Le 29 mars 2005, quelques semaines avant le congrès du parti québécois qui allait se tenir à Québec, à la fois préoccupé par toutes les rumeurs que j'entendais et les humeurs que je percevais, j'avais senti le besoin de faire parvenir cette lettre à Bernard Landry.
Aujourd’hui, même si j'en changerais volontiers le style, plusieurs mots, phrases et passages, essentiellement, c'est toujours le même message que je souhaiterais transmettre à Pauline Marois et à tous ceux qui ont à cœur de fonder le pays du Québec, étonnamment, parmi eux, les mêmes acteurs qu'il y a cinq ans.
Au risque de paraître candide ou nostalgique, voici cette lettre encore d'actualité cinq ans plus tard:«Brossard, le 29 mars 2005.
M. Bernard Landry,
Député de Verchères,
Chef de l’opposition officielle,
Assemblée Nationale
Bonjour M. Landry,
Mon épouse et moi sommes les parents de 4 merveilleux enfants dont nous sommes très fiers et pour lesquels nous serions prêts à tout sacrifier.
Quand je parle de mes enfants, je parle de leurs réalisations, de leurs projets et du bonheur qu’ils me procurent, pas des accouchements de mon épouse. Ces moments furent difficiles, d’une douleur intense qu’elle ne souhaitait pas revivre d’une fois à l’autre.
Entre chaque naissance, nous parlions peu de l’accouchement à venir bien que nous nous y préparions. Nous parlions plutôt de nos enfants à naître, de la couleur de leurs yeux, de leurs cheveux, du nom que nous allions leur donner, de la maison qu’ils allaient habiter, de tout ce qu’il fallait faire pour prendre soin d’eux. C’est ce que font généralement les parents en attente d’un bébé. Si nous n’avions parlé que de la douleur de l’accouchement, des nausées et des maux de dos, je ne suis pas sûr que ma femme aurait eu 4 enfants.
Vous devez vous demander pourquoi j’évoque ces accouchements? Parce que fonder un pays est un processus semblable. Tous ceux qui veulent faire de cette province un pays ne sont pas chauds à l’idée de passer à travers un troisième référendum, ce sera un moment particulièrement difficile pour les familles où tous ne partagent pas les mêmes opinions politiques.
Je vous suggère donc de faire comme mon épouse et de cesser de parler des moments les plus difficiles, bien qu’ils soient incontournables. Parlez-nous plutôt de la souveraineté, des défis extraordinaires pour notre jeunesse, des nombreux avantages pour nos concitoyens. En un mot, parlez-nous du pays à bâtir, pas du référendum à venir.
***
Il y a plusieurs années de cela, mon père était un gérant d’une caisse populaire soucieux de la prospérité de ses concitoyens. S’il disait que l’épargne et le crédit étaient des outils essentiels à l’épanouissement de chacun d’entre nous, il clamait haut et fort que la propriété collective de l’épargne n’était pas une fin en soi, mais une façon de soutenir l’accession à la souveraineté du Québec. C’était un outil essentiel à notre affranchissement collectif. À la volonté d’être, devait s’associer le pouvoir de réaliser.
C’est la raison pour laquelle il avait quitté la Banque Royale après 15 ans de bons et loyaux services pour se joindre au Mouvement Desjardins en 1965. C’est pour défendre ces mêmes convictions que mon père s’est présenté sous la bannière du Parti Québécois en 1970. Le suivaient alors, des jeunes du comté de Rouyn-Noranda comme les (...) André Dudemaine et Richard Desjardins.
Dès la fondation du Parti Québécois, les ténors de la souveraineté ont parcouru le Québec pour nous parler régulièrement de la souveraineté. Je me souviens de Jacques Parizeau en train d’échanger avec mon père dans le stationnement de la polyvalente locale où il s’apprêtait à aller prononcer un discours, de Pierre Bourgault, de Claude Charron, de Paul Unterberg, de Pierre Marois, de Bernard Landry, de Camille Laurin et de tous ceux qui ont arpenté le Québec.
