L'espace publique est un bazar, on y entend souvent à chaud, dans l'urgence du moment présent, toutes sortes de voix, parfois dissonantes, parfois consonantes, sans compter les récriminations vertueuses des « gérants d'estrade » autorisés et des galériens de la chronique. C'est à partir et à travers cette cacophonie ambiante que les citoyens ont l'opportunité de se faire une opinion correcte. Telle est la démocratie. N'en déplaise à nos censeurs qui aiment bien jouer aux mandarins et aux éminences grises, il n'y a pas de science des choses politiques dont ils auraient le monopole. Tous les citoyens sont égaux et ont droit à une participation générale active aux affaires publiques. Pour être « logique », comme le réclame madame Gagnon, il faudrait d'abord commencer, à mon avis, à se taire, réfléchir, décanter ses impressions, en un mot, prendre son temps - chose inimaginable dans les conditions actuelles.
La polémique soulevée par les propos malencontreux, sans nuance et réitérés de monsieur Harper montre que les temps ont changé. Le fait nouveau est qu'une question litigieuse de politique internationale parvient à transcender le clivage des partis politiques et à mobiliser des adversaires jugés, jusque-là, irréconciliables. Ce consensus assez large au Québec en faveur de la justice et de paix entre Palestiniens, Libanais et Israéliens est un signe de maturité : les points de vue divergents sur les affaires internes n'interdisent pas un point de vue commun sur les affaires extérieures. Par son aveuglement, Ottawa est en train de perdre le monopole sacré qu'il s'est arrogé sur les affaires internationales. Voilà où le bât blesse. La défection des conservateurs à propos du protocole de Kyoto l'avait laissé entrevoir. Maintenant on voit mieux le phénomène. Il faut exploiter cette brèche.
L'autre fait nouveau se rapporte à l'impact formidable de la guerre dont on peut mesurer l'onde de choc tous les soirs sur nos téléviseurs. Incidemment, la couverture de la guerre à Radio-Canada me semble, à cet égard, exemplaire. Compte tenu du grand nombre de Libanais vivant à Montréal et de la solidarité naturelle avec ce petit peuple qui parle français, les Québécois sont choqués je crois par l'absence totale de ménagement, pour ne pas dire l'acharnement de l'armée israélienne sur des populations civiles. Les Alliés avaient fait la même chose en Allemagne en 1944. On ne peut plus alléguer l'ignorance, la distance ou les effets pervers de la propagande. Les horreurs de la guerre nous sont transmises en direct dans toute leur crudité et dans tout ce qu'il faut bien appeler leur barbarie. D'autres points de vue viennent nuancer le régime de « falsification intéressée » (dixit Raymond Aron, Paix et Guerrre entre les nations) que l'État major israélien tente d'imposer à nos perroquets de service. La « pacification » du sud Liban par l'armée israélienne avant l'arrivée de l'ONU est un des ces mensonges éhontés. Il faut relire 1984.
Un des aspects de la guerre de l'information se rapporte aussi à la diabolisation de l'adversaire. Le fait nouveau est qu'Israël est clairement perçu dans ce conflit comme l'agresseur. Avec un peu de recul, force est d'admettre qu'Israël n'a jamais rien voulu savoir d'une solution politique au conflit. Le torpillage des accords d'Oslo en 1993 en est la preuve. Que je sache, ce ne sont pas des extrémistes islamistes qui ont assassiné Ithzac Rabin en 1995. Nétanyahou, Sharon et maintenant Olmert ne font que suivre la voie tracée devant eux. Ce que les gens commencent à comprendre aussi, c'est que le sentiment de supériorité d'Israël serait ramené à des proportions plus modestes si, depuis la fin des années 60, l'État hébreux ne profitait pas de la complaisance de l'administration américaine à son endroit. Et ce n'est pas sans l'arrogance que lui procurent son sentiment d'immunité et la supériorité incontestable des armes que cette démocratie bafoue systématiquement depuis des décennies, au nom de la sécurité d'État, les résolutions de l'ONU, c'est-à-dire le droit international.
François Deschamps
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