Les zones grises

Les auditions de la commission Bastarache ont fourni un bel exemple du caractère parfois insaisissable de la vérité.

Commission Bastarache

Les auditions de la commission Bastarache ont fourni un bel exemple du caractère parfois insaisissable de la vérité.
On l’a dit et redit. Dans l’opinion publique, la cause est entendue. Les Québécois ont cru ce que l’ex-ministre Marc Bellemare a dit lors des auditions de la commission Bastarache. Peu importe ce qui se passera par la suite, les dommages de ces révélations seront considérables pour le gouvernement libéral.
Pourquoi croiront-ils davantage la version de l’ex-ministre, qui n’a pas été un modèle de cohérence dans son comportement tout au cours de l’été, que celle que proposera le premier ministre Jean Charest?
C’est en partie la manifestation d’un populisme qui mène à prendre parti pour le petit qui dénonce les puissants de ce monde. En partie le fait que les propos de Me Bellemare correspondent à l’idée que se font les gens du système politique. En partie parce que la crédibilité du gouvernement et de son premier ministre est au plus bas.
Il y a un autre facteur, et c’est le fait que l’on vit à l’heure de l’information spectacle. Pour bien des gens, la commission Bastarache, c’est un gros show, quelque part entre le match sportif et le téléroman. C’est d’ailleurs de cette façon que l’on commente ce qui se déroule lors des auditions. On veut des bons et des méchants, des gagnants et des perdants, des revirements.
Cependant, la recherche de la vérité, qui est le premier mandat de cette commission, est moins simple et linéaire qu’on le croit. D’une part, si on peut prévoir que plusieurs témoins contrediront la version de l’ex-ministre, il n’y aura jamais de certitudes, parce que ses allégations portent essentiellement sur une conversation derrière des portes closes entre lui-même et le premier ministre.
Mais aussi parce que la vérité peut être une chose élusive. Souvent, il n’y a pas de vérité absolue, pas de choses claires en noir et blanc, mais une réalité qui se décline dans les teintes de gris. Souvent, il n’y a pas une vérité, mais des points de vue, des perceptions, des interprétations. C’est plus compliqué et cela demande plus d’effort d’attention qu’un match sportif.
Les auditions de cette commission ont fourni un bel exemple de ce caractère parfois insaisissable de la vérité. L’ex-ministre Bellemare dit s’être plaint au premier ministre dans deux dossiers. Les pressions des argentiers pour la nomination de juges. Et l’ingérence politique dans un procès criminel. Cela n’a pas été approfondi par commission parce que ce n’est pas dans son mandat.
Mais c’est un dossier pour lequel on dispose d’informations, car l’affaire avait fait un certain bruit. Ce qui permet de noter, en passant, que dans un des rares éléments où l’on peut vérifier et corroborer ce qu’affirmait Me Bellemare, on constate qu’il n’a pas vraiment donné l’heure juste.
Il s’agit de l’intervention d’un membre du cabinet du premier ministre, Daniel (sic) Roy, qui en substance, conseillait au ministre Bellemare de ne pas intervenir dans les superprocès des Hells Angels, de ne pas désavouer une entente entre les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense, ce qui aurait pu faire avorter le procès.
On peut comprendre que Me Bellemare ait été vexé de se faire dire quoi faire, et qu’il ait donc pu, sincèrement, sans mentir, parler d’ingérence politique. Mais il y a une autre lecture possible des événements.
On peut aussi y voir une intervention pour empêcher l’ingérence politique du ministre Bellemare dans le procès, et pour enseigner à ce ministre néophyte et incontrôlable les rudiments de la séparation entre l’exécutif et le judiciaire. En fait, ce que Me Bellemare voyait comme une ingérence était une initiative salutaire pour l’empêcher de faire une grosse gaffe. Voilà une autre interprétation de la vérité.


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