En février 2005, le premier ministre Charest avait sacrifié son ministre de l'Éducation, Pierre Reid, pour régler le conflit avec les associations étudiantes. Appelé à la rescousse, Jean-Marc Fournier avait capitulé assez piteusement au bout de deux mois.
L'enjeu de ce bras de fer était cependant loin d'avoir l'importance de celui qui a culminé dans la manifestation monstre de jeudi. Certes, M. Reid s'était montré particulièrement maladroit, mais la transformation de 103 millions de dollars de bourses en prêts avait des conséquences nettement moindres qu'une augmentation de 75 % des droits de scolarité.
Après avoir renoncé au projet de centrale thermique du Suroît et effectué une volte-face spectaculaire sur l'octroi de subventions aux écoles privées juives, cette nouvelle reculade était humiliante pour le gouvernement et son chef, mais il ne s'agissait pas d'une question de principe fondamentale.
Au surplus, M. Charest ne devait pas être fâché d'avoir un prétexte pour reléguer Pierre Reid à des fonctions plus obscures. Présenté comme une vedette avant les élections de 2003, l'ancien recteur de l'Université de Sherbrooke avait constitué une déception. Après un bref séjour aux Services gouvernementaux, il a été confiné pour de bon aux banquettes arrière.
Line Beauchamp est d'une tout autre pointure. Elle est devenue un des piliers du gouvernement et son passage à Tout le monde en parle a donné l'impression qu'elle fait du conflit avec les étudiants une affaire personnelle. Jean-Marc Fournier a accepté d'avoir l'air fou quand M. Charest a annoncé soudainement la tenue d'une enquête sur la corruption qu'il avait encore exclue une heure plus tôt, mais la vice-première ministre est une femme fière, qui ne tolérera pas d'être un objet de risée.
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Il en va de même du ministre des Finances, Raymond Bachand. Depuis qu'il a succédé à Monique Jérôme-Forget, qui avait commandé le rapport Montmarquette sur la tarification sans oser lui donner suite, M. Bachand a soigneusement orchestré sa «révolution culturelle», qui sera en quelque sorte son legs politique. Pas plus que Mme Beauchamp il ne pourrait accepter un recul qui lui ferait perdre la face.
Une crise majeure au sein de son cabinet serait bien la dernière chose dont M. Charest aurait besoin, mais le débat sur les droits de scolarité transcende les personnalités. Après l'échec de la réingénierie de l'État, le virage tarifaire est l'ultime tentative libérale d'une transformation durable.
En réalité, l'appui qu'une partie de la société civile a donné aux étudiants, qu'il s'agisse des artistes, des syndicats ou des partis progressistes, traduit essentiellement la lutte incessante entre le Québec «lucide» et le Québec «solidaire», qui cohabitent tant bien que mal.
Le gouvernement n'en a pas moins la responsabilité d'assurer le bon fonctionnement du système d'éducation et de garantir la paix sociale. Sans surprise, le sondage Léger Marketing-QMI, dont les résultats ont été publiés hier, indique que l'appui dont les étudiants bénéficient dans la population tend à s'effriter en proportion des inconvénients qu'elle doit subir, mais la grande majorité des Québécois souhaitent aussi que le gouvernement tente de trouver un arrangement avec les étudiants.
Il est sans doute de bonne guerre de jouer la carte de l'intransigeance pour tester la détermination des étudiants devant le risque de compromettre leur session, mais le gouvernement ne dispose pas d'une autorité morale suffisante pour persister indéfiniment dans son refus du dialogue. Il lui appartient de faire les premiers pas. Contrairement à ce qu'a déclaré M. Charest, il n'est pas trop tard, mais il n'est certainement pas trop tôt.
Présentement, l'entêtement du gouvernement justifie celui des étudiants. Il leur serait beaucoup plus difficile de continuer à exiger un nouveau gel, sinon la gratuité complète, s'il présentait d'autres avenues.
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Dans la conférence de presse qu'il a donnée à huis clos avant de présenter son budget, M. Bachand a évoqué la possibilité d'apporter de nouvelles améliorations à l'aide financière aux étudiants.
Simplement hausser le niveau des bourses pour compenser la hausse des droits de scolarité ne suffit pas. Le niveau de revenu parental pour être admissible aux bourses est si bas au Québec que bon nombre d'étudiants qui n'ont droit qu'à un prêt se retrouveront dans une situation intenable.
D'autre part, le principe de l'utilisateur-payeur serait bien mieux servi par une modulation des droits de scolarité selon les facultés. Les coûts assumés par l'État sont nettement plus élevés pour un étudiant en médecine que pour son camarade inscrit en histoire. Mme Beauchamp semble trouver la formule trop complexe, mais ses fonctionnaires pourraient sûrement lui en expliquer le fonctionnement.
On peut comprendre que le PQ ne tienne pas à faciliter la tâche au gouvernement, mais sa position s'apparente au sabotage. À partir du moment où il annulerait toute hausse imposée par le gouvernement, les étudiants ont intérêt à n'en accepter aucune. Le grand sommet promis par Pauline Marois ne déboucherait pas nécessairement sur un gel, mais l'augmentation serait forcément moindre.
Sans doute ne faut-il pas se surprendre de cet opportunisme. Mme Marois a toujours tenté de ménager la chèvre lucide et le chou solidaire. On peut trouver irréaliste la gratuité promise par Québec solidaire et Option nationale, mais cela a le mérite d'être clair.
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