Je me souviens du soir où René Lévesques a renversé son verre d’eau, alors même qu’il nous parlait de l’importance de cette ressource essentielle pour le développement du Québec et du fou rire général que cela a provoqué dans le sous-sol d’une église de Rouyn.
Ces images fortes sont demeurées imprimées dans mon esprit. Je me souviens de tous ces gens qui ont sillonné le Québec, jour après jour, fin de semaine après fin de semaine, pour nous parler du pays à construire et de l’espoir d’être enfin Maîtres chez nous.
***
Cher M. Landry, demandez à vos ténors de sillonner le Québec et de nous parler des mérites de la souveraineté. Demandez aux Jean-Pierre Charbonneau, Pauline Marois et François Legault de ce monde de prendre la route pour faire la promotion de notre idéal.
Que leurs talents d’orateurs servent à éveiller ce rêve qui sommeille en chacun de nous. Ce n’est pas un chef que nous cherchons, c’est un pays que nous voulons fonder!
Faites également une place à nos poètes, ils ont toujours un très grand pouvoir auprès de la population. Qui ne se souvient pas de la pureté des émotions soulevées par les spectacles des Séguin, de Félix Leclerc et de Gilles Vigneault? Et que dire de la folie de Raoul Duguay qui chantait l’Abitibi. Nous étions touchés en plein cœur. Tel un hologramme, notre avenir se dessinait à l’intérieur de nous, nous le touchions presque, il était possible.
Malheureusement, au fil des années, le Parti Québécois a beaucoup négligé la dimension poétique et onirique de la souveraineté. Sommes-nous encore capables de rêver de ce pays?
Mais surtout, surtout, donnez une grande visibilité à nos enfants dans les échanges à venir. Laissez-les nous parler de leurs rêves. Permettez-leur de nous parler de leur vision de l’avenir, du Québec dans lequel ils veulent vivre et élever leurs enfants. Ils ont la force, l’intelligence, le courage et la ténacité pour construire ce pays. Donnons-leur notre appui et mettons à leur disposition toutes les ressources nécessaires pour faire du Québec une terre de justice, de partage et de liberté.
Souhaitons-nous collectivement que le Québec devienne un pays souverain? Je crois sincèrement que si nous nous y mettons tous ensemble dès à présent, la réponse sera « OUI ».C’est de notre ardent désir collectif que naîtra ce pays, pas de nos peurs individuelles réprimées.
Louis Lapointe,
Brossard,
le 29 mars 2005. »
***
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Ce n’est pas un chef que nous cherchons, c’est un pays que nous voulons!
Chronique de Louis Lapointe
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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1 commentaire
L'engagé Répondre
2 novembre 2010Malheureusement, il n'est plus possible de réunir un village dans le sous-sol de l'église. Le lien communautaire s'est rompu et cette réalité est planétaire.
Toutefois, regardez la popularité de Lisée.
Je crois sincèrement que quand les caméras de télé montreront que Marois et une petite équipe font du porte-à-porte, qu'elle le fait 3 soirs par semaine et qu'elle dira que c'est son activité la plus importante (rien ne peut être plus important que convaincre les Québécois des mérites d'un tel projet), 500 militants péquistes feront de même : on ne l'abandonnera jamais dans le froid et les ténèbres des banlieues qui lui ferment sèchement la porte au nez, nous serons tous derrière elle.
C'est parce qu'elle ne fait pas ce geste humble que nous la contestons.
Je me souviens encore de Françoise David au métro Beaubien qui disait dans la pluie froide aux passants indifférents : «bonjour, je suis Françoise David, de Québec Solidaire.»
Elle m'a profondément ému ce jour là et je lui ai donné mon vote.
Marois doit faire la même chose : J'aimerais parler avec vous de l'indépendance, avez-vous cinq minutes. Devant les caméras qui filment et rendent sur Radio-Canada tout le pathétique de la scène, 1 semaine après je mets ma main au feu que tous les contestataires se joindront à elles et feront, chacun dans leur quartier leur bout de chemin.
On a juste besoin de 6 mois de porte-à-porte...