LE MODUS OPERANDI DES SPOLIATEURS (18)

Les limites du modèle Desmarais

L’Empire se retrouve plongé dans la Commission Charbonneau

Chronique de Richard Le Hir

L’ennui pour un groupe d’envergure mondiale comme Power Corporation, c’est qu’il se retrouve impliqué dans tout ce qui bouge dès lors qu’il cherche à se déployer dans un petit milieu comme le Québec. Car il faut bien le reconnaître, même s’il dispose de ressources colossales qui font l’envie de tous, le Québec est tout petit pour un groupe comme Power.

Et le fait que le modèle Desmarais repose essentiellement sur le développement de liens d’intérêts et d’influence le place dans une position de grande vulnérabilité lorsque des alliés du groupe se retrouvent dans le collimateur de la justice.

C’est le cas de la Famille Bibeau dont l’un des membres, Marc Bibeau, « est l’une des têtes dirigeantes de l’entreprise Shockbéton qui est connue pour avoir participé à la construction du stade olympique. Le conseiller municipal de Laval et membre du comité exécutif aux côtés de Gilles Vaillancourt, Benoît Fradet, est vice-président de Shockbéton. M. Bibeau est également très actif au Parti libéral du Québec à titre d’organisateur politique et de responsable du financement. Il est un ami personnel de Jean Charest. », comme nous l’apprend l’un des diagrammes déposés devant la Commission Charbonneau par Jacques Duchesneau, l’ancien directeur de l’Unité anticollusion (UAC) du ministère des Transports (MTQ).

Or, comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser dans l’un de mes articles sur l’Empire Desmarais , que je reprends d’ailleurs dans mon livre intitulé « Desmarais : la Dépossession tranquille » :

« Marc Bibeau siège au conseil de la Société financière Power, le coeur financier de Power Corp., aux côtés de Paul Desmarais Jr. et d’une vingtaine d’administrateurs de haut niveau comme l’ex-ministre Don Mazankowski, le Belge Gérald Frère, Henri-Paul Rousseau (ex-Caisse de dépôt), Raymond Royer, anciennement de Bombardier et Domtar, Arnaury de Sèze (ex-Suez), etc. et Michel Plessis-Bélair, Vice-président du conseil, Power Corporation du Canada, ce dernier étant également, comme le « hasard » fait bien les choses, membre du conseil d’administration d’Hydro-Québec.

Et chez Power, le rôle de Marc Bibeau n’est pas celui d’une potiche ! Il est président du comité de vérification, un poste stratégique, en plus de siéger au conseil d’administration d’une filiale importante de la Corporation financière Power, la Société financière IGM Inc., où il est membre des comités de direction, de vérification, et des stratégies de placement.

Il n’est donc pas exagéré de dire que Marc Bibeau occupe une place importante au sein du groupe Power, et qu’il doit sa place dans ce dispositif à des compétences exceptionnelles et/ou à des contacts de très haut niveau, susceptibles de contribuer de façon marquée à l’atteinte des objectifs du groupe. C’est en effet le critère de qualification utilisé pour inviter quelqu’un à siéger au conseil d’administration d’entreprises d’envergure comme le sont la Société Financière Power et la Société financière IGM.

Et le fait que Marc Bibeau occupe cette place depuis un certain nombre d’années constitue à n’en pas douter une indication que le groupe Power reconnaît l’utilité de sa contribution. »

Le témoignage de Jacques Duchesneau devant la Commission Charbonneau nous permet de comprendre un peu mieux pourquoi. En effet, il nous expliquait en début de ce semaine les stratagèmes employés pour faire grimper les prix de l’asphalte. Il est donc raisonnable de penser que le même genre de stratagèmes est employé pour faire grimper les prix du béton.

À titre de dirigeant d’une entreprise établie de longue date sur le marché du béton et des travaux publics, Marc Bibeau devient donc un allié précieux pour Power qui possède par l’entremise de sa filiale Pargesa et de la société de portefeuille Groupe Bruxelles Lambert 21 % des actions du grand groupe cimentier français Lafarge, fortement implanté au Québec depuis de nombreuses années.

