L'enseignement de l'histoire nationale au collège

Non aux versions anesthésiantes

Tribune libre

Dans le cadre de la formation générale au niveau collégial, un cours d’histoire nationale est-il indispensable ? Au-delà des critiques partisanes à courte vue au nom de la « raison » et des « Lumières » sinon des querelles d’influence des différents lobbies d’enseignants impliqués, la question mérite d’être débattue.
André Ségal (« L’histoire du Québec en cinq problèmes », Le Devoir 17/09/2013) y apporte pour sa part une réponse ambigüe. Comment en effet traiter de l’ambivalence, toujours actuelle semble-t-il, d’ « une partie importante de la population québécoise » envers le régime fédéral, sans repasser par les « poncifs » d’une vision linéaire de notre passé (la « conquête », les « patriotes », la « confédération », etc.) ?
La réponse tient en peu de mots : si pour chaque nation, les lieux communs historiques constituent des repères incontournables – ce sont des vecteurs essentiels de la « mémoire culturelle » (Jan Assmann) –, le défi d’une histoire nationale réside dans la capacité d’y jeter un regard neuf qui transforme notre vision du présent. Il est impérieux de replacer, tant aux plans temporel que spatial, le développement de la société québécoise à l’intérieur du monde atlantique (archipel britannique inclus) par la création d’objets d’analyse originaux.
Il est au moins curieux de mentionner à cet égard que les recherches des plus consistantes ces dernières années viennent d’anglophones : Donald Fyson (magistrature, police, justice ordinaire), James Jackson (la fusillade du 21 mai 1832 à Montréal et le cover-up officiel), Bruce Curtis (éducation, gouvernance libérale dans un cadre impérialiste). L’interminable ressassement identitaire en vase clos et le trauma de l’assimilation hérité de nos bonnes vieilles élites clérico-conservatrices sont passés date.
La dichotomie Québec-Canada nous oblige en fait à revenir sur notre « scène primitive » qui part de la création de la grande « Province of Quebec », sa partition en 1791 sous l’appellation Haut et Bas-Canada, passe par la mise en sommeil de la Chambre d’assemblée pour trente ans (1837-1867) et la fusion forcée de 1840 avant d’aboutir au « gentlemen’s agreement » fédératif de 1867. On pourra ainsi mieux faire comprendre non seulement en quoi, contrairement aux institutions fédérales américaines, les colonies du British North America sont longtemps apparues un agrégat administratif mal unifié, mais, en plus, le rôle aussi déterminant qu’occulté de la violence.
Seul le détour par le XIXe siècle permet en fait de mettre le doigt sur la spécificité de la société québécoise naissante : outre le cas des premières Nations, la coexistence, sur un même territoire de deux communautés nationales, une majoritaire francophone et une minoritaire anglophone, leur interaction plus ou moins pacifique (aux plans économique, culturel, démographique, etc.) entrecoupée de collisions violentes ayant mené – moyennant la « soumission par les armes » en 1837 et 1838, une « seconde conquête » (Adam Thom) dans les faits – à la prééminence de la seconde sur la première pour plus de cent ans (1830-1960). On est aux antipodes ici de la version lénifiante et édulcorée que le ministère Citoyenneté et immigration Canada propose aux nouveaux arrivants (Découvrir le Canada. Les droits et responsabilités liés à la citoyenneté. Document publié par Citoyenneté et Immigration Canada, http://www.cic.gc.ca/francais/pdf/pub/decouvrir.pdf, 17-18).
En fait de connexions significatives entre le présent et le passé, le problème de la sécurité publique à Montréal dans les années 1830 pourrait s’avérer aussi très instructif. Contrairement à la vulgate officielle, on a affaire à un ménage à trois où l’administration impériale tentait de s’interposer entre les « extrémistes » des camps patriote et loyal, afin d’établir une police municipale non partisane et rémunérée semblable à celle que Peel avait mise sur pied en Angleterre.
Parmi les caractéristiques du réseautage du milieu policier tory, relevons la formation du Doric Club, une organisation paramilitaire orangiste non reconnue par les autorités coloniales mais tolérée, la prestation secrète et publique de serments d’allégeance, les affinités électives des magistrats avec l’état major, sans compter les accointances avec la loge maçonnique St. Paul avec les artisans dur-à-cuire issus des milieux populaires aimant se balader la nuit, pendant leur ronde de guet, avec des manches de haches et autres objets contondants. La saga qu’est en train d’écrire Anne-Marie Sicotte est à cet égard particulièrement éclairante.
Le ministre Duchesne fait bien d’y penser à deux fois avant de donner l’aval aux versions anesthésiantes du projet d’histoire nationale.
L’auteur est historien et s’apprête à publier aux Presses de l’Université Laval un volume sur le torysme montréalais des années 1830 : La rébellion de 1837 dans l’œil du Montreal Herald.


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