Les hassidim... Ils me fuyaient... Moi antisémite?

Laïcité — débat québécois


Déménageant de la rue Cherrier, je venais d’arriver dans Outremont en mai 1986 et j’aimais bien certains voisins toujours vêtus de noir, avec des chapeaux… noirs. J’avais des camarades, des connaissances, quelques amis juifs sépharades, venus du Maghreb, parlant français donc. Aussi des ashkénazes. Mes nouveaux voisins, dont ceux du «semi-détaché» où je logeais, rue Querbes, m’expliquait-on, étaient des «très pieux », à la lettre des «hassidim». Bien.
Ce ne fut pas long que je constatai que ces gens «pieux» évitaient de se mélanger à nous, les goys. À l’extrême. Je veux dire, pas même les salutations de bon voisinage ordinaire — salutations que je formulais en anglais puisque la grande majorité de ces religionnaires, passéiste, pourtant nés ici, ne parlaient pas ma langue. Bref, ils ne me voyaient pas ! J’étais invisible. Plus bête : leurs enfants ne devaient pas me parler, ni répondre à mes normales tentatives de les apprivoiser un tantinet. Au moindre de mes sourires, convivialité humaine banale, ils se sauvaient, me fuyaient, moi le pestiféré, des gamins élevés en «petits sauvages». C’était, volontairement, l’auto-ghettoïsation.
Je n’aimais pas ça, on le devine. Récemment, à la télé, j’entendais Michel Côté, le comédien, raconter cette même horrible surprise quand il habitait rue de L’Épée. Après une année de vaines tentatives de «tout petits» rapprochements, carrément insulté, je fis un article. Je l’envoyai aux quotidiens d’ici. Refus de publier partout. C’était un sujet ultra tabou.
C’était avant janvier 2007 et la controverse actuelle. Du temps des dénis idiots, des silences malsains. Temps pourri de nos tartuffes à «Recouvrez ce sein qu’on ne saurait voir». Mais voilà qu’en novembre 1988, un hebdo d’Outremont (disparu aujourd’hui) accepte de publier ma vive protestation face à ce «séparatiste loufoque». Oh la la, ce fut une vraie bombe alors que j’invitais des leaders hassidim de corriger cette situation malsaine. Dame Ouimet de La Presse, comme Sir Cauchon du Devoir, m’affubleront rapidement de l’étiquette infamante d’«antisémite» ! Cela fera aussi que des «pissous» du PQ du temps hésiteront à m’inclure comme aspirant-député du lieu. J’étais à leurs yeux un élément tout à fait indésirable.
Maintenant qu’on discute «séparatisme hassidim» partout sur les places publiques, avec grands reportages illustrés, vous pouvez imaginer comme je rigole. Il aura donc fallu attendre — pour un peu de courage et de liberté — une vingtaine d’année. 20 ans avant que les bien-pensants froussards se grouillent le cul. Pleutres, alors que nous formons 88 % de la population (chiffre récent de Lysiane Gagnon). Je répète qu’au départ ces chevelus et barbus men in black me faisaient plaisir à voir déambuler sans cesse dans nos rues, étoles au vent.
Je ne suis pas du tout réfractaire à l’exotisme, pas plus qu’à la variété d’individus dans une métropole. Ou dans un village trifluvien ! J’ai travaillé 30 ans à la scénographie télévisée du réseau publique parmi des créateurs de maintes nations où l’harmonie était de mise, c’était les Nations-Unis à la SRC. Ce cloisonnement surréaliste au cœur de la ville était nettement déplacé et j’avais titré mon article : «Y a –t-il un racisme juif à Outremont ?» Il y en avait un. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à lire la définition du mot racisme dans le petit Robert. Un chat n’était plus un chat, en 1988. La peur des mots. C’était une attitude de colonisés trembleurs indiscutablement.
J’ai payé cher, il y a vingt ans; il y eut les simples moqueries, mais il y eut aussi le mépris du «vilain raciste», les vicieuses attaques par mes contempteurs. Ils haïssaient la franchise. Qui, au fond, méprisaient ces gens «à part» et qui me grondaient, disant : « Laisse les donc tranquilles. Nous, on fait comme eux-autres, on les regarde même pas. On fait comme s’ils n’existaient pas; fais de même». D’autres, antisémites camouflés, me disaient : «Bravo ! Enfin un qui élève la voix, eux et leurs cabanes à branches de cèdres, leurs grosses bagnoles, leurs flopées d’enfants encombrants.» Je fuyais ces vrais racistes trouillards.
Et puis, heureusement, le temps passa. Voici venu un mauvais moment, voici des réactions exagérées, la tempête xénophobe, les frayeurs injustifiées. D’une part, il y a ces «pères-noël», juges laxistes d’Ottawa aux permissions loufoques, d’autre part ce Mario Dumont, conservateur déphasé, exploiteur intéressé de ces turbulences. Enfin voici Jean Charest, enterreur de problème. Il installe — pour toute une année — deux patients questionneurs en tournée. Il aurait été tout simple de produire un document officiel spécifiant très officiellement «l’État laïc», l’égalité des hommes et des femmes, etc. Non : c’est le politcien du «gagnons du temps». Du «continuons à nous fourrer la tête sous le sable». Des couards, des autruches, règnent à Québec.
Claude Jasmin
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