Cela dit, le diagramme établi par les enquêteurs de Jacques Duchesneau ne fait pas le lien entre Marc Bibeau, Schockbéton, et Lafarge via Power et Pargesa. Ignorance des faits, oubli délibéré ou non, la suite des choses le dira. Je suis cependant en mesure de confirmer que c’est une information qui se trouve entre les mains de la Commission Charbonneau.

Celle-ci n’est d’ailleurs pas la seule instance à l’avoir en sa possession. En effet, je l’avais communiquée au Commissaire au lobbyisme dans le cadre de ma demande d’enquête pour établir si Power Corporation, ses filiales et ses affiliées se conformaient aux dispositions de la loi.

***

Le hasard, qui fait parfois si bien les choses, a voulu que la directrice de la vérification et des enquêtes, Me Nathalie Dion, m’informe aujourd’hui de la clôture de la vérification et de la fermeture du dossier, le jour même où la Commission Charbonneau rend publics les diagrammes des groupes visés par le rapport Duchesneau, et notamment celui de la « Famille Bibeau » avec, dans le cas de Marc Bibeau, la mention qu’il est un ami personnel de Jean Charest.

Je commencerai d’abord par noter que l’envoi de ce genre de message à la toute veille des vacances n’est pas un signe de la plus grande bonne foi. Il prive le récipiendaire de la possibilité de saisir en temps utile les médias d’une information qui est très pertinente dans le contexte politique actuel.

C’est en fait un truc « cheap » de politicien mal pris qui est déjà difficilement acceptable dans un contexte partisan, mais qui est carrément inacceptable de la part d’un organisme quasi-judiciaire.

De plus, sur la base de l’information rendue publique par la Commission Charbonneau, cette décision apparaît pour le moins prématurée et imprudente, à moins que le Commissaire au lobbyisme ne vienne nous confirmer qu’il a une longueur d’avance sur la Commission Charbonneau, ce qui serait le comble de la prétention.

En fait, le Commissaire au lobbyisme ne se doutait pas un seul instant que la Commission Charbonneau allait rendre publiques les informations concernant la Famille Bibeau, et la lettre que j’ai reçue, même si elle est datée d’aujourd’hui, a fait l’objet, au cours des derniers jours, d’une révision et d’une approbation par la haute direction du commissariat avant de m’être expédiée par courriel.

Bel exemple de cafouillage administratif et de ce qui arrive lorsqu’on cherche à jouer au plus malin.


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7 commentaires

  • Francis Déry Répondre

    22 juin 2012

    @Marcel Haché

    S’agit-il du même Robert Bibeau que j’ai pu observer un soir de fête libérale, dans Montréal-Nord, et qui était alors le conjoint de Line Beauchamp,

    Je pense qu'il s'agit plutôt de Pierre Bibeau, ancien chef de la Régie des Installations Olymiques, avant de passer Président de Loto-Québec. Organisateur en chef du Parti Libéral du Québec. (De quoi être un parrain...)
    http://www.ledevoir.com/politique/quebec/350049/line-beauchamp-demissione
    Sans doute une relation de famille.
    Il y a le camarade Robert Bibeau sur ce forum et ancien fonctionnaire du Ministère de l'Éducation qui pourrait peut-être mieux expliciter les liens.
    Et non, notre camarade n'est pas dans le conseil de Power Corp.

