projet A.
Février 2019
Marie-Hélène Poulin, une chef d’équipe à l’UPAC, est rencontrée par des enquêteurs du BEI. À la suite de cette rencontre, les policiers du BEI croient que le directeur de la SQ, Martin Prud’homme, et Robert Lafrenière auraient eu des communications inappropriées pendant l’enquête Projet A.
Ils croient également que M. Lafrenière aurait lui-même été impliqué dans du coulage d’information aux médias.
Plusieurs méthodes de surveillance sophistiquées sont alors déployées.
5 mars 2019
La ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault est informée d’une « allégation relative à des infractions criminelles » concernant Martin Prud’homme.
6 mars 2019
Martin Prud’homme est rencontré par des représentants du ministère et suspendu de ses fonctions. À ce jour, il n’a pas été accusé.