  • Claude G. Thompson Répondre

    22 juin 2012

    M. Le Hir.
    Vous écriviez le 23 juin 2011 […Ils sont élus pour être des leaders, pas des suiveux. Et le comportement qu’ils ont eu depuis le début de cette crise les fait très mal paraître à côté des Aussant, Beaudouin, Curzi et Lapointe. S’ils s’imaginent avoir tout l’été pour redresser la situation, elle va se redresser sans eux, à leur détriment. Ils sont en mode « sauve-qui-peut » s’ils ne le savent pas déjà, et ils seront de toute façon bien chanceux s’ils parviennent à circonscrire les dégâts que leur absence de flair leur a déjà infligés…]”
    Qui eut cru qu’il y avait là quelque chose de prophétique?!
    Les prises de position des derniers jours du PQ et de Mme Marois suite au témoignage de M. Duchesneau sont des plus révélatrices à cet égard. Ce qui me navre le plus, c’est le manque de flair politique et l’apparence plus que douteuse de la crainte de voir certaines choses être révélées sans qu’on ait pu avoir le temps d’en circonscrire le contenu exact pour mieux en contrôler les éventuelles retombées.
    Rien n’est clair dans l’attitude de Mme Marois, ni dans ses affirmations, ni dans ses décisions, ni dans ses prises de position. Être péquiste, je ne serais pas rassuré. En tant que citoyen, je suis déçu de voir le plus ancien parti indépendantiste, celui dont nous avons tant attendu, celui auquel nous avons donné notre confiance pendant plus de quarante ans, celui qui devrait être le point le ralliement de tous les indépendantistes en ces heures sombres, se comporter comme le plus insipide et le plus injurieux des adversaires de notre nation et tâcher de sauver la face alors que rien n’est joué et que de simples affirmations relatives à un rapport sur la corruption dans le financement des partis politiques dont la commission Charbonneau prendra connaissance afin d’en déterminer le bien-fondé n’ont même pas encore été l’objet d’une étude approfondie par les commissaires de ladite commission.
    D'aucuns me diront que le PQ a cessé d’être indépendantiste depuis longtemps. Là n’est pas la question. L’essentiel est la raison d’être de son existence et s’il s’avérait qu’effectivement des intérêts ploutocratiques l’ont noyauté, la preuve devrait en être faite irrévocablement. Pour l’heure, je préfère exercer mon droit d’opinion et d’adhésion à un parti qui ne joue pas sur les mots et dont le chef fait montre de respect et d’écoute auprès de ses membres et de tous ceux qui désirent sincèrement et activement comprendre le pourquoi et le comment de notre émancipation nationale.
    Merci pour le travail titanesque que vous avez accompli depuis deux ans. J’ai une très bonne idée des efforts et de la patience dont vous avez dû faire montre, ayant moi-même publié quelques ouvrages touchant des domaines forts éloignés de ceux que vous avez explorés, mais qui m’ont demandé des heures et des heures de recherches et de fouilles laborieuses.
    Claude G. Thompson

  • Marcel Haché Répondre

    22 juin 2012

    J’ai lu dans l’organigramme que vous fournissez sur la famille Bibeau, qu’il apparaît un Robert Bibeau.
    S’agit-il du même Robert Bibeau que j’ai pu observer un soir de fête libérale, dans Montréal-Nord, et qui était alors le conjoint de Line Beauchamp, (alors député d’opposition mais future ministre de l’Éducation), et dont toute la communauté italo-libérale présente des comtés de La Fontaine et de Bourassa respectait la présence autant que tous les députés réunis, comme…comme s’il s’était agi d’un parrain ? Une question toute simple appellerait bien une réponse toute simple…

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2012

    À la suite de l’article dans Le Devoir, j’avais apporté quelques infos sur Marc Bibeau que vous mentionnez ici. Le Devoir a publié ces infos, mais par la suite les a retirées!
    Nous pouvons douter de l’impartialité de la Commission Charbonneau! Hélas! Ça risque de devenir un vaudeville à l’image de l’autre Commission Bastarache!

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2012

    Vous posez ici le diagnostic de deux grands maux de notre société: l'iceberg du capitalisme vorace et le giratoire politicien
    Du capitalisme vorace.
    Le Québec s'est développé par les PME et les petites entreprises. Beaucoup de richesses ont été créées mais hélas la grande entreprise est venue en organiser un pillage par entre autres les stratagèmes que vous évoquez. Le comble, c'est que ni la population, ni les PME, ni les politiciens, ni les éclaireurs scientifiques ou experts, ne se soucient d'anticiper la gestion des surplus pour éviter l'invasion des vautours. Ainsi Hydro Qc génère des milliards, et les brasse entre des mains inconnus du publique, du gouvernement. Comment nous assurer que nos surplus de ressources soient réinvestis à la bonne place? Comme nous n'y songeons guère, les PC et autres prennent racines et s'emparent de tout. Voyez ce qui est entrain d'arriver dans le domaine des transports routiers, avec Transforce (empire Saputo). Et j'en passe!
    Il ne s'agit donc pas d'un problème de corruption en construction, la corruption à pogné partout où l'on brasse des argents. Bientôt Garda achètera Desjardins et les autres banques, et nous devrons payer plus cher pour sécuriser nos sous en dépôt chez la même Garda.
    Du giratoire politicien
    Le giratoire politicien ramène toute conclusion de diagnosticien à la politique. Je prends votre cas en exemple. Vous faites une excellente démonstration de l'iceberg, et vous concluez sur la petite politique.
    Dans le dossier évoqué, il y a plus important que le rôle des politiciens, et des partis, c'est la compréhension du modèle juridico-économique créateur des grandes corporations corruptrices et corrompues. Une fois maitrisé, il nous permettra de surveiller efficacement le politicien. Autrement , nous pelletons vers en avant.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    22 juin 2012

    Charest a mis l'appareil d'État et nos actif collectifs à la disposition de puissant réseaux d'argents. Les diagrammes déposés à la Commission Charbonneau (ou,devrais-je dire la Commission Duchesneau)concernent l'étage inférieur de cette matrice.
    Vous êtes un des rares à faire le lien avec l'étage inférieur et supérieur de ces réseaux (Marc Bibeau étant un lien d'intérêt qui nous mène au vrai maitre du jeu).
    Il y a 3 rapports de forces à établir pour faire avancer notre cause : Politique. économique et médiatique. En prenant de front le réseau de Paul Desmarais, vous assumez les trois. En fait, comme Anonymus, qui a vite fait d'identifier le "Saigneur" de Sagard, quand le Québec est apparu sur son écran radar, suite à l'adoption de la Loi 78 (un évènement qui désert les intérêts de mon oncle Paul).
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    21 juin 2012

    Merci pour ces informations, sans vous monsieur Le Hir, l’obscurantisme politique n’aurait pas d’obstacle sérieux pour se maintenir et le pouvoir Desmarais resterait mythique, comme l’affirme plusieurs banalisateurs ou aplaventristes publics.
    Le traitement médiatique, remarquable sur les réseaux télés, de la Commission Charbonneau, ressemblait à un roman savon à effets surprises, sans explication profonde et déviant l’implication directe du PLQ.

    Par exemple, pendant qu’étaient rapportées des révélations de collusion par les journalistes à SRC, avant-hier, on montrait dans la moitié de l’écran, tour à tour, une séquence du PQ, avec Pauline Marois bien en évidence, puis François Legault avec la CAQ.Aucune image ne fut montrée du PLQ!
    L’arbitrarité des médias n’a jamais été à niveau si flagrant, infantile… et insultant, méprisant.
    Le citoyen était incité par ces images à relier ces partis d’opposition aux révélations de Jacques Duchesneau, sauf au PLQ. À croire que SRC traite la majorité silencieuse en lobotomisée de l’intelligence.
    Et si Duchesneau, ami de la CAQ, ou d’autres mystérieux personnages, par frustrations ou électoralisme, lâchaient quelques morceaux croustillants, volontairement ou non, esprit de vacances aidant, le puzzle des liens politiciens/affairistes deviendrait peut-être plus percutant pour le citoyen moyen.Qui sait?
    Malgré notre passé chargé, le pire et le meilleur pour le Québec restent encore à venir.